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Le multiculturalisme pour les nuls (et autres considérations)

 

Par Renart Léveillé

 

Le multiculturalisme n’est pas synonyme de tolérance. L’anti-multiculturalisme n’est pas synonyme de racisme ni de xénophobie. Et en discuter ne devrait pas être tabou. Le multiculturalisme représente le message étatique de la politique d’immigration. Le message, en amont et en aval. Autant pour ceux qui accueillent que pour ceux qui sont accueillis.

Pour ce qui nous concerne, c’est la position du Canada, celle du Québec se retrouvant sous le vocable « interculturalisme » (et je n’essayerai pas de faire ressortir dans ce billet les différences entre les deux, et s’il y en a). Bien que l’État québécois ait son « mot à dire » sur l’immigration, les immigrants débarquent officiellement au Canada. Alors, le message multiculturaliste a toujours priorité.

Le multiculturalisme, c’est donner le message aux nouveaux arrivants qu’ils peuvent « conserver leur identité », ce qui, dans un contexte d’intégration, n’est pas très loin de l’absurdité (la citation qui précède provient du site « Citoyenneté et Immigration Canada »). Dans l’optique que l’identité d’une personne est en constante évolution, le message du multiculturalisme est donc de ralentir cette évolution, voire de l’empêcher — comme dans le cas des immigrants qui s’enferment dans des ghettos culturels et qui n’ont aucun lien avec la société d’accueil.

Et internationalement, les critiques se font de plus en plus entendre. Après Nicolas Sarkozy et Angela Markel, c’était au tour de David Cameron de fustiger cette politique :

Avec la doctrine du multiculturalisme d’État, nous avons encouragé les différentes cultures à vivre des vies séparées, séparées les unes des autres et coupées de celle de la majorité. Nous avons échoué en ne proposant pas une vision de la société à laquelle ces communautés auraient pu se sentir appartenir. Nous avons toléré des communautés pratiquant la ségrégation et se comportant de manière totalement opposée à nos valeurs.

 

Et il faut ajouter que ce discours se place dans un contexte autrement plus difficile que le nôtre, où, par exemple, les intégristes sont beaucoup plus proactifs qu’ici. Mais ce n’est pas parce que ça va beaucoup mieux ici qu’en Europe qu’il faut pour autant balayer la question sous le tapis.

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Mais ici, au Québec, le piège du multiculturalisme s’amplifie par la problématique du fait français. Dans ces conditions, il est aisé de faire un lien entre le multiculturalisme et le multilinguisme (synonyme de bilinguisme). On en vient même à se demander si c’est seulement un hasard si l’ancien Premier Ministre du Canada Pierre-Elliot Trudeau, celui qui est derrière la politique du multiculturalisme, a déjà tenu les propos suivants :

Quand tous les Québécois seront bilingues, ils ne verront pas d’objection à passer à l’anglais.

 

Il est clair pour moi que son idée a déjà fait un bon bout de chemin. Les exemples fusent, on ne compte plus les francophones qui préparent le terrain à ce possible changement de paradigme linguistique. Et P.E.T. ne se doutait même pas comment la mondialisation allait l’aider…

Parlant mondialisation et multilinguisme, cet extrait trouvé sur Wikipédia est assez représentatif du contexte actuel :

 

Il existe une politique officielle du multilinguisme dans l’Union Européenne. Cependant, les résultats de cette politique ne sont pas aujourd’hui à la hauteur de l’espérance : livrés à eux-mêmes, les Européens se sont tournés logiquement vers la langue la plus utile, l’anglais […]

Cette attitude, pourtant prévisible, a grandement contribué à faire progresser l’influence de cette langue sur le plan mondial. Ironiquement, le laisser-faire européen a surtout profité aux intérêts commerciaux des États-Unis d’Amérique, en leur permettant d’exporter leurs chansons, leurs films et leurs livres, aux dépens des langues nationales et régionales de l’Europe, mais aussi aux dépens de la richesse du patrimoine culturel européen.

 

Ici, il est bien clair que ce phénomène est beaucoup plus marqué, dans cette américanité du nord hautement anglo-saxonne. Et quand le multiculturalisme se propose « d’aider les immigrants à apprendre une des deux langues officielles », on se retrouve véritablement avec des citoyens qui baragouinent l’anglais lors de leurs rares excursions hors de leurs ghettos. Et bien sûr aussi ceux qui s’intègrent à la minorité anglophone. Une chance que ce n’est pas la totalité, et que ça tend à s’améliorer pour la génération suivante.

