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Une seule crise, deux réalités bien différentes

Jean Gagnon Dossier Actualité économique

Lundi dernier, jour de l’Action de grâce, deux textes, l’un provenant du quotidien anglais The Telegraph, l’autre de l’organisme américain National Association for Business Economics (NABE) ont retenu mon attention par leur caractère incongru l’une versus l’autre.

Celui du NABE faisait part des résultats d’un sondage auprès de 44 économistes d’affaires américains sur leurs perspectives quant à la reprise économique. Sur le plan de l’emploi spécifiquement, l’avenir ne semble pas être très encourageant. Depuis le début de la récession aux États-Unis, le nombre de travailleurs ayant perdu leur emploi atteint 7,2 millions. Ces économistes sondés par la NABE prédisent que ce n’est pas avant 2012 que ces emplois seront retrouvés totalement. Il faudra donc trois années entières pour que ceux qui furent frappés le plus durement par le déraillement de l’économie, ce déraillement causé principalement par la voracité des banques et des gens qui les dirigent, ne retrouve une situation financière qui s’apparente à ce qu’ils connaissaient antérieurement. Et c’est sans compter les séquelles morales, physiques et financières qu’auront laissé ces années sans emploi.

Au même moment, The Telegraph révélait que la banque d’affaires américaine Goldman Sachs étudiait la façon dont elle versera les bonis à ses employés pour l’année 2009. C’est que la banque accumule les profits encore plus rapidement aujourd’hui qu’il y a 2 ans avant que n’éclate la crise financière. Pour la période de 3 mois terminée le 30 septembre, les diverses activités de Goldman Sachs ont généré des revenus de 12 milliards de dollars. Environ la moitié de cette somme s’en va directement dans un compte qui servira à la fin de l’année à rémunérer les employés. On prévoit que le compte atteindra alors 22 milliards. Ceci se traduira par une compensation moyenne de 700 000 $ par employé. Pour un certain nombre, cela veut dire plusieurs millions de dollars, et pour les dirigeants, probablement plusieurs dizaines de millions.

La crise

Il y a à peine un an, les économies des pays industrialisés entraient dans la pire crise économique depuis la grande dépression des années 30. Et sans une intervention divine, le système financier allait s’écrouler, du moins nous disait-on. Force est de croire, si l’on se fit aux résultats de Goldman Sachs, que cette intervention divine s’est produite. Ou bien était-ce celle des gouvernements ?

Les gouvernements américain, canadien et européens ont mis en place deux types de programmes pour répondre à la crise. Bien sûr, les deux vont faire exploser les déficits des gouvernements, avec les conséquences négatives sur les générations futures que l’on peut aisément imaginer. Mais ça, on y pensera plus tard.

D’abord le sauvetage financier. Il consistait à prêter de l’argent aux banques tout en garantissant leurs mauvais prêts. Les payeurs de taxes venaient donc épauler les banques. Goldman Sachs a profité de ce programme, recevant un prêt de 10 milliards du gouvernement américain. Ce prêt n’était peut-être pas vraiment nécessaire, car il a été remboursé à peine 6 mois plus tard, les dirigeants de Goldman Sachs préférant probablement ne pas avoir le gouvernement dans les pattes. Toutes les banques n’ont pas eu le même succès que Goldman Sachs, mais toutes se retrouvent aujourd’hui dans une situation nettement plus confortable que l’an dernier.

L’autre type de programmes consistait pour les gouvernements à effectuer des dépenses en infrastructures afin de créer de l’emploi. Il est clair que ces programmes n’ont pas suffi à enrayer la vague de licenciements qui frappait à peu près tous les secteurs industriels, car au moment d’écrire ces lignes le taux de chômage aux États-Unis s’approche de 10 %.

La justesse des politiques

On débattra longtemps de l’a-propos du sauvetage financier. Il était nécessaire, dit-on, pour sauver le fonctionnement de l’économie. Malheureusement, ce n’est pas la première fois que l’on nous sert cette excuse. Ce fut le cas lors la crise asiatique en 1997, suivie par la crise causée par l’insolvabilité de la Russie en 1998. Le gouvernement américain et la Réserve fédérale était alors intervenu directement en prenant le contrôle du fonds de couverture Long Term Capital Management qui croulait sous les pertes.

C’est arrivé également à la suite des attentats terroristes de septembre 2001 qui venait exacerber le ralentissement économique que causait l’éclatement de la bulle technologique l’année précédente. Les banques centrales avaient alors inondé de liquidités les marchés financiers. Il fallait préserver à tout prix le système financier. Évidemment, les banques en ont été les premières bénéficiaires.

Peut-être qu’un jour, lors d’une prochaine crise, décidera-t-on de mettre tous les deniers publics dans les programmes visant à soutenir l’emploi et de laisser les banques réparer elles-mêmes leur bilan financier. Peut-être réalisera-t-on que le système financier ne s’écroulera pas, mais plutôt se régénèrera de lui-même. Mais il se pourrait alors que les salaires chez Goldman Sachs soient moins élevés.

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Le pouvoir de manipuler le marché

Jean Gagnon Dossier Actualité économique

Les employés du courtier américain Goldman Sachs pourrait recevoir cette année les plus gros bonis jamais versés depuis que la firme existe, soit depuis 140 ans. En effet, selon un article du Guardian de Londres, des employés de la filiale londonienne du courtier ont été informés par les dirigeants que la firme était en passe de réaliser des profits records pour l’année 2009, et que les bonis seront distribués en conséquence.

C’est à n’y rien comprendre, ne croyez-vous pas ? Le système financier n’était-il pas en déroute totale il y a à peine 6 mois ? Et l’économie mondiale ne traverse-t-elle actuellement sa pire récession depuis la grande dépression des années 30 ?

