Archives de Tag: Marxisme

La guerre interne du capitalisme

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Il n’est pire guerre que la guerre des intestins contre les intestins. Ah, il y a du brasse camarade dans l’économie-monde… Il fut un temps ou les disparités de modes de production étaient beaucoup plus accusées qu’aujourd’hui, seulement en Europe. La notion de “tiers monde” était jadis économiquement quasi-inexistante. Je n’en finirais pas d’énumérer les problèmes posés par ce fichu de nouveau siècle. Le moteur du mouvement social réside bel et bien toujours dans les possibilités d’extortion du surtravail. Or, les pays que nos journaux appellent du “tiers” et du “quart” monde sont aujourd’hui les grandes sources de plus-value effectivement productive. Les économies occidentales sont, en notre temps, à 75% post-industrielles (services et bureaucratie, principalement). Ainsi, un stylos à bille produit au Honduras coûte infiniment moins cher en reviens que le même stylo à bille produit en France ou en Allemagne. Les coûts de frais sociaux sont inexistants dans le premier cas. L’assiette de plus-value produite par le prolétaire non-occidental n’a donc que le capitaliste comme convive à convoquer. Il n’y a plus à la partager avec le col blanc occidental, sous forme de charges sociales, et de cette kirielle de frais divers qui font du Nord-Ouest un oasis illusoire. Cette situation de disponibilité internationale de surtravail frais et bon marché suscite une véritable exportation du moteur de production vers les zones plus précairement prolétarisées. Nous évoluons désormais dans un dispositif où le travailleur occidental s’est historiquement donné une protection sociale mais a laissé la bourgeoisie aux commandes. La conséquence en est qu’il fonctionne comme une sorte de rentier social, d’aristocrate ouvrier. Mais l’aristocrate dépend de sa terre nationale! Si celle-ci tombe en friche, c’est sa rente qui s’effiloche. Ici c’est la bourgeoisie aux abois qui rouille le blé de l’aristocrate ouvrier! Car, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’expatrier le moteur de production, c’est aussi expatrier le moteur de consommation, car ce sont là les deux facettes dialectiques du même jeton. Chercher de nouvelles sources de plus-value, c’est expatrier la production. Et expatrier la production, c’est expatrier le marché. Dans les derniers 30 ans, le pouvoir d’achat des masses prolétariennes indonésiennes, chinoises ou guatémaltèques a, en proportion, beaucoup plus augmenté que celui des masses françaises, états-uniennes ou allemandes. Le marché devient donc international au sens fort, et les entreprises domestiques produisent et trouvent le marché là où il se produit et se trouve. L’internationalisation du marché n’est donc pas la conséquence du tassement de la production domestique, mais sa cause. Moins de plus-value domestique, moins de pouvoir d’achat domestique. Moins de pouvoir d’achat domestique, tassement du marché domestique. Voir cela comme une stratégie voulue des patrons c’est dès lors basculer dans une interprétation volontariste de type militantisme vulgaire. Cet état de fait économique s’impose au patron occidental autant qu’au travailleur occidental. La dynamique de concurrence pousse implacablement toute la machine dans le bourbier tiers-mondiste. Et ainsi, le ci-devant “libre échange” est lui aussi consécutif plutôt que causal. Les cris de nos libre-échangistes c’est le hululement de la chouette de Minerve, quand tout est joué et quand la nuit de la mondialisation est tombée. Qui va en profiter? Ah, ah. Voilà le beau merdier! Extirper la productivité des secteurs avancés, balisés socialement, pour la nicher dans des pays arriérés, semi-coloniaux, à régimes dictatoriaux et “bananiers”, pour reprendre une image d’une autre époque qui dit bien ce qu’elle a à dire, donne une illusoire et courte impression de levée fraîche de profits rapides. En fait la régression (notez ce mot!) sur les zones à capitalisme sauvage aura à moyen et long terme les effets qu’ont eu le capitalisme sauvage: désorganisation de la production, dérapage social, paupérisation à outrance, émeutes de la faim, spéculation sans balises menant à des crash boursiers, dans des pays pauvres mais dont le sort semble soudain rayonner sur le monde. La Thaïlande, la Russie, l’Inde, la Chine et le Brésil en témoignent. Le capitalisme étire son sursis, mais tout cela revient à la fameuse baisse tendancielle du taux de profit. Elle se poursuit, inexorable, et les profits absolus ne doivent pas faire illusion quand au caractère déterminant de cette loi. Le capitalisme se love sur la planète entière, mais en même temps il s’étrangle impitoyablement avec ses propres circonvolutions. Il va se trouver coincé entre l’aristocratie ouvrière occidentale qui va se mettre à s’agiter pour ne pas perdre ses privilèges, et le prolétariat des nouvelles zones, productives industriellement mais arriérées politiquement, qui va se mettre à s’agiter pour acquérir les siens. On n’a pas fini de voir s’ébranler le monde. Mais cette fois-ci, le capitalisme ne trouvera plus un “quint” ou un “sixte” monde pour se réactiver, la planète étant, l’un dans l’autre, une sphère finie…