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Donc, je ne donne pas ici dans le fatalisme. Mais je me dresse contre ceux qui ne voient pas le piège, ceux qui font de l’aveuglement volontaire. Et je n’écris pas non plus en réaction à de mauvaises expériences personnelles avec des immigrants. C’est plutôt le contraire. La garderie de ma fille est tenue par un couple d’Arabes et tout va très bien. (Par contre, alors que nous magasinions les places de garderies, nous avons remarqué que toutes les garderies disponibles étaient tenues par des gens d’origine arabe. Serait-ce le signe d’une certaine peur de beaucoup de parents de notre région? En tout cas, le lien est facile à faire…)

Et, pour terminer ce billet, je vais me permettre de raconter une anecdote. Elle illustre très bien un exemple d’intégration réussie (en tout cas, pas vraiment dans l’optique du multiculturalisme…).

En revenant de la garderie, en sortant de la voiture, ma fille de deux ans pointe le ciel et dit : manjou nouné! (Elle dit « mangou » pour « manger » et « nouné » pour « lune »). J’ai trouvé ça drôle, mais n’ai pas compris le sens sur le coup. Juste avant de me coucher le soir, j’ai fini par comprendre : comme la lune n’était pas pleine, elle pensait que le bout qu’elle ne voyait pas avait été mangé!

Le lendemain soir, quand je suis allé la chercher à la garderie, j’ai raconté l’anecdote à la dame qui s’en occupe. Elle a rétorqué, avec le sourire :

— Non, non, non! Je ne parle pas aux enfants en arabe! Je ne parle même pas arabe avec mes propres filles, elles ne le parlent pas de toute façon!

(Elle vient d’un pays arabe qui a comme deuxième langue le français et son conjoint non, visiblement, avec son fort accent.)

Encore, pour ce qui est de la religion, si elle est croyante rien ne m’indique qu’elle soit pratiquante. Vous pourrez me lancer autant de tomates que vous le voudrez, mais je dois avouer que c’est la situation idéale. Si ma fille a un rendez-vous avec Dieu, j’aimerais qu’elle le rencontre en toute connaissance de cause… Et je ne veux personne pour lui apporter l’existence de Dieu comme une vérité toute faite, ce qui est bien sûr le modus operandi de la perpétuation du religieux.

Et c’est ici que ça se termine, enfin, pour l’instant.

 

(Photo : appoulsen)

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Pour Sarkozy, les aspirations du Québec ne sont que « sectarisme », « enfermement sur soi-même » et « détestation de l’autre »

De passage à Radio-Canada, dans le cadre du lancement de son sixième Tome, Le désarroi contemporain, Jean-Claude Guillebaud était sidéré des propos qu’a tenus Nicolas Sarkozy sur le Québec. « Nicolas Sarkozy est un voyou ! », a lancé l’auteur.

Nicolas Sarkozy est incapable d’accepter les règles de la diplomatie, voire même de la bienséance. L’homme, je dis bien l’homme, se croit tout permis, jusqu’à déshonorer sa fonction de président de la République. Le premier ministre du Québec a été élevé, dans le salon d’honneur de l’Elysée, au grade de commandeur avec une volée de bois verts. Nicolas Sarkozy maitrise parfaitement les mécanismes de la controverse, dans laquelle il adore se vautrer.

Nicolas Sarkozy, à l’occasion de la remise de la Légion d’honneur au Premier ministre du Québec, et en présence de personnalités québécoises, canadiennes et françaises, dont Paul Desmarais, Grand-Croix de la Légion d’honneur, s’est livré à une pitoyable ingérence politique dont lui seul est capable. Selon l’homme, « les aspirations du Québec ne sont que « sectarisme », « enfermement sur soi-même » et « détestation de l’autre ». L’autre étant le Canada. C’est la vision manichéenne de Nicolas Sarkozy sur les relations du Québec avec le Canada. Impossible pour lui de rester dans les limites de la dignité protocolaire. Un commentateur français déclarait sur les ondes de Radio-Canada que le Quai d’Orsay n’avait pas été habitué, ces dernières décennies, à autant de crises sur plusieurs scènes de la diplomatie internationale. Il voyait en Nicolas Sarkozy une volonté de mettre une couche sur la tombe du Général de Gaule, et sur son héritage. Nicolas Sarkozy aura été le dernier chef d’État du monde occidental à coller au Bushisme. C’est le voyou, comme l’indiquait l’écrivain français, qui transcende. Les aspirations du Québec en matière de souveraineté sont le fait, selon l’homme d’État, « du sectarisme, de la division, de l’enfermement sur soi-même ». Le petit homme d’État mesure-t-il le poids des mots ?

