
Ceci continue ma série sur le libre-marché, dans l’introduction nous avons eu, grâce au texte «Moi, le Crayon», un bref aperçu des processus très complexes que le marché accomplit sans aucune autorité planificatrice pour coordonner le tout. Nous avons vu que pour fabriquer un simple crayon, une grande quantité d’outils et d’infrastructures doivent déjà avoir été construites afin d’extraire la matière première, d’acheminer ces matières vers diverses usines qui, à leur tour fabriqueront les diverses composantes qui serviront à l’assemblage final. S’il n’y a aucun chef d’orchestre qui dirige le tout, ce que beaucoup croient nécessaire, comment alors arrive-t-on à fabriquer ce crayon?
Bien des gens s’imaginent que le marché est incapable d’une telle coordination. Pourtant, c’est ce que le marché fait à chaque minute de chaque jour. Chaque jour, d’innombrables individus participent à la fabrication de crayons, de produits alimentaires, d’automobiles, et des nombreux gadgets qui rendent notre vie plus agréable, sans même se connaitre l’un l’autre, sans même savoir comment les autres contribuent au produit qu’ils fabriquent. La coordination de tous ces processus de production de l’économie mondiale est si complexe qu’il n’existe aucun ordinateur au monde qui soit suffisamment puissant pour le faire, encore moins une personne ou un groupe de personnes. Le volume de cette information est tout simplement trop grand. C’est pourquoi Hayek disait que la planification centrale d’une économie est une «présomption fatale». Si le totalitarisme se définit par un contrôle complet par une autorité centrale, le marché est au contraire «anarchique». Son contrôle est assuré de bas en haut et non de haut en bas.
Malgré cela, certains apprentis-sorciers persistent à croire qu’à l’aide de certaines données agrégées comme le taux de chômage, le PIB, l’IPC ou la demande agrégée, ils peuvent savoir tout ce qu’ils ont à savoir pour «diriger» l’économie. Leur présomption fatale ne fait que verser du sable dans les engrenages du marché et lorsque les choses tournent mal, ils blâment le marché car c’est tellement plus facile de blâmer la cupidité des acteurs du marché que de reconnaitre qu’ils n’ont en réalité aucun contrôle sur l’économie et qu’ils la dirigent avec toute la finesse d’un taureau dans une boutique de porcelaine. Ils ne sauraient admettre que ce qu’ils appellent des «défaillances ce marché» sont en réalité le résultat de leurs interventions arbitraires. Nous allons donc commencer à bâtir les bases d’une réfutation complète de leurs prétentions.
Les premiers pionniers de l’étude de l’économie, à partir des scholastiques espagnols de l’Université de Salamanque au moyen âge, étudiaient l’économie en étudiant ce qui ce passait sur le terrain. Ils observaient comment les biens étaient produits et échangés et formulaient des axiomes basés sur ces observations. C’est ainsi qu’ils furent les premiers à observer que les acteurs du marché se servent de certains signaux afin d’obtenir de l’information sur ce qui doit être produit, en quelles quantités, etc. Le premier de ces signaux est le prix.
Le mot « prix » est dans la famille du verbe « priser » qui signifie apprécier ou évaluer. En d’autres mots, attribuer une valeur à quelque chose. Donc avant d’expliquer comment les prix sont formés sur le marché, il conviendrait de définir le concept de valeur. Pendant longtemps, nous nous sommes questionnés à savoir pourquoi les diamants ont une plus grande valeur que du pain, alors que le pain, est beaucoup plus utile à l’homme que le sont les diamants? Le concept de valeur a été chaudement débattu pendant de nombreuses années, aussi je ne vous étalerai pas toutes les différentes théories qui ont été étayées, mais je me limiterai seulement à celle que je considère la plus juste et la plus sensée.
