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La spéculation comme prospective hasardeuse

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Il y a deux sortes de spéculation. La spéculation sur production et la spéculation sur mouvements financiers. Il est important de ne pas les confondre car leur caractère hasardeux n’est pas tributaire des mêmes avatars.

Spéculation sur production: Une usine de machines à coudre de Shanghai voit sa production augmenter de huit cent unités par mois. Éventuellement, elle ne fournit plus à la demande. Il vient donc un moment où, devant cette croissance sensible bien attestée, elle doit s’ajuster. Elle doit amplifier ses infrastructures, augmenter ses acquisitions de matières premières, embaucher plus de travailleurs. Une banque accepte de la financer sur la foi prospective de cette augmentation stable de huit cent unités par mois. L’industriel, et la banque qui le finance, misent ensemble que cette augmentation va se poursuivre avec constance sur un laps de temps suffisamment long (fantasmatiquement, infini en fait) pour que l’investissement et l’amplification de la production s’avèrent fructueux. Ce type de spéculation industrielle, inévitable dans la situation d’investissement productif la plus ordinaire, est à l’origine de la majorité des crises de surproduction. On connaît bien, depuis 1929, la grandeur et les misères de la spéculation directe sur production… or justement, les pays émergents n’étaient pas dans le tableau du capitalisme industriel en 1929. Pour eux, ce sont encore les années folles…. Ouille, ouille, pour la suite… On doit mentionner ici, aussi, la spéculation foncière, qui est une spéculation indirecte sur production. Un investisseur achète un terrain en calculant qu’il le vendra plus cher plus tard. Si c’est le cas, c’est parce que ledit terrain deviendra agricolement exploitable, où qu’on y trouvera des mines, ou qu’on y fera passer un chemin de fer où qu’on y construira des maisons, parce qu’une usine ou des bureaux administratifs s’installent dans le coin. Dans tous ces cas la spéculation foncière mise indirectement sur le fait que la production et son développement rendront la terre plus chère. Comme la spéculation sur production industrielle, la spéculation foncière reste raccordée aux portions primaires et secondaires (éventuellement tertiaires aussi) de l’économie réelle.

Spéculation sur mouvements financier: Un investisseur matois se voit promettre un retour de 15% sur son placement. Il flaire qu’il s’apprête à faire un investissement dans un schème de Ponzi. Ce dernier semble en phase d’amorce et la police de la bourse n’a rien vu encore. Notre investisseur joue l’argent (des autres) qu’il gère et le place dans ce mécanisme pour trois ans. Trois ans plus tard, pari gagné, le schème n’est pas encore éventé, cet investisseur là retire son placement et sa mise. Il est indemne, et le château de carte s’écroulera un peu plus tard, sans risque désormais pour lui. Fiiiooouuu…Par parenthèse, ceux qui se demandent où est passé l’argent, lors du démantèlement d’un schème de Ponzi. Il est là, chez les investisseurs qui ont su s’envoler avant que la vague ne retombe. Ponzi se fait pincer mais l’investisseur matois à qui il a servi de paravent court toujours. Un autre exemple de spéculation sur mouvements financiers, c’est l’achat massif de devises. Le Yuan est bas, vous en achetez pour des millions en Euros, en assumant qu’il va remonter. Quand le Yuan remonte effectivement, vous revendez vos Yuans pour plus d’Euros que la somme initialement engagée. Ta-daaaam, vous venez de faire un coup d’argent facile en faisant jouer la fluctuation des changes à votre strict petit avantage privé.

Le principal avatar de la spéculation sur production est la surproduction. Prenez les ordis personnels. En 1983, il n’y en a presque pas. En 1990, ils sont partout. En moins d’une décennie, la production de cette invention nouvelle s’est intégralement mise en place. Non sans myopie, on projette alors spéculativement la croissance de leur consommation sur la base de la production résultant de leur apparition intégrale. On fantasme qu’il faudra continuer d’en sortir autant qu’à l’époque où ils apparaissaient intégralement et pour la toute première fois dans le monde. Le vieux serpent de mer increvable de la surproduction des biens de consommation semi-durables, bagnoles, ordis, cahutes (et les machines à coudre de mon industriel de Shanghai) se remet alors à hanter l’industrie. J’ai acheté quatre PC et deux portables pour moi et ma famille dans la dernière décennie. Je ne vais pas en acheter autant dans la décennie prochaine, vu que je les ai… Leur usure ne sera pas un facteur aussi massivement déterminant que leur littérale apparition dans l’existence. Parfois on dirait que, même en Occident, on n’a rien appris de 1929 et qu’on continue de projeter l’exponentiel rose fluo jusqu’à ce que cela se mette à nous refouler dans la gueule.