Sur un ton proprement vulgaire, frôlant la familiarité, au vu des circonstances, l’homme d’État a lancé : « Honnêtement, ce n’est pas mon truc ». Si le Québec n’est pas son truc, l’homme aurait été mieux avisé d’éviter d’étaler son mépris à l’égard d’un peuple qui défend sa culture, sa langue et son aspiration à une autodétermination depuis plus d’un siècle. Défendre la langue française, la francophonie, et aspirer à l’indépendance selon les règles démocratiques est une faute grave aux yeux de Nicolas Sarkozy. Que connaît-il de l’histoire du Québec et du Canada ? Ce qu’a bien voulu lui dire Paul Desmarais, tant s’en faut. L’homme d’État aurait dû savoir que, selon un sondage fin janvier, 43% des Québécois sont actuellement favorables à l’indépendance de la province francophone et 57% contre. L’ingérence politique est coutumière chez Nicolas Sarkozy. Elle accompagne ses aptitudes aux turbulences sismiques. La question que se posent plusieurs québécois est la suivante : « pourquoi, face à de tels propos, Jean Charest n’a-t-il pas refusé cette Légion d’Honneur ? » Picasso l’a bien refusée à deux reprises. Le Premier ministre du Québec a évité d’ajouter aux propos disgracieux de Nicolas Sarkozy. La diplomatie était de mise.

André Pratte est éditorialiste en chef du quotidien La Presse, propriété de Paul Desmarais. Si si. De Paul Desmarais. Et que dit André Pratte : « Les lecteurs de La Presse connaissent mon point de vue là-dessus, je suis d’accord avec le président. Mais celui-ci a été trop loin en associant les indépendantistes du Québec au «sectarisme», à l’«enfermement sur soi-même», à la «détestation» de l’autre. Dieu sait si je suis en désaccord profond avec la thèse souverainiste. Mais je ne dirai jamais que les souverainistes sont des gens «sectaires» ou repliés sur eux-mêmes. Ce n’est certainement pas le cas des leaders du mouvement, qu’il s’agisse de Mme Marois, de M. Duceppe, et des autres. C’est toujours le risque quand un politicien étranger se mêle de débats dont il ne maîtrise pas toutes les nuances: il exagère, il caricature ».

Patrick Lagacé est chroniqueur au quotidien La Presse. Le même quotidien que l’éditorialiste-en-chef André Pratte. Qui appartient toujours à l’ami de Sarkozy, Paul Desmarais. Que dit Patrick Lagacé : « J’écoutais d’une oreille distraite, voyez-vous. Mais j’ai failli emboutir l’auto devant moi quand j’ai réalisé que Sarkozy parlait des souverainistes québécois. Sur René-Lévesque, en plus ! » […] « On n’est même plus dans le registre de l’opinion, de la subjectivité, ici. On est dans le domaine de la fabulation, de l’erreur factuelle, de la lecture totalement faussée du monde. Ce qui est inquiétant ! Car notre « conflit » Québec-Canada est mille fois moins compliqué que le conflit israélo-palestinien, par exemple, conflit dans lequel Nicolas Sarkozy s’est mis le gros orteil, au début de l’année… »

Louise Beaudoin, francophile et ex-ministre dans des gouvernements péquistes, répond avec nonchalance : « J’ai plutôt envie de sourire. (…) Nous, agressifs, repliés sur nous-mêmes? Je ne me reconnais pas là-dedans. M. Sarkozy fait la preuve de sa méconnaissance du Québec. Le Québec, c’est au-delà de Sagar ». Sagard est le lieu de la résidence somptueuse de Paul Desmarais, dans Charlevoix, qui a accueilli à quelques reprises Nicolas Sarkozy, avant son élection à la présidence française.

Christian Rioux, du quotidien Le Devoir, était à l’Élysée, en tant que journaliste, lors de cette deuxième sortie intempestive de Nicolas Sarkozy contre le Québec. Ce dernier rapporte que Nicolas Sarkozy voit dans la formule « non-ingérence et non-indifférence » une forme de haine de l’autre. Nicolas Sarkozy a lancé, sur le ton familier qui, à ses yeux, excuserait ses outrances : « Croyez-vous, mes amis, que le monde, dans la crise sans précédent qu’il traverse, a besoin de division, a besoin de détestation? Est-ce que pour prouver qu’on aime les autres, on a besoin de détester leurs voisins? Quelle étrange idée! »

Relisez attentivement cette phrase du président de la France : « Ceux qui ne comprennent pas cela, je ne crois pas qu’ils nous aiment plus, je crois qu’ils n’ont pas compris que, dans l’essence de la Francophonie, dans les valeurs universelles que nous portons au Québec comme en France, il y a le refus du sectarisme, le refus de la division, le refus de l’enfermement sur soi-même, le refus de cette obligation de définir son identité par opposition féroce à l’autre ».