La contradiction interne fondamentale du capitalisme ne pourra donc plus se fuir elle même vers les zones en friche, comme elle le fit du temps de la phase imperialiste. La guerre, la vraie guerre interne du capitalisme va donc s’amplifier hyperboliquement. De nos jours, elle se joue et se joue farouchement entre les PDG et les investisseurs. Ils n’ont presque plus besoin de la lutte des classes classique: ils se mangent entre eux. Les premiers mobilisant une énergie formidable pour fourrer les seconds. Les seconds se méfiant des premiers comme un nageur des requins. Elle est loin l’époque où le premier Rockefeller jugeait que la satisfaction des investisseurs était l’objectif cardinal de l’homme d’affaire prospère. C’est que le capitalisme n’investit plus: il boursicote. Ses intendants maquillent les chiffres pour que les investisseurs ne retirent plus leurs joujoux financiers en un éclair. Les profits de productions sont graduellement remplacés par le butin d’extorsion par actions. Les investisseurs sont tout aussi cyniques et insensibles. Ils ne s’impliquent plus dans une entreprise parce qu’ils croient en sa mission mais bien parce que c’est la crête du moment dans leur surfing électronique, ultra-abstrait et ultra-rapide aux dividendes. Même le commerce des produits financiers s’engage dans ce type de mutation implacable. Préférer l’extorsion directe avec résultat à court terme à la doctrine classique de «faire de la clientèle» est une attitude qui surprend toujours en Amérique du Nord. En Europe, c’est la loi. On te fait les poches en un acte commercial unique et retors et tant pis su tu ne reviens pas et parle de nous en mal à tes copains. Mais dans le Nouveau Monde, c’est inhabituel. Inhabituel et symptomatique. Quand la soif du profit à court terme atteint une telle profondeur microscopique, c’est que les choses changent dans notre contexte économique. À rapprocher de la désormais classique explosion des frais d’usager des banques. Ne plus investir (dans l’industrie pour les banques, dans la satisfaction du client pour les commerces) mais extorquer en une ou deux fois et fuir. Fondamentalement cela change la valeur de place (de poche…) mais n’en produit plus de nouvelle. Il est criant que ce système a cessé de croire en lui même. Le spéculatif poursuit sa lente et inexorable séparation du productif et les experts, qui sont au service du spéculatif, s’attellent à la principale tâche du spéculatif : nier le réel, peindre en rose la muraille grise des faits concernant la productivité, l’échange, la compétitivité, la qualité matérielle des produits, leur réception effective dans le public, etc… L’arnaque passe de plus en plus en auto-arnaque. La guerre interne se poursuit, autant que la contradiction autodestructrice motrice. Certains acteurs passent aux aveux. Il est criant que le profit de l’entreprise, devenu depuis l’entreprise du profit, nuit désormais ouvertement à la production effective.

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Classé dans Actualité, Paul Laurendeau

En critiquant SUR SA GAUCHE la plateforme électorale du parti politique QUÉBEC SOLIDAIRE

