Archives de Tag: lutte des classes

L’héritage social (sinon socialiste) que nous lègue l’acteur de cinéma Paul Newman

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newman.own

Il y a quatre ans mourrait l’acteur de cinéma Paul Newman. Quelle formidable occasion de causer socialisme… Voyez pas le rapport? Suivez mon regard. On traite constamment ce bon vieux « socialisme » selon un modus operandi fort représentatif de la vision qu’a notre siècle des questions sociétales. On se représente le socialisme comme un programme politique sinon politicien, un engagement matois pris par une poignée de rocamboles qui arrivent à convaincre les masses de les suivre et qui les largue tout net après s’être laissés corrompre par les élites. On reste vraiment bien englués dans cette analyse, très proche en fait du vieux socialisme utopique, doctrinaire et volontariste, avec ses phalanstères et autres cabétades à la continuité raboteuse et déprimante.

Ce qui est mis de l’avant ici, c’est que le socialisme est une TENDANCE, une propension inéluctable du capitalisme à passer à son contraire: de la propriété privée à la propriété publique, de la soumission prolétarienne au pouvoir prolétarien. Cette tendance socialisante est dans le ventre même du mouvement social. Un patron unique, cela se conçoit, quand on parle d’un atelier de joaillerie embauchant six travailleurs. Quand il s’agit d’une usine de trois mille employés, on envisage plus facilement un groupe de gestionnaires. Si on a affaire à un conglomérat mobilisant quatre millions de personnes dans soixante secteurs distincts, il devient envisageable de prendre conscience d’un passage vers une direction et une propriété à la fois de plus en plus collectives et impliquant de plus en plus étroitement ceux qui font effectivement le travail productif, et pas seulement ceux qui possèdent les immeubles, l’outillage, ou le fond de terre où sont plantés les ateliers. Étalez cette tendance sur trois siècles, et vous marchez droit au socialisme! On se doutera bien que des instances sociales cherchent de toutes leurs forces non négligeables à freiner cette tendance, et le font effectivement. Sauf que le principe de fond demeure. Quand la totalité des forces productives sont mises au service des producteurs plutôt que des accapareurs, on a le socialisme. Il faut noter aussi que le socalisme SE DOSE, en ce sens qu’un régime peut être plus ou moins socialiste fonction de la répartition sociale des revenus de la production. D’où la possibilité d’un socialisme radical bourgeois assez compatible avec le capitalisme, mais malheureusement, établissant avec ce dernier à peu près le rapport du croupion avec la poule… Personne n’a vraiment la charge de mettre des ordres sociaux en place. Ils se mettent en place malgré nous et malgré ceux qui clament les avoir mis en place. L’Histoire est une force objective. Rien ne s’y dégrade, mais rien n’y est stable non plus.

Et la tendance, donc, de se déployer… Regardons l’affaire dont je vous cause aujourd’hui tout prosaïquement. Paul Newman (1925-2008) n’est pas un philanthrope autopromotionnel à la Bill Gates. Le susdit Bill Gates se sert de la part congrue d’avoirs financiers pharaoniques extorqués dans un secteur industriel hautement porteur pour perpétuer son image de marque et faire mousser son égo enflé. Gates prétend éradiquer la rougeole en Afrique tandis que l’entreprise qu’il a implantée dans la culture mondiale est une «maladie» passablement plus grave. C’est un parasite dictatorial qui étrangle tout un secteur industriel et en entrave le progrès. Gates est un Tartuffe milliardaire qui se dédouane cyniquement et restons-en là à son sujet.

Newman, pour sa part, a associé son nom à une entreprise ordinaire qui vent des vinaigrettes, du maïs soufflé, des jus de fruits et autres produits alimentaires sans originalité dans le genre. Malgré le tournant organique qu’elle adopte parce que c’est dans l’air du temps, il ne s’agit pas d’une entreprise spécialement spectaculaire et aucune conjoncture historique particulière ne la favorise. Newman’s Own (c’est le nom peu connu de cette entreprise) opère dans les conditions ordinaires de concurrence d’un secteur traditionnel. Elle gère un bilan, paie ses employés, tient le cap. Elle n’a pas spécialement détruit la concurrence dans le secteur alimentaire (il s’en fait de beaucoup!) ni fui le fisc. Elle dit ses lignes et fait son boulot, comme n’importe quelle autre affaire industrielle et commerciale ordinaire. Et pourtant, en plus des obligations de chiffre d’affaire qui s’imposent pour qu’elle perpétue son roulement sans heurt, l’entreprise dont Paul Newman fut le héraut et l’estafette dégage dix millions de dollars par année depuis vingt-cinq ans, qui vont directement à des œuvres. Un quart de milliards en un quart de siècle libéré des accapareurs, actionnaires, PDGs et autres parasites et reversé directement au bénéfice de la société civile.

La démonstration Newman c’est donc cela. Une entreprise ordinaire peut fonctionner de façon durable et assumer pleinement ses responsabilités sociales en re-versant des dividendes substantiels au bénéfice de la vie collective et ce, sans la moindre anicroche. Contrairement à ce que laisse pesamment entendre l’intox médiatique, ce n’est pas de la philanthropie au sens réactionnaire du terme, ça. Il faut voir ce qui se passe effectivement et cesser une bonne fois de tout récupérer au service de la sujétion primaire et sans nuance. Ici, les dividendes allant aux œuvres émanent de la production même. La fortune «personnelle» de Newman et de ses ayant droits n’est pas engagée dans l’affaire. Tout ce que Newman faisait -et continue de faire post-mortem- dans la dynamique, quiconque ayant fait ses courses dans un supermarché nord-américain vous le dira sans hésiter et avec un petit sourire ami. Il rend simplement (et fort efficacement) les produits reconnaissables en ayant sa binette dessinée chafouinement sur les bouteilles de vinaigrette (et autres emballages…). Chaque produit nous montre Newman dans un déguisement différent. Il tient sa place et continue de jouer son rôle de saltimbanque. Il tient sa place, comme tout le reste de cette délicate structure entrepreneuriale. Mais c’est un saltimbanque éclairé.

Les gens qui ont réalisé ce petit exploit pratique et théorique dans les conditions contraires et hostiles que l’on connaît et/ou que l’on devine ont fait bien plus qu’inventer ce nouveau brimborion commercial pour gogo bien intentionné mais à la conscience trouble qu’est le soi-disant «capitalisme éthique». Ils ont œuvré, en toute simplicité, à une démonstration bien plus profonde. L’union «sacrée» entre commerce, industrie, et appropriation privée n’est pas une fatalité universelle et encore moins une contrainte inévitable du fonctionnement efficace qui reposerait sur quelque appât «atavique» pour le gain égoïste que dicterait incontournablement la «nature humaine». L’entreprise aux profits maintenus privés, c’est une particularité conjoncturelle, transitoire, explicable historiquement, ayant eu un début, un développement et une fin. La fin de la propriété privé des moyens de production (qui fait que des «philanthropes» ineptes dans le genre de Gates se retrouvent avec cinquante milliards de menue monnaie dans leur poche et décident parcimonieusement de ce que seront leurs responsabilités sociales comme on assure l’intendance d’une campagne de promotion de soi) ne sera en rien la fin du commerce, de l’industrie, voire de la finance. Les profits du commerce et de l’industrie peuvent aller glissendi au service direct de la société civile sans que le fonctionnement de ces secteurs ne s’en trouvent le moindrement compromis. CQFD…

Quoi qu’il advienne de cette entreprise et de cet exercice dans le futur trouble qui est devant nous, il reste que, lors du passage au socialisme, on se souviendra indubitablement de la leçon simple et imparable de Newman’s Own

