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Suicide d’infirmière : les assassins invisibles

Gaëtan Pelletier

Au prix de quels bonheurs et de quelles douleurs, enfin, le salarié fabrique, résiste, crée, s’épanouit ou craque ? « Le travail est un carrefour de valeurs différentes et de finalités divergentes ». Nous faisons face a une déshumanisation presque totale du monde du travail : peur du chômage, isolement dans l’entreprise, compétition avec les collègues… tout ce qui, en fait, réduit doucement mais sûrement l’individu à « sa seule dimension économique.   Salade niçoise

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Un sac vide tient difficilement debout.

Benjamin Franklin

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(Québec) Une infirmière du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) qui s’est donné la mort avait été forcée de retourner au travail, alors que son entourage constatait qu’elle était inapte à le faire. Dans une lettre laissée à ses proches, la femme de 58 ans soulignait elle-même que son retour précipité au travail constituait une des difficultés qu’elle vivait.

Quatre infirmières du CHUQ se sont suicidées depuis un an et demi, a confirmé jeudi la direction du centre hospitalier (lire l’encadré). L’une d’elles, que nous appellerons Diane, avait 37 ans d’expérience et était à un an et demi de sa retraite. Le Soleil a parlé avec l’une de ses proches, qui a confirmé de nombreuses informations obtenues d’abord de la part d’une collègue.

Diane était en congé de maladie lorsqu’elle a dû rencontrer le médecin du bureau de santé du CHUQ pour une contre-expertise.

À sa sortie du bureau, «elle avait les larmes aux yeux parce que le médecin la retournait au travail. Elle m’a dit qu’elle n’était pas prête», a raconté la collègue qui l’a rencontrée à ce moment. Cyberpresse

Le bonheur….

Sois heureux avec le moment. Tout bonheur qui dure est malheur. Aie du respect pour tous les moments, et ne fais point de liaisons entre les choses. N’attarde pas le moment : tu laisserais une agonie. Vois : tout moment est un berceau et un cercueil : que toute vie et toute mort te semblent étranges et nouvelles.
Schwob, Le Livre de Monelle, 1894, p. 19.

Le travail n’a jamais tué personne… Jusqu’à maintenant. Jusqu’à ce qu’il devienne un « but » dévié  pour une société où les travailleurs sont piégés  dans une toile d’araignée tissée par des bureaucrates aux mains d’un beige lavabo.

Faire le bien et se faire mal. Avoir mal au travail. Ça n’en finit plus.

Ce  « fait divers » passera… Mais on prolongera la durée de vie d’un mode de « vie » où les chiffres parlent, les mots se taisent, et les cris de désespoirs étranglent bien des travailleurs.

Il faut bien le dire en mots crus : notre société en est une où on mensonge à coups de propagandes de deux faussetés :

  1. Plus on a ( matériel) ,  plus on est heureux.
  2. Faites carrière et réalisez-vous.

Jetez un œil dans votre entourage. Vous serez étonné de voir le nombre de personnes dites en « détresse psychologique ».

L’énoncé est aussi raffiné que l’histoire de l’aveugle devenu « non voyant ». La réalité est passée au savon… Un monde ou tout est frelaté. Dans quelques années les morts deviendront des « non-vivants».

Le bonheur de grand-mère…

C’était chaque jour le même paysage d’eau et d’herbe, le même bruit de machine et d’eau : mais nous aimions qu’un seul matin ressuscitât de matin en matin, un seul soir de soir en soir. C’est ça le bonheur : tout nous était bon.
S. de Beauvoir, Les Mandarins, 1954, p. 423.

Dans les années 50, dans un petit patelin, de maisonnettes, de bois, de rivières, grand-maman était sans doute la plus pauvre des femmes. Mais elle avait quelque chose pour vivre en harmonie avec la nature et les êtres : un jardin, une famille, des rires, 17 enfants, et un peu de gin…

Elle vivait l’hiver parce que c’était l’hiver. Elle vivait l’été, parce que c’était l’été.

Dans son potager, avec sa robe fleurie, elle se fondait à la terre.

Elle est décédée dans notre maison, à l’âge de 86 ans.