Le principal avatar de la spéculation sur mouvements financier est l’improductivité. Fricoter dans les bouts de papier, flagosser dans le mouvement des changes, spéculer main dans la main avec Ponzi, Madoff et consort change la richesse de place mais n’en produit pas de nouvelle. En Occident, la poussée productive liée aux inventions des nouvelles technologies a produit les grands parcs informatiques contemporains. Ce n’est pas rien. Pour trouver un équivalent économique de ce phénomène vraiment peu fréquent, il faut remonter à l’invention de l’automobile, ou à celle du téléviseur. Cette productivité innovante des années 1990 a été suivie d’un crise croissante de surproduction (trop de téléphones portables, trop d’ordis, trop de logiciels, trop de «versions» de tout, et leur dévaluation en pagaille) et d’un glissement vers l’illusoire valeur refuge de la spéculation sur mouvements financier. Remplacer une spéculation d’investissements, engorgée par la surproduction, par une spéculation de placements, improductive et mordorée de rouerie et d’astuces, ne sert que des intérêts circonscrits, temporaires et est hautement nuisible socialement. Pas étonnant que les financiers contemporains basculent dans le plus grossier des banditismes, trait de plus en plus ordinaire de la guerre interne du capitalisme.

Au jour d’aujourd’hui, la spéculation sur production est surtout chinoise. Leur culture économique (comme celle de tous les pays émergent) n’a pas encore vécu un vrai équivalent de 1929 et n’a pas encore rencontré un vrai équivalent de Roosevelt. Excès de confiance, jubilation, jovialisme et tous les autres traits comportementaux du capitalisme sauvage sont en place. Le réveil sera difficile quand la crise de surproduction frappera (surtout avec, en complément de leur marché intérieur insuffisant, la baisse inexorable de la capacité de consommation de l’Occident). La spéculation sur mouvements financier est surtout américaine. C’est la fameuse Bubble & Burst Economy que dénonce Obama. Tertiarisée, improductive, de plus en plus enracinée dans la boue gluante du baratin, de l’ésotérisme abscons de boursicotard, de l’arnaque et du court terme, cette autre spéculation est un signe patent du déclin du capitalisme occidental. Les leviers financiers effectifs vont de plus en plus suivre la production effective, du nord vers le sud. À la crise de l’économie mirage de 2008, succédera une crise de l’économie réelle, industrielle, non balisée, non-rooseveltisée des pays émergents. Un 1929 à la puissance mille.

Ce que ces deux types de spéculation ont en commun c’est d’être une prospective optimiste et mécaniste sur l’augmentation de gains futurs. Spéculer c’est miser. Inutile de dire aussi qu’investir c’est fondamentalement spéculer sur un gain. Investir à perte, ce n’est plus investir, c’est renflouer. On connaît alors la rengaine instaurée par la fameuse crise de 2008: privatisation des profits, collectivisation des pertes. La spéculation est un trait essentiel, fondamental du capitalisme. Elle est à la fois sa force et sa faiblesse. Mais il faut garder à l’esprit qu’il y a spéculation et spéculation. Une spéculation durillonne de capitalisme jeune, triomphaliste et inconscient et une spéculation mollassonne de capitalisme vieilli, avachi et cynique, Et surtout, il semble bien qu’il ne sera pas possible de se débarrasser ni de la spéculation, cette fichue de prospective hasardeuse, cette gageure privée aux effets colossaux, ni de ses terribles dommages, sans se débarrasser du capitalisme même.

On notera finalement que les deux grands types de spéculation peuvent parfaitement  s’enchevêtrer et cumuler leur impact nocif. La Bulle Facebook en est l’exemple actuel le plus criant. On a d’abord une présomption de profits publicitaires mal étayée qui met en valeur ce grand vivier populaire tertiaire en le corrélant à un éventuel soubresaut de la production effective visant à fournir les marchandises rendue visibles à ces millions de consommateurs (potentiels, pour ne pas dire éventuels) par des bannières d’annonces n’ayant pas vraiment fait leurs preuves (le cas échéant, comme on anticipe ou fantasme une demande à venir, on a bel et bien une spéculation sur production, molle mais indubitable). Entrent en action ensuite (surtout!), dans une phase intimement intriquée mais distincte, une nuée virulente de spéculateurs puissants et spécialisés qui, selon une procédure finalement assez analogue à celle des scalpeurs de billets de concerts rock ou de parties de hockey, achètent et revendent des parts en masses colossales et vite, (spéculation très dure sur mouvement financier) gonflant artificiellement une valeurs déjà en soi hautement instable. L’art de démultiplier l’ampleur d’un krach en ne produisant strictement rien de profitable pour la société civile ou même, pour les entrepreneurs eux-mêmes, dont même la logique arriviste étroite est spoliée par la classe parasitaire des financiers spéculateurs, cancer économique par excellence de ces temps de capitalisme troublé.

