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L’affaire Turcotte: Le crime parfait?

 

 

D’entrée de jeu, je vous avoue que je n’ai pas suivi ce procès de très près. Je n’aime pas ce genre de voyeurisme sordide qui accompagne ce genre de cirque, qui pour moi, tire franchement trop près du coeur. Ma fille est du même âge que l’était Anne-Sophie. La couverture du procès évoquait pour moi des visions trop cauchemardesques. Je suis incapable d’imaginer comment un père pourrait poser un geste aussi ignoble envers ses propres enfants. Je crois que c’est au-delà de la compréhension de la plupart des gens d’ailleurs. Je peux donc parfaitement comprendre le sentiment de révolte qu’a évoqué le verdict. et dans une certaine mesure, je le partage.

Pour moi, il ne suffit pas d’expliquer pourquoi ce verdict est parfaitement plausible du point de vue légal (Merci Renart pour la référence à ce texte éclairant). Ce genre d’explication aidera sûrement les jurés à mieux dormir, mais il n’arrivera pas à convaincre que la justice a été servie. En réalité, il ne sert qu’à démontrer que le Dr. Turcotte a réussi à convaincre les jurés de sa « folie temporaire », mais de nombreux doutes subsistent encore dans mon esprit.

On a décrit Guy Turcotte comme ayant une personnalité narcissique. J’ai déjà eu plus que ma part de démêlées avec plusieurs personnes ayant ce trouble de personnalité, assez pour avoir beaucoup lu sur ce sujet. J’ai trouvé le livre « Les manipulateurs sont parmi nous » de Isabelle Nazare-Aga particulièrement éclairant. Je ne pourrais prétendre avoir l’expertise pour analyser la personnalité de Guy Turcotte, mais dans mon expérience personnelle, il arrive fréquemment aux personnes narcissiques de mal réagir aux ruptures qu’ils considèrent comme un affront personnel. Il leur arrive également de se servir des enfants pour atteindre et manipuler leur ex-conjoint(e). Règle générale, il s’agit de violence psychologique et verbale, chantage et aliénation parentale, mais la violence physique est également possible. Je ne connais pas Guy Turcotte. Il m’est impossible de savoir s’il est vraiment capable de tuer froidement pour se venger d’une rupture, mais ce n’est pas impossible.

Les lettres que Guy Turcotte à envoyé à sa conjointe, cinq mois après le drame, sont un peu révélatrices de son caractère. Si le Dr. Turcotte avait vraiment « perdu les pédales » au point de ne pas être capable d’apprécier la nature et la qualité de ses actes, on devrait normalement s’attendre à ce qu’il soit rongé par les remords après l’acte. Si c’est le cas, les extraits de ces lettres n’en montrent aucun signe. Si c’était moi, il me semble que je serais hanté par les cauchemards, revoyant sans cesse mon fils me supplier d’arrêter pendant que je le poignarde et avoir leurs cris résonnant dans ma tête. Le ton des lettres du Dr. Turcotte, si peu longtemps après le drame, me donne froid dans le dos. Pourtant, ces lettres ont été exclues du procès.

Supposons pour un instant que le bon docteur ait prémédité ses actes. Supposons que non seulement il avait résolu de tuer ses enfants dans le but de se venger de sa conjointe, mais qu’il avait aussi planifié sa défense. Guy Turcotte est une homme intelligent et il est parfaitement capable d’assimiler les informations médicales nécessaires pour simuler une folie temporaire et ainsi confondre les experts. Ayant convaincu les experts, convaincre le jury serait un jeu d’enfant. Les narcissiques sont des menteurs chevronnés et jouent très bien la comédie. La méthode même du meurtre pourrait avoir été choisie pour donner l’apparence d’un accès de rage meurtrière. Qui pourrait croire qu’un homme sain d’esprit tuerait ses enfants de façon aussi violente, alors qu’en tant que médecin, il aurait certainement pu leur donner une mort beaucoup plus douce? Le Dr. Turcotte aurait-il pu déjouer les experts et les jurés de cette façon? Nous ne le saurons probablement jamais, mais si c’etait le cas, ce serait le crime parfait n’est-ce pas?

Sommes-nous trop prompts à déresponsabiliser les individus? Accordons-nous, par hasard, plus d’empathie envers un meurtrier qu’envers ses victimes? Franchement, je ne sais pas. Notre système est fondé sur la prémisse qu’il est préférable de laisser un coupable partir que de condamner un innocent. Cependant, il y a des fois que je ne peux m’empêcher de penser que le système en laisse passer un peu trop.

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Classé dans Actualité, Philippe David

La folie ordinaire

 

Par Renart Léveillé

Mon titre, je l’ai piqué à Charles Bukowski, celui qui publiait en 1972 « Erections, Ejaculations, Exhibitions, and General Tales of Ordinary Madness », traduit simplement par « Les Contes de la folie ordinaire ». Je m’en sers dans un autre sens : et par cela je vais tenter de questionner, et la folie, et l’ordinaire, aujourd’hui, devant le verdict renversant de « non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux » du cardiologue Guy Turcotte.