C’était en 1966, je crois.

Pas une seule seconde de sa vie, elle a pensé au suicide. Tout simplement parce qu’elle connaissait la nature et ses lois.

Elle égrenait un gros chapelet noir chaque jour. Aujourd’hui, on fait du yoga, de la méditation transcendantale, des thérapies, et on commence à penser au sexe à 14 ans.

Elle a fait tout ça, sans l’aide de l’État.

Je pense qu’elle m’a appris à être heureux avec presque rien. Même pas de papiers, de formules à remplir.

Elle n’a jamais su ce qu’était qu’un psy.

Et c’est pour ça que je me dis que la misère compliquée est bien pire que la simple.

Le tapis et la poussière

Aujourd’hui, un art de vivre (sic) consiste à cacher les misères créées en les enfouissant sous un gros tapis de formulaires, de complexités, d’analyses, de spéculations, de pilules, d’hyper organisations, de spécialistes faisandés,  pour en arriver à un résultat inférieur et à une vie dénaturée . La nature, ce n’est pas seulement les plantes… C’est nous. Nous dans nos relations, notre quotidien. La race humaine…

Le coupable est dans le « papier »… Tout est complexe, et de la tête du haut fonctionnaire, jusqu’aux petits exécutants, les ordres étant les ordres, on obéit. Il n’y a pas de procès à faire. Ni personne à blâmer…

C’est un déni de nos l’échec de notre société… On peut analyser  autant  qu’on voudra pour connaître des « pourquoi » des « raisons », et du reste… Les formules et les artifices  ne remplaceront jamais la Vie. Nous sommes devenus tout simplement hypocritement des assassins invisibles.

La manière de faire a tout dépassé. Même ce qui serait le but ultime : l’humain.

Humanisme. Un mot… Un mot enseveli sous la couche trop épaisse du circuit complexe entre la « machine » et l’être humain.

Tant et si bien que l’on ne comprend plus rien.

C’est la fondue totale des humains par un système de bureaucrates qui font leur boulot.

On meurt donc en court « de feuille » ou de rapports…

Les travailleurs sont maintenant enterrés dans une fosse commune : le tapis.

On veut bien être boss, mais pas nettoyeur…

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P.S. : Elle avait un beau chapelet la grand-mère… Je me demande si cela ne remplace pas tous les formulaires, les états d’âme piteux, la vanité,  et n’éloigne pas les diables qui nous fournissent des formules de bonheur.

Si elle avait été une infirmière de carrière… Je ne l’aurais peut-être pas connue…

Et certains enfants ne connaîtront pas leur grand-mère.

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Les défis de la santé – le modèle québécois

Tout d’abord, j’aimerais vous présenter mes excuses car je n’ai pas eu le temps de pondre un billet original cette semaine.  J’avais de bonnes intentions, je voulais vous parler (encore une fois) des enjeux qui se présentent devant nous en ce qui concerne la lutte au déficit et à la réorganisation des services publics québécois.  Avant d’attaquer le sujet, je voulais prendre le temps de lire le deuxième fascicule du Ministère des Finances, réécouter le mini-débat présenté par Gérald Fillion à RDI mercredi soir et consulter d’autres textes avant de vous présenter quelques réflexions.  Si vous me le permettez, je remets ça à la semaine prochaine.

J’aimerais toutefois profiter de cet espace en réagissant au billet publié hier par Philippe David, un texte dans lequel il nous présentait le modèle singapourien de financement des soins de santé.  Évidemment, on comprend la démarche de Philippe et l’attrait que peut provoquer les bons coups de ce système.  Surtout que la responsabilisation de l’individu dans le financement et l’accès aux services est primordial dans le succès que semble avoir leur réseau de santé.  Là-dessus, je rejoins nos amis libertariens, il est primordial que les citoyens – incluant les employés, les gestionnaires, les fournisseurs et les lobbies – se responsabilisent face aux enjeux et qu’il y ait une prise de conscience collective sur les coûts inutiles et les problèmes qui sont causés (volontairement ou involontairement) par les abus de toutes sortes.