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La guerre interne du capitalisme

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Il n’est pire guerre que la guerre des intestins contre les intestins. Ah, il y a du brasse camarade dans l’économie-monde… Il fut un temps ou les disparités de modes de production étaient beaucoup plus accusées qu’aujourd’hui, seulement en Europe. La notion de “tiers monde” était jadis économiquement quasi-inexistante. Je n’en finirais pas d’énumérer les problèmes posés par ce fichu de nouveau siècle. Le moteur du mouvement social réside bel et bien toujours dans les possibilités d’extortion du surtravail. Or, les pays que nos journaux appellent du “tiers” et du “quart” monde sont aujourd’hui les grandes sources de plus-value effectivement productive. Les économies occidentales sont, en notre temps, à 75% post-industrielles (services et bureaucratie, principalement). Ainsi, un stylos à bille produit au Honduras coûte infiniment moins cher en reviens que le même stylo à bille produit en France ou en Allemagne. Les coûts de frais sociaux sont inexistants dans le premier cas. L’assiette de plus-value produite par le prolétaire non-occidental n’a donc que le capitaliste comme convive à convoquer. Il n’y a plus à la partager avec le col blanc occidental, sous forme de charges sociales, et de cette kirielle de frais divers qui font du Nord-Ouest un oasis illusoire. Cette situation de disponibilité internationale de surtravail frais et bon marché suscite une véritable exportation du moteur de production vers les zones plus précairement prolétarisées. Nous évoluons désormais dans un dispositif où le travailleur occidental s’est historiquement donné une protection sociale mais a laissé la bourgeoisie aux commandes. La conséquence en est qu’il fonctionne comme une sorte de rentier social, d’aristocrate ouvrier. Mais l’aristocrate dépend de sa terre nationale! Si celle-ci tombe en friche, c’est sa rente qui s’effiloche. Ici c’est la bourgeoisie aux abois qui rouille le blé de l’aristocrate ouvrier! Car, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’expatrier le moteur de production, c’est aussi expatrier le moteur de consommation, car ce sont là les deux facettes dialectiques du même jeton. Chercher de nouvelles sources de plus-value, c’est expatrier la production. Et expatrier la production, c’est expatrier le marché. Dans les derniers 30 ans, le pouvoir d’achat des masses prolétariennes indonésiennes, chinoises ou guatémaltèques a, en proportion, beaucoup plus augmenté que celui des masses françaises, états-uniennes ou allemandes. Le marché devient donc international au sens fort, et les entreprises domestiques produisent et trouvent le marché là où il se produit et se trouve. L’internationalisation du marché n’est donc pas la conséquence du tassement de la production domestique, mais sa cause. Moins de plus-value domestique, moins de pouvoir d’achat domestique. Moins de pouvoir d’achat domestique, tassement du marché domestique. Voir cela comme une stratégie voulue des patrons c’est dès lors basculer dans une interprétation volontariste de type militantisme vulgaire. Cet état de fait économique s’impose au patron occidental autant qu’au travailleur occidental. La dynamique de concurrence pousse implacablement toute la machine dans le bourbier tiers-mondiste. Et ainsi, le ci-devant “libre échange” est lui aussi consécutif plutôt que causal. Les cris de nos libre-échangistes c’est le hululement de la chouette de Minerve, quand tout est joué et quand la nuit de la mondialisation est tombée. Qui va en profiter? Ah, ah. Voilà le beau merdier! Extirper la productivité des secteurs avancés, balisés socialement, pour la nicher dans des pays arriérés, semi-coloniaux, à régimes dictatoriaux et “bananiers”, pour reprendre une image d’une autre époque qui dit bien ce qu’elle a à dire, donne une illusoire et courte impression de levée fraîche de profits rapides. En fait la régression (notez ce mot!) sur les zones à capitalisme sauvage aura à moyen et long terme les effets qu’ont eu le capitalisme sauvage: désorganisation de la production, dérapage social, paupérisation à outrance, émeutes de la faim, spéculation sans balises menant à des crash boursiers, dans des pays pauvres mais dont le sort semble soudain rayonner sur le monde. La Thaïlande, la Russie, l’Inde, la Chine et le Brésil en témoignent. Le capitalisme étire son sursis, mais tout cela revient à la fameuse baisse tendancielle du taux de profit. Elle se poursuit, inexorable, et les profits absolus ne doivent pas faire illusion quand au caractère déterminant de cette loi. Le capitalisme se love sur la planète entière, mais en même temps il s’étrangle impitoyablement avec ses propres circonvolutions. Il va se trouver coincé entre l’aristocratie ouvrière occidentale qui va se mettre à s’agiter pour ne pas perdre ses privilèges, et le prolétariat des nouvelles zones, productives industriellement mais arriérées politiquement, qui va se mettre à s’agiter pour acquérir les siens. On n’a pas fini de voir s’ébranler le monde. Mais cette fois-ci, le capitalisme ne trouvera plus un “quint” ou un “sixte” monde pour se réactiver, la planète étant, l’un dans l’autre, une sphère finie…

La contradiction interne fondamentale du capitalisme ne pourra donc plus se fuir elle même vers les zones en friche, comme elle le fit du temps de la phase imperialiste. La guerre, la vraie guerre interne du capitalisme va donc s’amplifier hyperboliquement. De nos jours, elle se joue et se joue farouchement entre les PDG et les investisseurs. Ils n’ont presque plus besoin de la lutte des classes classique: ils se mangent entre eux. Les premiers mobilisant une énergie formidable pour fourrer les seconds. Les seconds se méfiant des premiers comme un nageur des requins. Elle est loin l’époque où le premier Rockefeller jugeait que la satisfaction des investisseurs était l’objectif cardinal de l’homme d’affaire prospère. C’est que le capitalisme n’investit plus: il boursicote. Ses intendants maquillent les chiffres pour que les investisseurs ne retirent plus leurs joujoux financiers en un éclair. Les profits de productions sont graduellement remplacés par le butin d’extorsion par actions. Les investisseurs sont tout aussi cyniques et insensibles. Ils ne s’impliquent plus dans une entreprise parce qu’ils croient en sa mission mais bien parce que c’est la crête du moment dans leur surfing électronique, ultra-abstrait et ultra-rapide aux dividendes. Même le commerce des produits financiers s’engage dans ce type de mutation implacable. Préférer l’extorsion directe avec résultat à court terme à la doctrine classique de «faire de la clientèle» est une attitude qui surprend toujours en Amérique du Nord. En Europe, c’est la loi. On te fait les poches en un acte commercial unique et retors et tant pis su tu ne reviens pas et parle de nous en mal à tes copains. Mais dans le Nouveau Monde, c’est inhabituel. Inhabituel et symptomatique. Quand la soif du profit à court terme atteint une telle profondeur microscopique, c’est que les choses changent dans notre contexte économique. À rapprocher de la désormais classique explosion des frais d’usager des banques. Ne plus investir (dans l’industrie pour les banques, dans la satisfaction du client pour les commerces) mais extorquer en une ou deux fois et fuir. Fondamentalement cela change la valeur de place (de poche…) mais n’en produit plus de nouvelle. Il est criant que ce système a cessé de croire en lui même. Le spéculatif poursuit sa lente et inexorable séparation du productif et les experts, qui sont au service du spéculatif, s’attellent à la principale tâche du spéculatif : nier le réel, peindre en rose la muraille grise des faits concernant la productivité, l’échange, la compétitivité, la qualité matérielle des produits, leur réception effective dans le public, etc… L’arnaque passe de plus en plus en auto-arnaque. La guerre interne se poursuit, autant que la contradiction autodestructrice motrice. Certains acteurs passent aux aveux. Il est criant que le profit de l’entreprise, devenu depuis l’entreprise du profit, nuit désormais ouvertement à la production effective.