La réponse au paradoxe du pain et des diamants est bien entendu la rareté relative des diamants comparativement au pain. Cependant, la valeur d’un bien peut-être hautement subjective et varier grandement. L’eau, pourtant essentielle à la vie, a peu de valeur dans un endroit où elle est abondante, mais elle deviendra très précieuse au milieu d’un désert. Une bouteille de sable saharien serait très rare au Canada, mais serait tout de même sans valeur parce qu’il est difficile d’y trouver une quelconque utilité. La valeur d’un bien peut très bien varier d’une personne à l’autre, selon ses goûts personnels. Je peux adorer les pommes, mais détester les bananes, je serais donc prêt à payer plus pour obtenir des pommes que pour la même quantité de bananes. Ou je serais disposé à donner plus de bananes en échange d’une certaine quantité de pommes. On dit souvent que la beauté est dans l’œil de celui qui la regarde, alors la valeur d’un bien est dans l’œil de celui qui le convoite. De plus, la valeur peut également être sujette aux choses alternatives qui pourraient être obtenues. Ainsi, dans l’échelle des valeurs de la plupart des gens, il est plus important d’obtenir les choses essentielles comme la nourriture, des vêtements et un toit au-dessus de nos têtes que des objets de luxe. Ces objets de luxe n’auront de valeur pour nous que si nous avons les moyens de nous les offrir sans sacrifier l’essentiel.
La subjectivité de la valeur joue un grand rôle dans la formation des prix sur le marché. Le prix que vous payez au supermarché pour les différentes denrées n’est pas fixé arbitrairement. Il est le résultat de plusieurs facteurs. Il est influencé par l’abondance ou la rareté, par une demande particulière pour un certain produit, etc. Le prix livre certaines informations aux acteurs du marché. Ainsi par exemple, si une période de sécheresse causait de très mauvaises récoltes dans l’ouest canadien, il y a fort à parier que la rareté relative du blé qui serait causée en ferait hausser les prix, amenant les consommateurs à diminuer leur consommation de cette céréale. Le consommateur n’a pas vraiment besoin de savoir qu’il y a eu sècheresse pour agir dans ce sens, la hausse du prix transmet le besoin de rationner cette denrée. De la même façon, l’effondrement de la voute d’une mine de cuivre signifierait une diminution de l’extraction de ce minerai qui aurait un impact sur la disponibilité de cuivre sur le marché pendant un certain temps, ce qui en ferait hausser le prix. Par conséquent, ceux qui utilisent le cuivre dans la fabrication de leur produit devront agir en conséquent et diminuer leur production ou utiliser un matériau différent. Nous pouvons donc affirmer que le prix a une influence inverse à la demande d’un produit, quoique cette influence ne soit pas nécessairement proportionnelle. Si le prix d’un produit double, ce ne sera pas nécessairement vrai que la demande diminuera de moitié.
Sachant que les prix ainsi formés par les conditions variables du marché, communiquent des informations aux divers acteurs du marché, qu’arrivera-t-il si nous tentions de les contrôler arbitrairement? Ce serait effectivement comme un brouillage radio. Les prix fixés arbitrairement ne transmettraient plus d’information sur les conditions du marché. Dans l’exemple plus haut des récoltes détruites par la sécheresse, si on plafonne le prix pour éviter qu’il ne monte trop haut, les consommateurs, ne voyant pas le prix augmenter, continueraient de consommer du blé au même rythme qu’avant, alors qu’il y a beaucoup moins de stock disponible. Le résultat est prévisible, il y aurait vite une pénurie. Si par contre, on fixait les prix trop hauts, on se retrouverait avec un surplus de blé qui pourrirait dans les silos. Dans tous les cas où des contrôles de prix ont été appliqués par des gouvernements, nous avons constatés les même effets, tant pour l’essence aux États-Unis en 1973, que le lait au Venezuela plus récemment. Ce ne sont pas des défaillances du marché, mais bien au contraire les conséquences de l’intrusion des gouvernements sur le marché.