J’ai écrit, il y a quelques années, une petite ode à la lucidité qui m’a valu à l’époque quelques critiques. Mauvais citoyen, j’étais, et cynique, avec ça, qu’on m’a dit … Pourtant, c’était le temps où j’étais plein d’espoir. Progres. Enrichissement. Éducation. Réconciliation nationale… Tout commençant par la lucidité.
La lucidité était la première vertu : il vaut mieux voir les choses comme elles sont que comme elles ne sont pas, n’est-ce pas ? Lisez mon petit billet, il était bien amusant.
http://nouvellesociete.wordpress.com/2008/03/10/097-ombelix-au-pays-des-chimeres/
Amusant et vrai… à l’époque. Mais, manque de pot, le progrès au Québec s’est arrêté, l’enrichissement aussi. L’education est devenue un mauvaise plaisanterie et, au lieu de se réconcilier entre Québécois, on a ajouté des joueurs…. dont on ne s’accommode pas toujours. Et la lucidité… ? La lucidité a changé de sens, comme le mot collaboration en France, qui a ses hauts et ses bas…
La « lucidité », comme on se la souhaite maintenant, est devenue synonyme de défaitisme et de trahison. Une catastrophe à deux paliers. Catastrophe d’abord, parce que les lucides ont choisi de devenir extra lucides. Comme Madame Irma, la voyante, ils ne regardent plus la réalité, mais son reflet dans un boule de cristal où on ne voit que les illusions qu’on choisit d’y projeter.
Ils ne voient plus une réalité de besoins à satisfaire et de gens qui ne travaillent pas – et qu’on pourrait donc affecter a produire pour satisfaire ces besoins – mais une extra-réalité d’occasions d’affaires et surtout de spéculation. Ils voient des chiffres dans un ordinateur, qu’on cherche prétexte à remplacer par d’autres chiffres, selon des règles et des critères dont on a convenu de façon tout arbitraire dans un monde irréel.
Car croyez vous qu’on « prévoit » les investissements de l’État, les taux d’intérêts, la croissance de l’économie, et donc le chomage et l’inflation ? Pas du tout, on FIXE ces variables, créant une extra-réalité discrétionnaire, bâtie pour le seul profit des « gagnants ». Les clairvoyants ne prévoient rien; ils préviennent ceux qui doivent savoir, chacun à la hauteur de l’information dont il a besoin, afin qu’arrive sans surprise ce qui été « prévu ». On dit crise et il y a crise. On dit reprise et il y a reprise
Pour les extra-lucides n’y a plus des travailleurs, mais des bénéficiaires de conventions collectives et de programmes d’assistanat qu’il faut gérer sans trop de dégât. Les consommateurs ont pour raison d’être de mastiquer et de faire disparaître au rythme adéquat la production nécessaire pour garantir la rentabilité du capital-fixe, celui-ci minuscule apex matériel sur lequel repose précairement une colossale pymamide de monnaie, de crédit et de richesse imaginaire.
Les extra lucides ne voient pas des choses et leur valeur d’usages. Dans l’extra réalité, ils voient des ectoplasmes evanescents qu’ils appellent milliards ou trillions de dollars ou d’euros. Les extra lucides ne voient plus des malades a traiter et a soigner, mais des usines de pilules et de vaccins, des brevets, des diplomes, des privilèges corporatistes à défendre.
Que les lucides ne voient plus qu’en extra-lucides est déjà une catastrohe, mais il y a pire. Au deuxième palier, dans la situation de crise récurrente d’un monde qui se casse la gueule, le bon augure est celui qui se gagne un succes d’estime en préyoyant que tout ira de mal en pis. C’est le choix du plus probable, la prévision sure à faire pour celui qui est payé à la prophétie réalisée.
Être lucide, c’est donc aujourd’hui, entre deux illusions, de choisir la plus perverse, la plus déprimante. Or, dans un monde de imaginaire, où faire des prophéties c’est faire aussi qu’elles se réalisent, la lucidité qui prévoit le pire est aussi la principale cause du malheur.
La lucidité, aujourd’hui, c’est de voir que la corruption est partout et qu’il ne reste pas trace dans la société d’un désir sincère et efficace de justice et de solidarité. Pas une chance raisonnable de changer les choses. C’est la triste vérité lucide…
Il ne faut donc pas confier l’avenir du Québec à Madame Irma, à Monsieur Lucien ni à ses lucides. Ceux qui nous disent que les oiseaux ne voleront pas, leur couperont au besoin les ailes pour avoir raison.
Plutôt chercher un merveilleux toqué qui fera du déraisonnable. D’extraordinaires folies. Comme mettre tout le monde au travail. Comme enseigner ce qui est utile. Comme soigner les malades. Comme nettoyer la société de ses éléments criminels. Comme réparer ce qui est brisé et mettre en place ce qui manque. Comme rendre les services qui doivent être rendus. Comme envoyer la facture également a tous, en proportion de leur richesse.
Vivement un toqué qui marchera sur les eaux – parce qu’il saura où est le gué – et qui tranchera les nœuds gordiens… ou la gorge de ceux qui font des noeuds. Il n’y a aucune raison pour qu’ayant les ressources et le travail on ne puisse pas produire ce dont on a besoin. Aucune. Il n’y a que des « lucides » qui barrent la route.
Pierre JC Allard