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Homosexualité masculine et capitalisme

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La Fierté Gaie est de retour sur Montréal. Une occasion nacrée de la regarder bien droit dans ce crucial angle sociohistorique qu’on esquive ou escamote trop souvent en ce qui la concerne. Suivez bien le mouvement. Par rapport à la féodalité, le capitalisme est libérateur. Il fait éclater les vieux rapports de vassalité, de métayage, de servage et leur substitue un rapport commerçant. L’esclavage disparaît avec l’ancien mode de production agricole (il laisse une trace idéologique que le capitalisme recycle: le racisme), la division sexuelle du travail s’effiloche graduellement (elle laisse une trace idéologique que le capitalisme recycle: le sexisme) et, avec elle, les vieux schémas phallocratiques et paternalistes basculent dans l’archaïsme. Les anciens esclaves, les femmes (dans certaines portions du monde même les enfants) sont désormais salariés. Tout est nivelé.

Les représentations idéologiques de nature féodale ne sont pas intégralement évacuées. De fait, comme la fumée après un grand incendie, l’idéologie traîne longtemps dans l’espace après l’extinction des conditions objectives de son engendrement. On peut même dire que la culture intime d’un groupe reste marquée par la phase historique de sa grandeur et que son idéologie en reste inévitablement teintée. La période dorée laisse de la poussière d’or qui colle à la surface des idées nouvelles. L’hétérosexualité masculine connut son âge d’or sous la féodalité. L’homme homosexuel en ce temps était marginalisé, tyrannisé, éradiqué, rejeté, nié. L’homme hétérosexuel fleurissait dans la soumission de sa femme, de ses serfs et du clocher du village à sa loi et à son ordre. Encore aujourd’hui, l’homme hétérosexuel cardinal est celui qui se comporte en gentleman, ce qui implique un gestus, un ensemble de pratiques ordinaire, un ton, un style (singé ou surfait, naturel ou exagéré) directement hérité des temps féodaux et jouant toujours un rôle non négligeable dans la dynamique de séduction hétérosexuelle. L’amour courtois et ses photocopies contemporaines sont un culminement hétéro…

Dans le torrent de tout ce qu’il libère, le capitalisme libère aussi l’homosexualité masculine. Tous les verrous de l’armure de masculinité du hobereau féodal sautent les uns après les autres et l’admiration, ouverte ou secrète, qu’il ressentait pour son propre groupe, l’intimité virile qu’il entretenait au sein de sa propre culture intime peut graduellement sortir de l’enclos circonscrit de la stricte camaraderie des cercles masculins et se débrider. Sur les quelques siècles qui nous voient passer du capitalisme industriel au capitalisme tertiarisé, commerçant, transnational, mondialiste et technologique de notre temps, l’homosexualité passe de la culture de résistance d’un Oscar Wilde et d’un John Keynes à la culture de masse des parades de la fierté gay et du mariage homosexuel.

L’hétérosexualité fut un phénomène de masse sous la féodalité. L’homosexualité devient un phénomène de masse sous le capitalisme. Cette médaille a évidemment son revers. La culture homosexuelle masculine sera donc, face à l’Histoire, une culture profondément et intrinsèquement marchande. Elle sera marquée aux coins de l’individualisme, du narcissisme, de la publicité, de la promotion de soi, de la compétition à outrance, de la mise en marché, de la surconsommation, du gaspillage, du cynisme insensible. Elle sera les USA du sexage, en quelques sortes. L’homme hétérosexuel s’engageait avec une femme et la trahissait crucialement en la trompant, car tout dans ses rapports de sexage procédait du lien voulu éternel s’établissant entre l’homme d’armes constant et la stabilité de la terre et du sain lignage du troupeau. L’homme homosexuel qui change de partenaires fait tout simplement rouler la marchandise. Il sélectionne un nouvel objet de plaisir, en évalue l’âge, le poids, l’attitude, la posture, le volume de la bite, les aptitudes de performance puis le consomme et jette après usage…

Notons, et c’est très important, que, même après la chute de la féodalité, la sexualité hétérosexuelle continue de fleurir et entre même dans une vaste dynamique de désaliénation qui la mène vers le droit au divorce, le caractère facultatif du mariage, une plus forte égalité dans le couple, un déclin de la soumission servile des enfants etc. (toutes ces caractéristiques sont des manifestations de la déféodalisation de la culture hétérosexuelle). L’hétérosexualité contemporaine vit sa phase post-impériale, post-hégémonique. Elle prend graduellement sa vraie place, plus modeste, non dominante, non exclusive, un peu comme la France après le Grand Siècle ou l’Angleterre après Victoria. C’est l’homosexualité maintenant qui vit les grandeurs et les affres de sa phase hégémonique. Aussi, il faut voir clairement ce qui se passe et le dire. Une bonne partie de la crise promiscuitaire, des jalousies haineuses et du cynisme insensible de l’homme homosexuel ne sont en rien des traits inhérents de l’homosexualité (comme cherchent à le faire croire maints réactionnaires mal avisés). Ce sont plutôt là des traits conjoncturels du capitalisme, contexte social d’émergence de l’homosexualité masculine comme culture de masse.

Que vive et fleurisse l’homosexualité (masculine et féminine). Et surtout, vivement qu’elle se libère du mode de production marchand qui la distord, restreint sa portée, rapetisse son universalité, enfreint son épanouissement légitime et l’expose aux jugements discriminatoires et aux descriptions superficielles de ses détracteurs d’arrière-garde.

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La politique politicienne au Québec, matée par le bout de la lorgnette du conflit étudiant

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Pas de gossage à matin. Gabriel Nadeau-Dubois vient de quitter ses fonctions de porte-parole étudiant. Il retourne à la base et la lutte continue, implacable. Voici donc les partis en lice lors de la prochaine élection québécoise (prévue pour le 4 septembre 2012) et leur position commentée sur la question de l’heure: la hausse des frais de scolarité. On ira ensuite raconter que la politique politicienne, au Québec et dans le monde, n’est pas le reflet folklo et distendu de la lutte des classes.

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 Parti Libéral du Québec (chef: Jean Charest)
– Hausse des frais de scolarité de $254 par année pendant sept ans
– Entrée en vigueur de ladite hausse dès l’automne
– Maintien de la loi spéciale (Loi 12) limitant le droit de manifester