Nous n’en sommes plus, en effet, à la « non-ingérence et non-indifférence » mais à l’ingérence tout court. Henri Henrard, de Branchez-vous Matin, écrit : « De quoi se mêle le père du célèbre « Casse-toi, pauv’ con » ? Et l’auteur répond : « Fidèle à sa maniaco-oligarchie, le monarque français n’a écouté que lui-même en nous concoctant des phrases tellement simplistes qu’elles pourraient faire l’objet d’une chanson dans le prochain album de son épouse ».

De quelle courtoisie est capable cet homme d’une profonde vulgarité ! Nicolas Sarkozy a réussi à éclipser l’événement : ce n’est plus à une remise de Légion d’honneur à laquelle ont assisté des personnalités du Québec mais à une sortie en règle du président de la France contre le Québec. Et cela en présence même du Premier ministre du Québec et d’autres personnalités : Luc Plamondon et Carole Laure, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, les hommes d’affaires Ernest-Antoine Seillière et Bernard Arnault, le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, ainsi que le maire de Québec, Régis Labeaume.

Il ne faut pas oublier quelques bonnes perles lancées par Nicolas Sarkozy. Dont celle-ci : « le message de la francophonie » en est un « d’union », « d’ouverture » et « de tolérance ». Et cette autre citation qui va passer à la postérité : « Pour vous aimer, je n’ai pas besoin de détester les autres ».

Gérald Larose, président du Conseil de la souveraineté, tient à préciser que « s’il y a du sectarisme, ce n’est pas au Québec. S’il y a de l’agressivité, ce n’est pas au Québec. Ce mouvement de la souveraineté et de l’indépendance se vit dans un rapport démocratique exemplaire. C’est un projet qui a de l’envergure, qui a de la hauteur. Ce ne sont pas des petits mots plutôt mesquins sifflés dans l’oreille de M. Sarkozy qui vont arrêter ce projet-là ».

Nicolas Sarkozy a également un sens aigu des amitiés. Il remet au Premier ministre du Québec, Jean Charest, le grade de Commandeur. Le premier ministre, René Lévesque, avait reçu, en 1977, des mains de Valéry Giscard d’Estaing, la dignité de Grand Officier. Paul Desmarais, grand ami de Nicolas Sarkozy, reçoit pour sa part la plus haute distinction de l’Ordre, celle de Grand-Croix. Le club prestigieux des Grand-Croix ne regroupe qu’une soixantaine de personnes. L’histoire ne dit pas si c’est pour services rendus à la France ou à Nicolas Sarkozy.

En terminant, le président, qui ne voit dans les aspirations du Québec qu’un sectarisme est l’objet d’une chute vertigineuse dans les sondages. S’il veut disposer de tout, il indispose partout. À l’étranger comme en France. Deux Français sondés sur trois (62%) estiment que la politique actuelle du gouvernement ne permet pas de lutter efficacement contre les effets de la crise. Et 59% des personnes interrogées ne sont « pas satisfaites » des réactions du chef de l’État et du gouvernement, quelques jours seulement après la grande journée de mobilisation du 29 janvier, rapporte Le Figaro. Qui plus est, 61% des 1002 personnes sondées disent souhaiter que les syndicats poursuivent la mobilisation. Nicolas Sarkozy déclarait, il y a quelques semaines : « Dans notre famille politique, j’ai plus de respect, d’amitié, de reconnaissance pour ceux qui conduiront le combat que pour ceux qui suivent le combat des autres ». Le combat du Québec pour sa survie ne trouve pas grâce auprès de Nicolas Sarkozy, inspiré qu’il est en cela par son ami, Paul Desmarais.

L’homme de la rupture est en fracture complète avec la France. Et avec la modernité du Québec qu’il n’a jamais su approfondir, par paresse intellectuelle. L’homme qui ne lit pas ne peut approfondir. S’instruire par ouïe-dire comporte son lot de risques et de pièges dans lesquels tombe invariablement Nicolas Sarkozy.

(Caricature de Renart L’éveillé)

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