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La plateforme (pour employer la monstruosité verbale consacrée chez nous pour désigner un programme électoral) du parti politique QUÉBEC SOLIDAIRE (QS), le parti le plus à gauche du camembert politicien québécois, est un document bien aéré de seize pages (il vaut vraiment la peine de prendre le temps de le lire) disposant quatorze têtes thématiques en ordre alphabétique (pour bien faire sentir qu’elles sont de priorités égales). Comme nous sommes, grosso modo, entre camarades idéologiques, nous sommes bien d’accord sur le fait que le Parti Québécois, le Parti Libéral et la Coalition Avenir Québec sont des partis bourgeois parfaitement fétides dont la vision sert les mêmes maîtres. Pas la peine d’en dire plus long sur eux. Leur cause est clairement entendue au tribunal de l’actualité et de l’histoire. Ce qui pose des problèmes plus importants, par contre, plus cruciaux, plus douloureux aussi, c’est la vision du parti de gauche dont dispose au jour d’aujourd’hui notre beau Kébek de 2012. On a, de fait, affaire ici à une gauche molle, conciliante, parlementaire, non-radicale, écolo-démocratique, non-révolutionnaire. C’est donc une gauche qu’il faut nettement critiquer sur sa gauche… Dont acte, sur les quatorze points:

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AGRICULTURE. La doctrine agricole de QS est fondamentalement localiste. Lisez-la attentivement, ce sera pour découvrir, derrière le paravent amical et respectueux de la valorisation des produits frais transportés sur de courtes distances, l’ombre centriste du protectionnisme agricole national (québécois). Un peu comme les démocrates américains (et pas plus radicalement qu’eux d’ailleurs), QS entend surtout maintenir la concurrentialité de l’agriculture québécoise, sans trop s’étendre sur le manque de solidarité internationaliste que cela risque inévitablement de provoquer envers le prolétariat de maint sous-secteur, en Amérique du Sud notamment.

ALTERMONDIALISME. La vision altermondialiste de QS se veut universalisante et englobante. Les hommes, les femmes, l’écologie, la paix, les droits (bourgeois) de la personne (désincarnée) se voient promettre abstraitement un traitement plus juste, plus équitable. L’absence de visée sciemment internationaliste sur la lutte des classes et sur la dimension fermement anti-capitaliste de l’altermondialisme place QS, de facto, dans la portion larmoyante, généraliste, vœux-pieuzarde et petite-bourgeoise de cette mouvance complexe, corrosive, fluide et contrastée.

AUTOCHTONES. On se propose ici de maintenir la culture de ghetto et la folklorisation (linguistique notamment) des aborigènes, tout en cherchant discrètement à en contenir les abus les plus criants (atteinte aux droits des femmes, notamment). On continue de maintenir le mythe de l’entité autochtone comme peuple autonome en promettant, comme le font les partis bourgeois, des négociations de peuple à peuple. Aucune analyse du néo-colonialisme brutal et hypocrite servant de fondement à ce genre d’approche faussement égalitaire n’est avancée. On fantasme la dynamique autochtone comme une version en miroir de notre propre dynamique nationale et, surtout, on en parle (même en termes ouvertement généralistes) parce que ça fait bien. Crucialement, le fait que les aborigènes du Québec préfèrent de longue date faire affaire avec leur intendant colonial direct, le gouvernement fédéral canadien, n’est pas pris en compte ici.

CULTURE. Elle se déploie exclusivement en deux facettes. Sur la langue française, on continue de bien s’avancer dans la mythologie nationaliste du monolinguisme français. Il n’y a aucune prise en compte du fait diglossique et l’ensemble des langues du monde parlées au Québec est implicitement traité comme une menace culturelle placée au même niveau assimilateur que l’anglais. Presque identique à celle du Parti Québécois, cette lune linguistique unilatérale souffrira des mêmes carences que celle dudit Parti Québécois: crypto-xénophobie larvée et absence intégrale de solidarité envers les locuteurs des langues de la vaste constellation du not english only. Seconde facette culturelle selon QS: le mécénat culturel d’état, perpétue la négation implicite de toute dimension subversive de la culture, dont le financement continue de devoir se soumettre ronron à l’ensemble, peu reluisant et opaque, des critères fonctionnarisés.