Le PLQ (au pouvoir depuis neuf ans) est un parti de droite-droite-droite, ronron, journalier, gestionnaire des affaires de conciergerie courantes, suppôt du libéralisme (comme son nom l’indique), bien engoncé dans la magouille politicienne et les combines des traditions électorales québécoises les plus fétides, intendant bonhomme et pro-capi du pouvoir. Ce gouvernement a appliqué les tactiques les plus basses et les plus malhonnêtes imaginables pour tenter de casser le mouvement des carrés rouges. Misant d’abord sur les regroupements étudiants les plus conciliants et négligeant le seul mouvement vraiment légitime, la CLASSE, le gouvernement a cherché à «négocier» avec les éléments du mouvement étudiant semblant représenter le mieux les positions gouvernementales. La proposition initiale du pouvoir était d’étaler la hausse dans le temps sans l’altérer significativment. Devant la solidité de la résistance, il proposa alors de bidouiller des combines au niveau (comme on dit dans le jargon tertiaire) des (gros) prêts et (petites) bourses pour soi disant faciliter la réception de la hausse dans les masses. Tactique typique du libéralisme québécois minus: on vous pousse dans les bras des banques en faisant semblant de vouloir vous faciliter la vie. En affectant de vous servir, on continue de servir ses maîtres du secteur privé. Mais même les associations étudiantes moins militantes n’ont pas marché dans cette criante attrape. Le fait est que les éléments étudiants conciliants sont distordus par le dilemme de leur posture veule. Ils se souviennent amèrement de grèves antérieures où ils avaient été instrumentalisés pour fracturer le mouvement. Ils n’ont pas mordu cette fois, parvenant à maintenir, bon an mal an, une ligne cohérente avec l’aile plus avancée du mouvement. Le gouvernement s’est alors appuyé sur le mythe excessivement médiatisé du carré vert, groupe étudiant croupion et infinitésimalement minoritaire, censé vouloir rentrer en classe. L’absence de base effective de cette organisation factice forca ensuite le gouvernement à brandir l’épouvantail d’une loi spéciale. Singeant ouvertement les lois spéciales de retour au travail, ce trait typique des négociations de style reaganien en Amérique du Nord, on a tenté de faire rentrer les étudiants dans les facs et les cégeps comme on ferait rentrer au travail les travailleurs de secteurs sensibles ou «esssentiels». Le droit de manifester fut ouvertement attaqué dans la Loi 78 (devenue depuis la Loi 12) mais, subtilité inattendue, vivant la chose comme un pelletage de factures dans leurs cours, les autorités constabulaires municipales (montréalaises notamment) ont appliqué la loi avec ce type de réalisme feutré visant subrepticement à ramener le parlement national à ses responsabilités décisionnelles. Flairant matoisement cette contradiction, les étudiants n’ont pas plié, malgré l’augmentation de facto des abus policiers ponctuels implicitement autorisés par cette loi. On a vu notamment des citoyens portant le carré rouge se faire harceler par la police, dans les rues de Montréal. L’échec sur le terrain de la Loi 78 (devenue depuis la Loi 12) a entraîné la démission d’une ministre de l’éducation. Elle fut remplacée par une seconde ministre qui proposa un $35 annuel de réduction de la hausse. Je revois encore la gueule de mon fils cégépien et de mon fils universitaire dans la cuisine, le matin de cette annonce: «On a pas fait tout ça pour aller chercher un malheureux $245 sur sept ans. Ils rient de nous autre». Le mouvement étudiant n’a évidemment pas mordu à cet appât minable. Il est, au jour d’aujourd’hui, de plus en plus déterminé à relancer le mouvement de grève (qui, de fait, n’a rien perdu de sa remarquable dimension de masse) en septembre si le gouvernement ne bouge pas au plan fondamental. Je ne peux qu’exprimer mon entière admiration pour nos enfants. On a raconté toutes sortes de fariboles sur le mouvement du carré rouge, l’accusant notamment de s’être égaré dans du sociétal généraliste et d’avoir perdu la perspective de la lutte ponctuelle contre la hausse des frais de scolarité. On notera, au contraire, que, dans le regard des militants étudiants, la question de la hausse (et celle, plus fondamentale, de la gratuité scolaire) n’est aucunement devenue marginale. C’est le pouvoir qui a dérapé de la hausse,  à l’étalement de la hausse, au bidouillage des prêts et bourses (pousser les jeunes et leurs parents vers plus d’endettement bancaire), aux injonctions sectorielles (procédant d’une judiciarisation biaisée et tricheuse du conflit, que le fermeté militante a su solidement contenir), au sabordage empiriste, superficiel et autoritaire du droit de manifester (dicté par la fort spéciale Loi 78 devenue 12). La province chercha donc par tous les moyens à faire dérailler le mouvement en le zigzagant et le barouettant dans toutes les directions mais les étudiants n’ont jamais perdu le focus de leurs exigences: gel de la hausse des frais de scolarité sur le court terme, gratuité scolaire à tous les niveaux, sur le long terme. Pas de fafinage. Je les appuie de tous cœurs et m’incline respectueusement devant la formidable leçon de cohérence politique qu’ils nous donnent. On m’autorisera ici une petite note personnelle. Étranger, j’ai pu faire mon doctorat (en France) à l’Université Denis Diderot, suivre des séminaires en Sorbonne, à l’École des Hautes Études en Sciences sociales, au Collège de France et à la Maison des Sciences de l’Homme auprès de sommités, le tout gratuitement, et il faudrait payer des mille et des cents pour étudier à l’Université du Québec à Saint Tite des Caps? Comme le disent les jeunes eux-mêmes: Bitch, please…

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Parti Québécois (cheffe: Pauline Marois)
– Gel des frais de scolarité jusqu’à la tenue d’un sommet sur l’éducation
– Seule hausse envisagée: l’indexation des frais de scolarité au coût de la vie
– Abolition de la loi spéciale (Loi 12)

Le PQ (qui n’a pas été au pouvoir depuis 2003) est un parti nationaleux (au nationalisme de plus en plus dépité, larmoyant et opportunistement épisodique), de centre-droite, à la fois planificateur et affairiste, promoteur convulsionnaire de Québec Inc, insidieusement et semi-inconsciemment crypto-xéno, et dont la consolation minimale serait de faire élire la première femme Première Ministre du Québec. Le poncif classique nationaliste-souverainiste de ce fier parti du cru est en grande partie relégué (une fois de plus) aux calendes par les crises du moment. Madame Marois, qui un moment porta le carré rouge en chambre, a lancé une analyse (c’est pas souvent que les politiciens politiciens hasardent des analyse…) que je médite encore et à laquelle je reconnais un mérite non négligeable. Madame Marois affirme que la crise étudiante a été, pour le gouvernement Charest, une diversion-spectacle, sciemment maintenue et perpétué par lui pour distraire l’attention du public sur le bilan nuisible et toxique des libéraux. Gaz de schiste hyperpolluant (la résistance citoyenne au sujet d’icelui ayant causé la démission d’une autre ministre), Plan Nord néo-colonial, corruption et collusion entre pègre et partis politiques dans le secteur des grands travaux d’infrastructure (le choix même de la date des élections serait, selon madame Marois, une astuce estivale pour esquiver la portion lourde et compromettante des travaux de la Commission Charbonneau, en automne). Tout cela a été effectivement bien embrumé dans le show de la fallacieuse fermeté paterne face au mouvement des carrés rouges. La solution de Madame Marois sera de noyer le poisson de la hausse dans un grand blablabla collectif la suspendant/reportant/retardant, le temps que les étudiants rentrent dans les facs et les cégeps… tout en se ménageant la possibilité de revenir hausser les frais de scolarité plus tard si les choses se tassent. Mon pronostic: le Parti Québécois va gagner cette élection avec l’appui (contrit) de la jeunesse. Mais cette dernière va remplacer le vote illusoirement passionné de ma génération (j’ai fait rentrer Jacques Parizeau dans l’Assomption à dix-huit ans, en 1976) par le vote utile, froid et méthodique, des pragma-temps contemporains. Et, même sous un régime Marois, si la hausse revient, les carrés rouges reviendront aussi. Cohérence un jour…

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Coalition Avenir Québec (chef: François Legault)
– Hausse des frais de scolarité de $200 par année pendant cinq ans
– Abolition partielle du crédit d’impôt pour les études supérieures
– Suspension des articles de la Loi 12 qui limitent le droit de manifester

La CAQ (qui n’a jamais été au pouvoir) est un parti démagogue, rétrograde, bien à droite, girouette, incohérent, flagorneur, arriviste, xénophobe, sorte d’équivalent québécois populiste et mollement francophiliaque des Conservateurs. Ces néo-réactionnaires insidieux et rampants maintiennent une version cosmétiquement atténuée de l’option gouvernementale actuelle tout en faisant bien sentir qu’ils sont de droite (fiscal conservative, diraient nos bons ricains) et s’assument. Un certain nombre de vesses verbales bien senties envers les carrés rouges, émises avec fracas par les dirigeants de ce parti de suppôts veules du capitalisme crispé, prouvent indubitablement que ce sont des autoritaires. Mets le manche dans les mains de ceux-là et prépare-toi à te faire batter en grande dans le champ gauche. À fuir.