Je m’en tiendrai donc aujourd’hui à publier un extrait d’une étude réalisée par deux experts québécois, le docteur François Béland et Mme Caroline Cambourieu, sur les enjeux reliés à la privatisation des soins de santé. ici au Québec.

« L’introduction de l’assurance privée et de sa conséquence, le développement d’un secteur privé de prestation des soins financés de sources privées, sont beaucoup plus ambitieux que l’imposition de frais modérateurs à l’utilisation de services de santé couverts par un régime public.  Les objectifs des États sont multiples et la rhétorique politique remplit de bonnes intentions.  Les objectifs recherchés sont le contrôle des coûts globaux des services de santé, la prestation de soins appropriés et de qualité et même l’accès équitable aux soins pour les patients (Cremer et al., 2007).  L’Australie et l’Irlande en sont deux exemples.  À l’analyse, il apparaît que le développement d’un secteur privé de prestation de soins appuyé par une politique publique favorable à l’assurance privée n’a pas permis de réduire les dépenses publiques de santé en Australie, a accru la part de la richesse nationale consacrée à l’ensemble des services de santé, a produit des inégalités d’accès aux services hospitaliers, n’a pas amélioré la qualité des soins et a accru l’inégalité de la distribution des revenus entre les ménages.

Ici, comme dans le cas des frais modérateurs, il y a erreur de perspective.  Le financement privé peut permettre à des groupes de personnes d’accélérer leur accès à des services de santé en plus grande quantité.  L’accès à des services de qualité est une toute autre chose, comme le montre l’exemple de l’Australie et de l’Émilie-Romagne.  Dans certaines circonstances, la quantité peut être associée à la qualité, dans d’autres, non.  Et les services offerts en plus grande quantité par l’intermédiaire du financement et de la prestation privés se concentrent sur les procédures les plus profitables et aux patients à la santé la moins défaillante.  Ces résultats sont la conséquence du mobile qui anime le financement et la prestation de services médicaux privés: pour les patients, la maximisation de l’utilité des services médicaux et hospitaliers sous contrainte des limites de leur revenu personnel; pour les assureurs, des remboursements minimums pour des primes maximums; pour les prestataires, la production du maximum de procédures les plus satisfaisantes du point de vue professionnel et les plus payantes du point de vue économique.

Les effets pervers de l’application de la logique du financement et de la prestation privés des services médicaux apparaissent dans toutes leurs splendeurs quand ils se mixent à la logique de la prestation publique des services de santé.  Les hôpitaux publics qui s’ouvrent à la pratique privée sous le motif d’additionner une source de financement risquent de voir jouer la logique à l’inverse.  Plutôt que de voir les sources de financement privées subventionner les soins aux patients admis sous le régime public, la logique de la différentiation des clientèles les fera subventionner les soins aux patients admis sous un régime privé par le financement public.  Le principe de la différentiation des clientèles a été développé par Dupuit (1849) qui soulignait l’exemple de la gestion des tarifs des chemins de fer françcais du XIXème siècle.  Voilà une belle occasion de gérer nos hôpitaux comme les chemins de fer français de cette époque!

Enfin, les régimes publics d’assurance santé transfèrent des revenus des classes économiques les plus favorisées aux classes économiques les moins favorisées.  L’exemple de deux provinces canadiennes montre que la valeur des transferts varie en fonction de la progressivité du financement du système de santé.  Deux observations sont cependant universelles.  Premièrement, puisque la santé est associée aux revenus, il y a toujours transfert.  Deuxièmement, toute augmentation du financement privé des services de santé par des frais modérateurs, des paiements directs des ménages à des services de santé désassurés ou l’accroissement de la part des assurances privées diminuent les transferts.  Encore une fois, l’exemple australien est emblématique.  L’intérêt économique des classes de revenu les plus élevées sera toujours de diminuer autant que faire se peut la part du financement public et d’accroître la part du financement privé.  Cela pourraît bien être le secret de la pérénnité du débat sur le financement privés des services de santé! »

François Béland et Caroline Cambourieu – L’assurance privée: les autres le font, pouquoi pas nous?  Tiré du lu livre « Le privé dans la santé, les discours et les faits« .  À lire.

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