Pour être franc, je n’ai aucunement suivi cette histoire, sinon de très loin (alors, je ne me suis pas trop fait manipuler par les médias). Le jeune père que je suis n’est aucunement capable de savoir (même si je l’ai quand même su, comme beaucoup d’autres choses…) des détails comme celui que Guy Turcotte a eu « conscience de ce qu’il faisait, quand il a entendu son fils lui dire d’arrêter ». Sentir son coeur virer à l’envers, le moins souvent possible… Et pour cette raison, je ne devrais même pas pouvoir écrire à ce sujet, encore plus parce que je n’ai pas assisté au procès, comme le rappelle la spécialiste en droit criminel Véronique Robert.

J’en prends note, mais je continue de voir qu’il y a un trop grand écart ici entre la Justice et ce que la moyenne des gens est capable d’en comprendre, surtout à la suite de ce verdict. Et ça me fait revenir à mon titre. On a l’impression que ce verdict rend la folie ordinaire. Plus précisément, que toute folie (ou ce que l’on considère comme tel devant la loi) est égale. Que la folie qui gagne quelqu’un suite à des problèmes relationnels est égale à la folie de quelqu’un qui est en proie à des épisodes schizophréniques, par exemple, qui sont franchement plus du domaine génétique.

Si vous voyez où je veux en venir, c’est que rien dans les gestes de Guy Turcotte n’écarte l’histoire d’amour déchue. L’absurdité ne se retrouve que dans la teneur des gestes, pas dans ce qui y mène, dans le sens où la vengeance soutire le pire de l’humain, en tout cas au niveau du fantasme. Nous comprenons que le père cocufié ait fantasmé le pire (tuer ses enfants) pour détruire la mère qui ne voulait plus être son épouse, et c’est bien là où se trouve la capacité de faire « la distinction entre le bien et le mal » et « d’apprécier la nature et la qualité de ses actes ». Mais c’est tellement lié qu’il est difficile de croire que le chemin pour se rendre du fantasme à la réalité soit seulement de la pure folie. Comment Guy Turcotte a-t-il pu se perdre en chemin alors que tout le reliait au noyau de son trouble? Il y a dans la folie cette irrationalité que je n’arrive pas à percevoir dans ce cas-ci, puisque le lien de cause à effet me semble fluide. Le meurtre des enfants représente le comble de la vengeance et c’est ce qui a été fait. Guy Turcotte semble s’être planté lui-même ce germe comme un drogué consomme ce qui peut le rendre inconscient de la réalité. Mais un meurtrier drogué ne s’en tire pas même s’il était « inconscient » lors de l’acte, comme me l’a indiqué un ami avocat. Alors, la différence entre les deux me semble ténue.

Le jury a décidé qu’il s’était perdu en route dans la folie et je ne comprends pas, comme beaucoup de gens. Comme le blogueur Patrick Lévesque, je crois que notre « système de justice a […] une responsabilité envers les citoyens, soit de les éduquer. Cette responsabilité est essentielle afin de conserver sa crédibilité, ce qui est en retour essentiel au maintien d’un système de droit, l’un des piliers de notre vie démocratique. Au-delà du choc, de la colère, de la tristesse, il est temps de passer à la compréhension. Les explications doivent venir; elles doivent être fournies rapidement, et elles doivent être fournies en tenant compte des émotions que vit en ce moment le grand public (dont je fais partie) ».

J’ai bien relu le texte de Véronique Robert, hyperlié plus haut, qui s’y connaît beaucoup plus que la majorité, et pourtant je ne comprends toujours pas. Quand j’y lis que le jury a décidé, « à l’unanimité, que « le monstre » était vraiment en état de déséquilibre mental au moment des faits », je me dis qu’il faut bien de toute façon être « en état de déséquilibre mental » pour tuer ses enfants, c’est un pré requis : une personne équilibrée mentalement ne va pas faire ça. Et pourtant, je ne doute pas que ce raisonnement ne fasse pas le poids au niveau de la Justice. Mais bon, je ne suis pas juriste. Et ça doit être le problème de la majorité de la population qui n’est pas d’accord avec ce verdict.

Voilà, la question de la folie est posée. Et elle n’est surtout pas simple. Quant à l’ordinaire, le choix du terme est peut-être abusif en soi, mais il sert au moins de contrepoids. La folie comme concept ultime ne peut pas être remise en question. En l’acoquinant à l’ordinaire je le rendais au moins un peu plus malléable. Et, il n’y a pas de doute pour moi, le concept de folie au niveau de la Justice est très discutable.

C’est ce que bien humblement j’ai essayé de faire ressortir ici.

 

(Photo : amandajane)

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