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Québec Solidaire
(collectif de direction: Amir Khadir et Françoise David)
– Gratuité scolaire et élimination de tous les frais facturés aux étudiants
– Bonification du système d’aide financière aux études
– Suppression de la loi spéciale (Loi 12)

QS (qui n’a jamais été au pouvoir) est un conglomérat de différents partis et mouvements de gauche et populaires initialement réunis sous deux parapluies, l’Union des Forces Progressistes et le mouvement Option Citoyenne, et qui se sont ensuite fusionnés en un parti politique unique. C’est, en ce moment, un parti qui se donne comme écologiste, féministe, altermondialiste et, quoique plus mollement, anti-capitaliste. Leur programme sur les frais de scolarité, c’est l’idéal. Leur défaut, c’est qu’ils ne gagneront pas cette élection-ci. Je vous reparlerai plus explicitement plus tard des grandeurs et des faiblesses de cette gauche molle, déjà entrée en phase conciliante…

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Voilà donc le tableau. Au moment de diffuser, les associations étudiantes n’avaient pas encore explicitement émis leurs consignes de vote en termes politiciens, se contentant de formuler leurs exigences politiques globales (et ce, pas seulement en éducation). S’ils en viennent à émettre des recommandations favorisant des partis spécifiques, je ne doute pas une seconde qu’elles seront articulées et subtiles, tout comme, justement, le reste de leur analyse sociétale. Nos jeunes de la ci-devant génération Dolan (pour reprendre le mot pas trop mauvais d’un de nos folliculaires) nous ont prouvé lumineusement que la politique politicienne, eh ben, ils laissent cela à leurs petits porte-paroles modérés transfuges

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Le symptôme usuraire

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On connaît tous l’image de l’usurier. Shylock, le Père Grandet, Séraphin Poudrier. Notre compréhension de la réalité de l’usure et surtout de ce qu’elle révèle socio-économiquement est, par contre, souvent plus émotionnelle que rationnelle. Notre analyse du fait usuraire –plus précisément du symptôme usuraire– est souvent un grand exercice larmoyant de moralisme passionnel (et indigné), dans le genre de celui que nous assène le bien décevant film Capitalism: A love story de Michael Moore, cette lamentation christianisante stérile, aux très pauvres vertus analytiques, et très semblable, au demeurant, aux reproches qu’on voit maint héros romantiques adresser à leurs prêteurs sur gages aux cœurs secs et aux pratiques intellectuellement incomprises.

Partons, si vous le voulez bien, des banques. Il fut un temps, pas si lointain, où les banques se contentaient, sans frais pour nous, de faire circuler notre argent en direction de la production effective et de s’enrichir exclusivement des profits de l’investissement agricole, manufacturier ou industriel, avec tout ce pognon des autres. La banque était actionnaire d’entreprises productives et ses revenus étaient le résultat direct de la production de valeur issue de l’économie réelle. On peut dire alors que, dans une logique capitaliste diurne et triomphante, il y avait profits des banques. Elles gardaient le gros de ces profits et nous en distribuaient des miettes sous formes de dividendes de toutes farines, infinitésimaux habituellement, mais bel et bien effectifs. Ce dispositif jojo et efficace était le symptôme non pas de quelque prospérité abstraite perdue mais bien de l’aptitude du secteur productif à dégager des profits nets, matériels et aisément privatisables, dans le cadre strict du programme capitaliste.

La baisse tendancielle du taux de profit, analysée par Karl Marx, est un phénomène économique à long terme qui tient tant à la nature des investissements qu’à l’organisation de la répartition de la propriété collective. En gros, un petit parc d’usines de charbon du 19ième siècle n’engageait que dix mille dollars d’investissement et ne dégageait que neuf cent dollars de profit annuel (9% de taux de profit). Un quartel pétrolier contemporain lève deux milliards de profit annuel mais doit engager trente-trois milliards d’investissement pour y parvenir (6% de taux de profit. Baisse tendancielle, donc). La quantité de profit brut augmente pharaoniquement, donnant une illusoire impression d’abondance et de progrès, mais le taux de profit diminue à mesure que le capitalisme croule et s’étouffe sous la lourdeur des investissements financiers requis par la technologie et les divers avatars de la distribution, de l’encadrement, de l’élimination de la concurrence, de la promotion publicitaire, de la propagande écolo-baratinante, du lobbying, de l’ajustement inflationniste minimal des salaires, des actionnaires à bien engraisser pour ne pas qu’ils détalent et de toutes les activités douteuses en augmentation chronique. Bilan: il faut de plus en plus une grue immense et complicouille pour soulever un caillou. Un investissement rapporte de moins en moins en proportion. Il enrichit donc moins celui qui s’y adonne.

Revenons à notre banque de tout à l’heure. Face à la crise structurelle du capitalisme qui se définit dans la baisse tendancielle du taux de profit, notre susdite banque trouve une solution subite, facile, dopante et, à court terme, incroyablement «profitable» (au sens fallacieux du terme cette fois-ci). Notre banque, pour compenser les pertes que lui impose inexorablement la complexité croissante du monde de la production matérielle des biens et services, instaure les frais aux usagers. Elle lève alors des montants subits, comme les plumes d’une grosse bataille de polochons. Cette profusion, cette danse des milliards, ne doit pas faire illusion. Derrière elle se profile son contraire: le resserrement des profits productifs effectifs. Aussi, si on peut encore parler de revenus des banques, on peut de moins en moins parler de profits des banques. Le pourcentage d’argent extorqué, changeant simplement de poches sans être associé à une production matérielle de valeur, est en constante augmentation. Le banquier est devenu usurier.

Que fait fondamentalement un usurier. Réponse: il monnaye un service improductif. Il vous fait payer pour accéder à un avoir financier élémentaire. La dimension élémentaire du service usuraire est cruciale ici. Dans le shylockingpégreux, par exemple, tu empruntes mille dollars et tu dois rendre mille deux cent dollars en soixante douze heures où on te casse les jambes. Notre culture économique nous a habitué à payer un certain taux d’intérêt (d’ailleurs tendanciellement le même pour tout le monde) pour de gros emprunts ne pouvant pas se contracter auprès d’un particulier (genre hypothèque). On continue de sentir que, sur un tel monceau de pognon, on paye pour le service qui nous y fait accéder, d’où le ci-devant loyer de l’argent. Mais la pratique consistant à vous faire payer pour simplement déposer un chèque ou extirper une pincée de biftons d’un guichet est le monnayage d’un service financier trop élémentaire pour qu’un bond qualitatif ne soit pas franchi ici. Le banquier est devenu usurier. Il n’investit plus au «profit» de son client. Il l’extorque, candidement, pour éviter de se lancer dans l’aventure de l’investissement, devenue hasardeuses, sans entamer ses revenus. Le phénomène se généralise à l’assurance. Il fut un temps où le montant d’une assurance était infime, le service se finançant grâce au flot des avoirs des assurés n’ayant pas réclamé (le tout se complétant des profits d’investissement classiques). Aujourd’hui l’assureur se contente de vous monnayer une empilade de monceaux de pognon que vous pourriez presque faire par vous-même, sous votre matelas, en vous assurant tout seul. Inutile de dire que l’assureur contemporain investit aussi énormément dans le labeur de ceux qui œuvrent à dénicher les faiblesses de votre contrat de police initial pour ne pas payer les réclamations. Devenue intrinsèquement malhonnête, l’assurance est de plus en plus une extorsion simple. Le service qu’elle monnaye devient si élémentaire qu’il tend vers l’inexistence.