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La Bourse et/ou la vie!?

 

Par Renart Léveillé

Les récents soubresauts de la Bourse donnent des sueurs froides à certains plus qu’à d’autres, mais au final le risque reste somme toute assez généralisé. Si le château de cartes s’effondre, les répercussions se feront sentir partout.

C’est pourquoi il serait intéressant de regarder la dynamique sociétale qu’accompagne le système de la spéculation boursière. Puisque justement ce jeu est plus qu’un simple jeu. On pourrait aller jusqu’à dire que la santé de la société en dépend : dans l’optique où l’économie y compte pour beaucoup, étant donné qu’elle est liée à la satisfaction des besoins essentiels. L’économie est bien sûr aussi très liée aux autres besoins (ceux qui ont entre autres été créés pour l’alimenter dans la fuite en avant de la croissance rapide) mais nous nous entendrons pour pointer l’importance de la survie (ou le confort) du plus grand nombre. Et avec en tête qu’une crise financière importante ne fait jamais en sorte que « les derniers seront les premiers »…

Alors, il est très facile de faire une ligne directe entre la spéculation boursière et l’équilibre sociétal, pour ne pas dire le bonheur social (selon le contexte actuel, sans pour autant occulter son imperfection et ses problèmes). Il serait donc honnête d’affirmer que la pérennité du bonheur social n’est pas entre les mains de tous, mais bien entre les mains d’une élite ayant les moyens financiers de mettre son poids dans la balance (de la Bourse). Parce qu’il faut se le dire franchement, ce qu’on pointe comme étant « la confiance dans les marchés » a tout à voir avec l’individualité, rien avec la collectivité.

À la base, les choix d’un investisseur ne concernent que son propre investissement. Il n’a pas de lien avec la causalité externe dans son cheminement décisionnel. Son but n’est que de préserver ou de faire fructifier son portefeuille, ce qui semble tout à fait légitime d’un point de vue individualiste. Pourtant, c’est l’addition de décisions de non-confiance dans les marchés qui est dangereuse pour le château de cartes (l’externalité que le spéculateur n’a pas en tête lors de sa prise de décision transactionnelle). Beau paradoxe.

Dans la possibilité d’un krach, suite à un effet domino, c’est là où la multiplication d’individualités ne va pas dans un sens positif pour le plus grand nombre : c’est par conséquent l’individu contre la collectivité. Devant ce paradoxe, serait-il utile de se poser la question à savoir pourquoi un pouvoir décisionnel aussi important est laissé à des individus qui n’ont qu’un intérêt individuel, et qui en plus n’ont aucunement conscience de son hypothétique portée collective? Sans oublier l’intrinsèque absence de coupables! (C’est à dire que le point de départ d’un effet domino ne pourrait être pointé, ni même accusé s’il pouvait être pointé; donc, aucune imputabilité possible.)

Mis à part la possibilité de faire de l’« investissement socialement responsable », il semble que l’éthique échappe tout à fait à cette activité. Et la morale de même. Il est toujours seulement question de profitabilité pure sans calcul de responsabilité. C’est pourquoi il serait bien difficile de culpabiliser qui que ce soit. Cependant, la question reste la même : sommes-nous à la merci d’un pouvoir extérieur à la société, puisque ce pouvoir n’a jamais en tête le bien de son ensemble (même si le système financier participe quand même à faire « rouler l’économie »)?

Toute cette analyse donne à penser que le système actuel n’a jamais pris en compte dans sa construction ses incohérences. C’est comme si le château de cartes avait un système d’autodestruction activé par un levier que personne ne voit, mais que quiconque peut accrocher par inadvertance (l’inadvertance étant ici la peur de tout perdre). Nous pouvons sérieusement nous demander si ce système est déjà désuet dans son évolution quand même récente. Au lieu d’un système d’autodestruction, il lui faudrait un système d’autorégulation. L’on pourrait pointer comme solution l’État ou son absence, mais cela serait beaucoup trop facile…

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