ÉCONOMIE. Sur la fiscalité, on s’engage à graduellement/timidement remettre les entreprises au centre de leurs obligations fiscales et on entend combattre l’évasion fiscale par de la législation. Aucune saisie, aucune coercition des accapareurs n’est prévue. Ce sera de la supplique et du larmoiement. Sur les ressources naturelles, on y va du poncif de la nationalisation, totale ou partielle. On fait dans la perpétuation des pratiques, allégée par de l’atténuatif et du graduélliste. Un peu comme Salvador Allende autrefois, on pense la gabegie minière et forestière en termes de modération et d’enrichissement des communautés locales et/ou nationales (québécoises), sans qu’une remise en question radicale du postulat de l’extraction massive ne soit effectuée. Sur la croissance économique, on veut chercher à se débarrasser de la surproduction, de la surconsommation et du surendettement (vaste programme) mais on n’entend le faire qu’en organisant la production sur un axe strictement moral, en diminuant la production sale (gaz de schiste, uranium) et en amplifiant les activités propres et égalitaires (transports collectifs, agriculture de proximité). On voit bien la montagne du mythe coercitif de la croissance. On y répond par la souris du capitalisme équitable. Sur les institutions financières d’état, notamment la Caisse de Dépôt et de Placement, on entend tenir tête à l’Internationale du Pognon en recentrant ces acteurs financiers dans une perspective régionaliste, localiste, nationaliste, PME-iste. On défend le petit contre le gros, sans questionner la dimension qualitative commune à ces deux formats. On promet de mettre les entreprises au pas, dans l‘intendance de leurs subventions et dans la saine gestion du démantèlement de leurs installations désuètes. Les promesses ici sont plus détaillées (allez lire ça)… mais cela reste des promesses.

ÉDUCATION. Promoteur de la gratuité scolaire intégrale, QS ne dit cependant rien sur le noyautage intime et parasitaire des institutions universitaires par le secteur privé ni sur le conflit d’affiliation d’une portion croissante du corps universitaire spécialisé. Le gonflement chronique des frais administratifs du secteur de l’éducation (universitaire notamment) n’est pas mentionné non plus. Priorité est donnée à la partie angélique et consensuelle de la critique que les carrés rouges on produit, au sujet du secteur de l’éducation. Sur la persévérance scolaire, QS avance le lot usuel des engagements centristes au sujet de la promotion de la famille, du soutien aux enseignants, de l’appui aux communautés, de la lutte à l’intimidation. Ici encore, il n’y a pas de classes sociales, donc pas d’école de classe. On affronte une sorte de fatalité abstraite que l’on croit pourvoir résorber sans analyse sociologique réelle du bras scolaire et de ses filières, en faisant simplement couler plus de fric dans le tuyau. Même angélisme abstrait, subventionnaire et gradualiste, dans le souhait pieux de la promotion de l’école publique. La fermeture immédiate et sans compensation de l’intégralité des institutions scolaires privées et/ou confessionnelles est une clause qui NE FAIT PAS partie du programme de QS en éducation.

ENVIRONNEMENT. Sur l’énergie et le climat, on avance la batterie d’accommodements qui sont ceux, rebattus désormais, d’un parti écologique économico-apolitique (si vous me permettez cette formulation un peu ironique. Je veux dire Europe Écologie plutôt que les Verts – pour ceux qui capteront cette nuance un peu franchouillarde). En gros, on reste capitalistes mais on remplace le carburant fossile par des éoliennes et on coupe, graduellement toujours, dans le salopage environnemental le plus criant, sans toucher à la dimension socio-économique (capitaliste) du problème. On notera que l’extraction du gaz de schiste serait, ici, intégralement interdite (QS a déjà été plus mou sur cette question – mais là, d’évidence il a flairé le vent de la résistance citoyenne). Le transport collectif serait valorisé, avec un objectif de gratuité d’ici dix ans (des promesses, des promesses…). Sur la biodiversité et le droit à l’eau, on exprime la vision standard d’un parti écologiste occidental, urbanisé, jardinier et bien-pensant.

FAMILLE. La politique sur la famille de QS semble se restreindre à la promesse ritournelle de l’augmentation des places en garderies. Même les partis bourgeois brandissent cet appât scintillant, à chaque élection provinciale et fédérale, depuis deux bonnes décennies. Des promesses, des promesses… Le caractère carcéral, conformiste et rétrograde de l’institution familiale n’est pas analysé.