C’est ici que l’agacement collectif face à l’usure ne doit pas masquer notre compréhension rationnelle du symptôme usuraire. La grande usure classique (Shylock, les banquiers lombards, etc.) apparaît, à la fin du Moyen-Âge, au moment du déclin du pouvoir aristocratique. Le déclin de l’aristocratie terrienne n’est pas le déclin de la productivité de la terre. C’est plutôt le déclin de la propriété exclusive par l’aristocratie des profits productifs globaux. L’aristocrate ne finit pas ruiné parce que ses terres produisent moins (souvent leur productivité progresse en fait, avec les technologies et l’amélioration des transports). Il finit ruiné parce que le taux de profit qu’il détient diminue devant celui du marchand, du potier, du drapier, du banquier. Ce n’est pas son secteur de production qui est en disparition, c’est sa classe sociale… Pour surnager dans ce nouvel espace concurrentiel, l’aristocrate se tourne vers l’emprunt à court terme et les usuriers pullulent. L’aristocrate devient de facto l’assisté de son banquier lombard ou juif (l’antisémitisme trouve son terreau putride juste là et pas ailleurs, d’ailleurs). Il met ses biens, trousseau, meubles et immeubles, au clou, en un ultime troc improductif où l’usurier triche à son propre avantage. Le symptôme usuraire du Marchand de Venise est l’indice de la crise irréversible de la propriété aristocratique.

Les capitalismes, commercial puis industriel, dans leurs phases florissantes, tendant à restreindre l’usure à sa part congrue. Les activités bancaires productives sont difficilement compatibles avec l’usure, service financier localement rentable mais socialement improductif, qui thésaurise statiquement plus qu’il n’investit dynamiquement. Puis quand la crise de la propriété capitaliste s’installe pour de bon, comme c’est le cas aujourd’hui, le symptôme usuraire réapparaît, sous une forme amplifiée, magnifiée, hautement nuisible et pernicieuse. Comme l’aristocrate de jadis était dépendant de son banquier lombard pour continuer de mener ses guerres de propriété foncière, l’investisseur d’aujourd’hui, nouvel assisté en voie de déclassement, attend scrupuleusement que la Fed lui alloue sa certitude de revenu non productif. Z’avez pas remarqué que l’investissement industriel contemporain (et son indice boursier en cisaille) n’attend plus après les cours usiniers ou manufacturiers, les marges de profit des secteurs, les tendances des marchés et de la production, les chiffres de l’emploi et de la consommation, mais bel et bien après les «mesures de relance» de la Fed (entendre: le rachat des mauvaises créance, c’est-à-dire, l’extorsion institutionnalisée du bien collectif pour renflouer l’investisseur déclinant). Le capitalisme au complet se transforme graduellement en une vaste assistance financière. Les ressources collectives sont de plus en plus ponctionnées pour faire flotter l’accapareur privé dans sa perpétuation stérile. Accaparement improductif. La grosse machine tourne de plus en plus à vide. Elle ne se finance plus que par la rapine d’état et les ponzifiades de tous tonneaux.

Reflux économique majeur, le symptôme usuraire contemporain signale la généralisation de la crise de propriété du mode de production capitaliste. La disparition du profit des actionnaires ne marquera pas la fin de la production mais simplement la conclusion de la phase d’accaparement privé que banques extorqueuses et investisseurs frileux retardent, à la petite semaine, en recourant au pis-aller terminal de l’extorsion usuraire improductive de toute la société civile, via les relais, encore temporairement dociles, des grands organismes régulateurs-serviteurs. La classe capitaliste est en train de disparaître.

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La spéculation comme prospective hasardeuse

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Il y a deux sortes de spéculation. La spéculation sur production et la spéculation sur mouvements financiers. Il est important de ne pas les confondre car leur caractère hasardeux n’est pas tributaire des mêmes avatars.

Spéculation sur production: Une usine de machines à coudre de Shanghai voit sa production augmenter de huit cent unités par mois. Éventuellement, elle ne fournit plus à la demande. Il vient donc un moment où, devant cette croissance sensible bien attestée, elle doit s’ajuster. Elle doit amplifier ses infrastructures, augmenter ses acquisitions de matières premières, embaucher plus de travailleurs. Une banque accepte de la financer sur la foi prospective de cette augmentation stable de huit cent unités par mois. L’industriel, et la banque qui le finance, misent ensemble que cette augmentation va se poursuivre avec constance sur un laps de temps suffisamment long (fantasmatiquement, infini en fait) pour que l’investissement et l’amplification de la production s’avèrent fructueux. Ce type de spéculation industrielle, inévitable dans la situation d’investissement productif la plus ordinaire, est à l’origine de la majorité des crises de surproduction. On connaît bien, depuis 1929, la grandeur et les misères de la spéculation directe sur production… or justement, les pays émergents n’étaient pas dans le tableau du capitalisme industriel en 1929. Pour eux, ce sont encore les années folles…. Ouille, ouille, pour la suite… On doit mentionner ici, aussi, la spéculation foncière, qui est une spéculation indirecte sur production. Un investisseur achète un terrain en calculant qu’il le vendra plus cher plus tard. Si c’est le cas, c’est parce que ledit terrain deviendra agricolement exploitable, où qu’on y trouvera des mines, ou qu’on y fera passer un chemin de fer où qu’on y construira des maisons, parce qu’une usine ou des bureaux administratifs s’installent dans le coin. Dans tous ces cas la spéculation foncière mise indirectement sur le fait que la production et son développement rendront la terre plus chère. Comme la spéculation sur production industrielle, la spéculation foncière reste raccordée aux portions primaires et secondaires (éventuellement tertiaires aussi) de l’économie réelle.

Spéculation sur mouvements financier: Un investisseur matois se voit promettre un retour de 15% sur son placement. Il flaire qu’il s’apprête à faire un investissement dans un schème de Ponzi. Ce dernier semble en phase d’amorce et la police de la bourse n’a rien vu encore. Notre investisseur joue l’argent (des autres) qu’il gère et le place dans ce mécanisme pour trois ans. Trois ans plus tard, pari gagné, le schème n’est pas encore éventé, cet investisseur là retire son placement et sa mise. Il est indemne, et le château de carte s’écroulera un peu plus tard, sans risque désormais pour lui. Fiiiooouuu…Par parenthèse, ceux qui se demandent où est passé l’argent, lors du démantèlement d’un schème de Ponzi. Il est là, chez les investisseurs qui ont su s’envoler avant que la vague ne retombe. Ponzi se fait pincer mais l’investisseur matois à qui il a servi de paravent court toujours. Un autre exemple de spéculation sur mouvements financiers, c’est l’achat massif de devises. Le Yuan est bas, vous en achetez pour des millions en Euros, en assumant qu’il va remonter. Quand le Yuan remonte effectivement, vous revendez vos Yuans pour plus d’Euros que la somme initialement engagée. Ta-daaaam, vous venez de faire un coup d’argent facile en faisant jouer la fluctuation des changes à votre strict petit avantage privé.