Pour tenter d’y voir plus clair, faisons d’abord un petit rappel des événements. Jusqu’à l’an dernier, il existait 5 grands courtiers américains indépendants. Deux ont disparu en 2008 au milieu de la crise financière, soit Bear Sterns qui a été absorbé par JP Morgan, et Lehman Brothers dont la faillite a déclenché la chute dramatique des marchés boursiers. Un troisième, Merrill Lynch, a été vendu à Bank of America. Ne reste plus que Goldman Sachs et Morgan Stanley.

Goldman Sachs a également connu sa part de difficultés en 2008. Entre janvier et décembre, le cours de son action est passé de plus de 200 $ à 50 $. Mais la firme a reçu des appuis importants. Elle a eu droit à un prêt de 10 milliards du gouvernement américain dans la cadre du TARP, ce programme de 700 milliards dont le but est de sauver le système financier. Ironiquement, ce programme a d’abord été imaginé par Henry Paulson, le secrétaire au Trésor sous l’administration de Georges W. Bush. Avant d’être recruté par le président Bush, Henry Paulson occupait le poste de président de Goldman Sachs.

Le légendaire investisseur Warren Buffet avait, semble-t-il, senti que le vent allait tourner chez Goldman Sachs. En janvier 2009, il a investi 5 milliards dans la firme. Son flair de l’a pas trompé. L’action du courtier se négocie aujourd’hui à 140 $.

Goldman Sachs veut aujourd’hui rembourser le plus rapidement possible le gouvernement. On comprend pourquoi. Le président Obama a assuré les payeurs de taxe américains qu’il limiterait les salaires et les bonis payés chez les courtiers et les banques qui profitent de prêts du gouvernement. Les dirigeants de Goldman Sachs veulent éviter à tout prix d’être soumis à un tel contrôle.

Comment faire autant d’argent

Mais comment Goldman Sachs peut-elle faire tant de profits aujourd’hui ? C’est simple. Le courtier profite justement des malheurs du système financier qu’il a aidé à créer et de la volonté des gouvernements de sauver ce système à tout prix.

Goldman Sachs est un spécialiste des obligations. La firme prévoit que le gouvernement américain émettra pour plus de 3000 milliards de dollars d’obligations d’ici le mois septembre pour financer le gigantesque déficit qu’entraînent les nombreux programmes de relance économique et d’aide aux entreprises. C’est quatre fois plus que l’an dernier. Goldman Sachs va réaliser des centaines de millions de dollars de profits en vendant ces obligations, surtout que la concurrence est beaucoup moins grande compte tenu de la disparition des autres courtiers qui n’ont pas survécu à la crise. Les gens de Goldman Sachs jouissent aujourd’hui d’un contrôle presqu’entier du marché des obligations.

Le pouvoir de manipuler un marché est sûrement un des plus grands atouts que peut posséder une entreprise. C’est vrai de tous les secteurs, surtout celui de la finance.

Laissez-moi vous raconter une petite anecdote. Et je vous assure qu’elle est vraie, car j’y étais.

Le 19 octobre 1987, vous vous souvenez ? Le monde fut ébranlé par un krach boursier. L’indice Dow Jones de la bourse de New York a perdu 22 % ce jour-là. Les chutes ont été dramatiques sur toutes les bourses à travers le monde, y compris au Canada. La panique s’était installée partout.

À 4:30 PM ce jour-là, Raymond Desormeaux, président de McNeil Mantha, un courtier québécois qui était à cette époque le plus gros négociateur et mainteneur de marchés sur les options à la Bourse de Montréal, admettait à un petit groupe d’employés dont je faisais partie que la firme avait perdu beaucoup d’argent durant la journée. J’ai appris plus tard que les pertes pour cette seule journée avaient totalisé 2 millions. C’était gigantesque compte tenu que la capitalisation de la firme à l’époque était d’environ 20 millions. C’était 10 % de la firme qui venait de s’envoler en fumée. À ce rythme, nous n’allions pas survivre la semaine.

La panique profitent aux gens du milieu

Curieusement, Raymond Desormeaux ne semblait pas en proie à la panique. Il nous rassura en disant que les choses iraient mieux demain.

L’internet n’existait pas à l’époque. L’information circulait beaucoup moins vite. Bien des gens n’apprirent la nouvelle du krach qu’aux bulletins de nouvelles en soirée à la télévision. Avec le recul du temps, il est clair qu’il comprenait ce qui allait arriver. Que ces gens moins bien informés allaient paniquer le lendemain matin et que McNeil Mantha pourrait en tirer profit.

Et c’est ce qui arriva. Avant même l’ouverture de la séance de négociations le 20 octobre, les places boursières étaient inondées d’ordres de ventes. Les mainteneurs de marchés à l’emploi de McNeil Mantha avaient la responsabilité d’établir le cours d’ouverture des actions et des options en fonction de l’offre et de la demande. Ce matin-là, ils eurent tout le loisir d’établir ces cours à des niveaux très bas, car il n’y avait que des vendeurs, les seuls acheteurs potentiels étant eux-mêmes. Les marchés ouvrirent donc à des cours très dépréciés, et les mainteneurs de marchés sur le parquet achetèrent tout. Une heure plus tard, tous les ordres de ventes ayant été absorbés, les marchés se sont remis à monter, permettant à ces mêmes mainteneurs de marchés de récupérer une bonne partie de leurs pertes de la veille.

20 ans plus tard, sur une échelle de grandeur sans comparaison avec cette anecdote, il semble qu’il soit toujours possible de manipuler un marché, et que maintenant, les profits que l’on en retire soient gigantesques. Les gens de Goldman Sachs l’ont très bien compris. Warren Buffet aussi.

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