INTÉGRATION CITOYENNE. Dans ce programme, l’intégration des immigrants garde une perspective insidieusement assimilatrice (la francisation abstraitement axiomatique est importante) tout en maintenant un prudent mutisme sur la fameuse question des accommodements. L’idée que les communautés culturelles doivent s’intégrer en bonne discipline au sein d’une société athée, non-sexiste, non-patriarcale, non-homophobe et rationaliste n’est pas abordée. On tient surtout ici à ce que les communautés culturelles puissent travailler, vite et bien, au sein de tous nos petits dispositifs socioprofessionnels aux postulats inchangés. Dans cette perspective, on fera notamment tout pour faciliter l’efficacité sociale, toujours solidement circonscrite, des travailleurs étrangers sous permis de travail temporaire (au Québec, ce sont principalement des travailleurs agricoles sud-américains exploités, précarisés et extorqués).

JUSTICE SOCIALE. La politique du logement promet du logement pour tous en maintenant un flou artistique sur le jeu insidieux entre le locatif et la propriété domiciliaire. La lutte aux petits propriétaires usuriers-véreux-privés de logements locatifs n’est pas mentionnée. On parle abstraitement de lutte à la grande spéculation immobilière, sans la corréler au problème crucial de l’urbanisme et de l’étalement urbain. Le revenu minimum garanti et le régime universel de retraite pour les pauvres ne se complètent pas d’une saisie unilatérale et sans compensation de l’excès de fortune des riches, tant et tant que la société civile sera appelée à financer le soutien des pauvres sans saisie des richesses des riches. Donc, aucune redistribution radicale des richesses n’est effectivement envisagée. On se contente d’accommoder et d’amplifier l’assistance. L’aide juridique sera un peu étendue, elle aussi, sans que le droit bourgeois ne soit remis en question et on promet une vague politique sur l’itinérance.

SANTÉ. Des pilules et des médecins de famille pour tout le monde, un système de santé qui roule et est efficace (des promesses, des promesses…) mais surtout une étanchéité complète entre le public et le privé en santé. L’engeance qu’ils ne voient pas dans les universités, ils la voient ici. Mais comment ils vont maintenir cette étanchéité paradoxale tout en maintenant la susdite engeance privée en place (quand on sait qu’elle colle en santé comme un vrai parasite hargneux), cela n’est pas précisé. Le rejet radical de toute radicalité finit vraiment par vous immerger dans des mixtures sociologiques fort bizarres et hautement insolubles.

SOUVERAINETÉ. L’erreur définitoire de QS est ici: c’est un parti souverainiste (comme le Parti Québécois). Son erreur définitoire serait tout aussi funeste s’il était un parti fédéraliste (comme le Parti Libéral du Québec). Au lieu de lire et de méditer ceci, QS promet la mise en place d’une assemblée constituante souveraine. La réaction politico-militaire de l’occupant anglo-canadien n’est pas prévue dans le calcul. Cette plateforme a d’ailleurs une remarquable propension à ouvertement ignorer les effets les plus sordides du poids du réel crasse. Elle a de l’idéal (cela n’est pas un tort, entendons-nous) mais à faire sciemment abstraction de toutes les luttes, on fini tout simplement défait.

TRAVAIL. Hausse du salaire minimum, égalité et équité salariale, amplification des droits syndicaux. Les travailleurs ne sont pas une classe révolutionnaire. On s’engage ici à renforcer leur position fixe au sein d’un capitalisme inchangé. La procédure réformiste par laquelle les formidables résistances du capital aux hausses de salaires et à la syndicalisation (les deux grands serpents de mer capitalistes des deux derniers siècles) seront brisées par QS en 2012 et ce, sans révolution sociale, n’est pas précisée. Les très déterminantes particularités anti-syndicales et hautement aristocratie-ouvrière-jet-set-col-blanc de l’immense corps du secteur tertiaire ne sont pas analysées.

VIE DÉMOCRATIQUE. Entendre: vie électorale et vie parlementaire des gras durs éligibles. Réforme de la carte électorale (ils le font tous), élections à date fixe (Le Parti Québécois veut faire ça aussi), plus de femmes au parlement (les partis bourgeois s’y engagent aussi). Le fait que le mode de fonctionnement électoral occidental est une arnaque généralisée de longue date, dévidée de toute dimension citoyenne ou démocratique, n’est pas pris en compte. Le mode d’intendance politicien bourgeois, parlementaire, Westminster, provincial à vote majoritaire tripotable (auquel on veut ici ajouter un zeste, une raclure de représentation proportionnelle) est quasi-intégralement postulé. Encore une fois: pas de révolution dans mon salon…