Le principal avatar de la spéculation sur production est la surproduction. Prenez les ordis personnels. En 1983, il n’y en a presque pas. En 1990, ils sont partout. En moins d’une décennie, la production de cette invention nouvelle s’est intégralement mise en place. Non sans myopie, on projette alors spéculativement la croissance de leur consommation sur la base de la production résultant de leur apparition intégrale. On fantasme qu’il faudra continuer d’en sortir autant qu’à l’époque où ils apparaissaient intégralement et pour la toute première fois dans le monde. Le vieux serpent de mer increvable de la surproduction des biens de consommation semi-durables, bagnoles, ordis, cahutes (et les machines à coudre de mon industriel de Shanghai) se remet alors à hanter l’industrie. J’ai acheté quatre PC et deux portables pour moi et ma famille dans la dernière décennie. Je ne vais pas en acheter autant dans la décennie prochaine, vu que je les ai… Leur usure ne sera pas un facteur aussi massivement déterminant que leur littérale apparition dans l’existence. Parfois on dirait que, même en Occident, on n’a rien appris de 1929 et qu’on continue de projeter l’exponentiel rose fluo jusqu’à ce que cela se mette à nous refouler dans la gueule.

Le principal avatar de la spéculation sur mouvements financier est l’improductivité. Fricoter dans les bouts de papier, flagosser dans le mouvement des changes, spéculer main dans la main avec Ponzi, Madoff et consort change la richesse de place mais n’en produit pas de nouvelle. En Occident, la poussée productive liée aux inventions des nouvelles technologies a produit les grands parcs informatiques contemporains. Ce n’est pas rien. Pour trouver un équivalent économique de ce phénomène vraiment peu fréquent, il faut remonter à l’invention de l’automobile, ou à celle du téléviseur. Cette productivité innovante des années 1990 a été suivie d’un crise croissante de surproduction (trop de téléphones portables, trop d’ordis, trop de logiciels, trop de «versions» de tout, et leur dévaluation en pagaille) et d’un glissement vers l’illusoire valeur refuge de la spéculation sur mouvements financier. Remplacer une spéculation d’investissements, engorgée par la surproduction, par une spéculation de placements, improductive et mordorée de rouerie et d’astuces, ne sert que des intérêts circonscrits, temporaires et est hautement nuisible socialement. Pas étonnant que les financiers contemporains basculent dans le plus grossier des banditismes, trait de plus en plus ordinaire de la guerre interne du capitalisme.

Au jour d’aujourd’hui, la spéculation sur production est surtout chinoise. Leur culture économique (comme celle de tous les pays émergent) n’a pas encore vécu un vrai équivalent de 1929 et n’a pas encore rencontré un vrai équivalent de Roosevelt. Excès de confiance, jubilation, jovialisme et tous les autres traits comportementaux du capitalisme sauvage sont en place. Le réveil sera difficile quand la crise de surproduction frappera (surtout avec, en complément de leur marché intérieur insuffisant, la baisse inexorable de la capacité de consommation de l’Occident). La spéculation sur mouvements financier est surtout américaine. C’est la fameuse Bubble & Burst Economy que dénonce Obama. Tertiarisée, improductive, de plus en plus enracinée dans la boue gluante du baratin, de l’ésotérisme abscons de boursicotard, de l’arnaque et du court terme, cette autre spéculation est un signe patent du déclin du capitalisme occidental. Les leviers financiers effectifs vont de plus en plus suivre la production effective, du nord vers le sud. À la crise de l’économie mirage de 2008, succédera une crise de l’économie réelle, industrielle, non balisée, non-rooseveltisée des pays émergents. Un 1929 à la puissance mille.

Ce que ces deux types de spéculation ont en commun c’est d’être une prospective optimiste et mécaniste sur l’augmentation de gains futurs. Spéculer c’est miser. Inutile de dire aussi qu’investir c’est fondamentalement spéculer sur un gain. Investir à perte, ce n’est plus investir, c’est renflouer. On connaît alors la rengaine instaurée par la fameuse crise de 2008: privatisation des profits, collectivisation des pertes. La spéculation est un trait essentiel, fondamental du capitalisme. Elle est à la fois sa force et sa faiblesse. Mais il faut garder à l’esprit qu’il y a spéculation et spéculation. Une spéculation durillonne de capitalisme jeune, triomphaliste et inconscient et une spéculation mollassonne de capitalisme vieilli, avachi et cynique, Et surtout, il semble bien qu’il ne sera pas possible de se débarrasser ni de la spéculation, cette fichue de prospective hasardeuse, cette gageure privée aux effets colossaux, ni de ses terribles dommages, sans se débarrasser du capitalisme même.

On notera finalement que les deux grands types de spéculation peuvent parfaitement  s’enchevêtrer et cumuler leur impact nocif. La Bulle Facebook en est l’exemple actuel le plus criant. On a d’abord une présomption de profits publicitaires mal étayée qui met en valeur ce grand vivier populaire tertiaire en le corrélant à un éventuel soubresaut de la production effective visant à fournir les marchandises rendue visibles à ces millions de consommateurs (potentiels, pour ne pas dire éventuels) par des bannières d’annonces n’ayant pas vraiment fait leurs preuves (le cas échéant, comme on anticipe ou fantasme une demande à venir, on a bel et bien une spéculation sur production, molle mais indubitable). Entrent en action ensuite (surtout!), dans une phase intimement intriquée mais distincte, une nuée virulente de spéculateurs puissants et spécialisés qui, selon une procédure finalement assez analogue à celle des scalpeurs de billets de concerts rock ou de parties de hockey, achètent et revendent des parts en masses colossales et vite, (spéculation très dure sur mouvement financier) gonflant artificiellement une valeurs déjà en soi hautement instable. L’art de démultiplier l’ampleur d’un krach en ne produisant strictement rien de profitable pour la société civile ou même, pour les entrepreneurs eux-mêmes, dont même la logique arriviste étroite est spoliée par la classe parasitaire des financiers spéculateurs, cancer économique par excellence de ces temps de capitalisme troublé.

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Sur le féminisme de droite

La question ressurgit de temps en temps chez nos folliculaires. Les organismes féminins gauchisants contemporains sont-ils des représentants légitimes de l’intégralité de la masse des femmes. Les femmes de droite répondent habituellement ouvertement par la négative à cette question épineuse. Elles sont bien en rogne qu’on prétende les représenter en mobilisant des portes-paroles qu’elles qualifient rageusement (et, en fait, pas très honnêtement) de «granolas lesbianisantes aux idées extrêmes». Sans vouloir jouer les esprits paradoxaux, j’ai quand même, spontanément, envie de poser la question suivante, un peu perfide: les femmes de droite, numériquement minoritaires, ouvertement élitaires, n’ont elles pas pourtant tout plein d’organismes (masculins ou mixtes) pour parler pour elles? Conseil du Patronat, Chambres de Commerces, comités et regroupements corporatifs de toutes farines, grands syndicats des médias, conseils ministériels, etc… Ma question ici postule, naturellement, que la femme de droite n’est pas trop distincte de l’homme de droite (ce postulat est respectueusement ouvert à discussion) et surtout, mon interrogation pose conséquemment la question toute simple et directe de savoir s’il y a un féminisme de droite

D’abord, il n’y pas à se conter de menteries. Il y a des noirs de droite, des gais et des lesbiennes de droite, des aborigènes canadiens de droite (et même antisémites), des handicapés de droite et indubitablement des femmes de droite. Les groupes sociaux à bases biologique ou ethnologique ne sont pas des classes sociales et l’appartenance à ces derniers n’est en rien le garant d’une position de classe conséquente. Mazette, il y a même des ouvriers, des chômeurs et des assistés sociaux de droite, alors je vous demande un peu… Il faut aussi assumer que la réflexion, spontanée ou articulée, sur la condition féminine n’est certainement plus un monopole à gauche. On dégage alors inexorablement deux types de femmes de droite. Il y a d’abord les femmes de droite qui sont ignorantes du féminisme ou le combattent. Elles vivent dans l’ombre de leur homme, jugent que tout va bien dans l’ordre machique et phallocrate des choses et que les valeurs traditionnelles priment. Dire qu’il y a des femmes de droite qui sont non féministes, c’est un truisme. Ces figures d’arrière-garde existent bien toujours mais, par contre aussi, il est légitime de suggérer que leur impact social est voué, dans la dynamique contemporaine, à demeurer faiblard. Que voulez-vous, c’est inévitable. Faire compulsivement la promotion de la soumission ne rend ni insoumise, ni puissante, ni même particulièrement active socialement. Sorte de caricature du passé, la femme soumise rétrograde, dont la cause est indubitablement foutue, servira, en fait, de repoussoir extrême, fort utile au féminisme de droite. Il est en effet toujours utile d’être (ou de paraître) en avance sur une autre instance et de s’en glorifier.

Il y a ensuite les femmes de droite qui font une promotion active (et parfaitement légitime, dans la logique, réformiste mais non révolutionnaire, qui est celle de tous les segments de la droite «novatrice») de la femme, de l’efficacité des femmes, du pouvoir des femmes, de l’éthique professionnelle des femmes, de la légitimité des particularités de la culture intime des femmes, de l’esprit de corps des femmes. Les femmes de droites, actives dans l’entreprise, le commerce, les médias et la politique observent vite la persistance rampante, un peu poisseuse, d’une mentalité masculine vieillotte, surannée, ou, plus insidieusement, d’une propension semi-consciente des hommes bien installés à imposer leur culture intime comme si c’était un implicite absolu et incontestable. Les chicanes sans fin sur la climatisation des bureaux, l’intendance des chiottes, les activités sociales d’entreprise, l’éthique entrepreneuriale et la tenue des cuisinettes attenantes aux salles de réunion est un symptôme tout à fait parlant du phénomène beaucoup plus vaste du choc des sexages parachevant le positionnement entrepreneurial des femmes. Inutile d’ajouter que les questions sérieuses où les femmes d’affaire sont solidement actives et en position de pouvoir sont, en fait, sans sexe et neutres en sexage. Ces femmes les traitent, y agissent, y jouent leur rôle et tout est dit.

On suggérera donc qu’un féminisme de droite considère simplement que la femme est l’égale de l’homme et mérite le même salaire, les mêmes tâches et la même considération MAIS, ce… dans un espace concurrentiel capitaliste que, d’autre part, le féminisme de droite promeut, postule et ne remet aucunement en cause. Ce féminisme, égalitaire mais non révolutionnaire, développe aussi un solide corporatisme féminin, c’est-à-dire une promotion ferme, solide, de toutes les particularités de la culture intime des femmes comme facette de la réalité sociale (capitaliste) postulée et axiomatisée. Il est d’ailleurs parfaitement usuel, pour l’esprit de corps féminin de droite, de nier purement et simplement être un féminisme. Le féminisme de droite en est pourtant bel et bien un. Le nier, c’est occulter son importante facette progressiste, bien sûr circonscrite, souvent bafouée (y compris en son sein même) mais bien réelle. Et le féminisme de droite est, de plus, extrêmement important pour la gauche parce qu’il contribue à démonter une des grandes illusions de ladite gauche, celle voulant (encore) que cause des femmes et lutte des classes soient intimement confondues et comme inextricablement fusionnées. Cette fausseté théorique est mise en relief par l’impact social croissant du féminisme de droite contemporain. Le féminisme de droite revendique une meilleure place pour les femmes d’affaire dans un monde des affaires qu’il n’a aucunement l’intention de questionner. Le féminisme de droite entend que les femmes de droite prennent leur place au côté des hommes de droite dans un système social toujours fondamentalement affairiste, ploutocrate, oppresseur et bourgeois. Progressiste en son espace strict, novateur dans le cadre restreint du dispositif qu’il postule, le féminisme de droite relègue inexorablement dans la fosse fétide de l’extrême droite ruinée la cause androhystérique de la soumission de la femme à l’homme et toute les facettes de l’anti-féminisme féminin (ou masculin) passéiste. Cette cause là est entendue autant pour le féminisme de droite que pour le féminisme de gauche. L’ensemble des femmes de droites se subdivise donc finalement en trois sous-ensemble: 1- les femmes effectivement non-féministes (ne les cherchez pas dans le milieu du travail. En bonne cohérence objective, elles sont devant leurs poêles); 2- les féministes de droites non assumées (elles refusent fermement de se dire féministes parce que cette notion pue la gauche à leurs narines. Ce sont souvent les «anti-féministes» les plus virulentes, du moins subjectivement, verbalement. Il faut observer leurs actions effectives, pas les illusions qu’elles entretiennent sur elles mêmes); 3- les féministes de droite assumées (les championnes explicites de l’esprit de corps féminin, implicitement affairiste et bourgeois).

L’existence du féminisme de droite (et le fait qu’il a de plus en plus pignon sur rue, notamment dans la politique et les médias) pose des problèmes très délicats à l’action militante. Le fait est qu’il faut combattre le féminisme de droite (surtout lorsqu’il est assumé, car alors il se légitimise sciemment comme progressiste) non pas parce qu’il est un féminisme mais bien parce qu’il est de droite. Il est donc indispensable de le dissoudre, méthodiquement et sans minimiser sa spécificité innovante, dans le reste de l’idéologie de droite qui, elle, est désormais de plus en plus sans sexe ni genre et sans doctrine spécifique du sexage. Et l’exemple cardinal ici, c’est nul autre que celui de notre bon gros Tony Soprano. Suivez-moi bien. Tony Soprano est un malfrat teigneux, un criminel notoire. Quand le FBI le serre de près, il pose un geste rhétorique tout particulier. Il se met à se lamenter parce qu’en s’en prenant à lui, on s’en prend(rait) à la communauté italo-américaine toute entière, qu’on empêche(rait) de s’épanouir. Certains aborigènes, ou pseudo-aborigènes (masqués), trafiquants de cigarettes, d’armes ou de cannabis, jouent la même carte. Quand la brigade des crimes économiques ou des stupéfiants les serre de trop près, ces criminels de droit commun, bien planqués dans le maquis de la légitimité de la cause aborigène, se mettent à dégoiser sur l’oppression de leur peuple par l’homme blanc… Il faut alors prudemment se dégluer de cette dangereuse chausse-trappe sociologique, en expliquant calmement à Tony Soprano que ce sont ses activités criminelles, et non son profil ethnique, qui lui méritent ses ennuis actuels. Vive la communauté italo-américaine. Vive les aborigènes. Haro sur la criminalité. Même message ici: vive l’augmentation du pouvoir des femmes tous azimuts et inconditionnel, haro sur le capitalisme et sur les femmes et les hommes qui en profitent. Car il est, lui aussi, rien de moins qu’un crime.

J’y faisais allusion en ouverture, le féminisme de droite combat ouvertement et farouchement le féminisme de gauche, non pas parce qu’il est un féminisme, mais bien parce qu’il est de gauche. C’est la base de l’accord sur la cause collectivement endossée et légitime (la cause féministe, dont la validité est incontestable) qui sert de vivier pour la lutte la plus fondamentale, la plus implacable, la plus cruciale: la lutte des classes. Si le féminisme de gauche a tort de croire qu’il parle pour l’intégralité des femmes (le capitalisme ayant su se réformer un petit peu en faveur des femmes de droites), le féminisme de droite a bien plus profondément tort de s’imaginer que l’arène exclusive de la lutte des femmes (comme êtres humains, en solidarité avec tous les êtres humains) est exclusivement cette société capitaliste inique dont les petites cheffes et les soldates n’ont pas plus de décence sociale que ses petits chefs et ses soldats.

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