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Ma génération se souvient de ses frémissements socialistes (hautement illusoires) quand René Lévesque avait, tout pudiquement, déclaré circa 1974 que son parti politique avait un préjugé favorable envers les travailleurs. La formulation fait bien sourire aujourd’hui, avec le recul historique que l’on sait. Qu’est-ce qu’on rêvait en couleur, alors… Mollasson, gentillet, bien-pensant, moraliste, un rien baveux et historiquement myope, le parti politique QUÉBEC SOLIDAIRE nous engage, avec la lenteur usuelle, sur le même genre de petit chemin en forme d’arc-en-ciel social scintillant. On peut bien voter pour ça, une clopinette parlementaire de plus ne changera pas grand-chose. Restons simplement froidement conscient(e)s que la révolution ne se fera par comme ça et que le socialisme ne s’instaurera pas via ce genre de canal là. Il est trop lent, trop petit-bourgeois, trop abstrait, trop généraliste, trop angélique, trop moralisateur, trop démarxisé, trop déprolétarisé, trop lobotomisé, trop creux, trop mielleux, trop niaiseux, trop graduélliste, trop mou, trop restreint, trop étroit, trop nationaleux, trop pleurnicheux, trop centriste, trop réaliste et aussi, déjà, trop compromis, conciliant, coopté, récupérable, trop gauche parlementaire s’ouvrant déjà aux formes de social-populisme ayant fait la gloire «gauchiste» des Clear Grits et de la Co-operative Commonwealth Federation d’autrefois… Tu peux bien voter pour ça mais bon, ce sera encore et toujours du vote (dit) utile.

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Homosexualité masculine et capitalisme

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La Fierté Gaie est de retour sur Montréal. Une occasion nacrée de la regarder bien droit dans ce crucial angle sociohistorique qu’on esquive ou escamote trop souvent en ce qui la concerne. Suivez bien le mouvement. Par rapport à la féodalité, le capitalisme est libérateur. Il fait éclater les vieux rapports de vassalité, de métayage, de servage et leur substitue un rapport commerçant. L’esclavage disparaît avec l’ancien mode de production agricole (il laisse une trace idéologique que le capitalisme recycle: le racisme), la division sexuelle du travail s’effiloche graduellement (elle laisse une trace idéologique que le capitalisme recycle: le sexisme) et, avec elle, les vieux schémas phallocratiques et paternalistes basculent dans l’archaïsme. Les anciens esclaves, les femmes (dans certaines portions du monde même les enfants) sont désormais salariés. Tout est nivelé.

Les représentations idéologiques de nature féodale ne sont pas intégralement évacuées. De fait, comme la fumée après un grand incendie, l’idéologie traîne longtemps dans l’espace après l’extinction des conditions objectives de son engendrement. On peut même dire que la culture intime d’un groupe reste marquée par la phase historique de sa grandeur et que son idéologie en reste inévitablement teintée. La période dorée laisse de la poussière d’or qui colle à la surface des idées nouvelles. L’hétérosexualité masculine connut son âge d’or sous la féodalité. L’homme homosexuel en ce temps était marginalisé, tyrannisé, éradiqué, rejeté, nié. L’homme hétérosexuel fleurissait dans la soumission de sa femme, de ses serfs et du clocher du village à sa loi et à son ordre. Encore aujourd’hui, l’homme hétérosexuel cardinal est celui qui se comporte en gentleman, ce qui implique un gestus, un ensemble de pratiques ordinaire, un ton, un style (singé ou surfait, naturel ou exagéré) directement hérité des temps féodaux et jouant toujours un rôle non négligeable dans la dynamique de séduction hétérosexuelle. L’amour courtois et ses photocopies contemporaines sont un culminement hétéro…

Dans le torrent de tout ce qu’il libère, le capitalisme libère aussi l’homosexualité masculine. Tous les verrous de l’armure de masculinité du hobereau féodal sautent les uns après les autres et l’admiration, ouverte ou secrète, qu’il ressentait pour son propre groupe, l’intimité virile qu’il entretenait au sein de sa propre culture intime peut graduellement sortir de l’enclos circonscrit de la stricte camaraderie des cercles masculins et se débrider. Sur les quelques siècles qui nous voient passer du capitalisme industriel au capitalisme tertiarisé, commerçant, transnational, mondialiste et technologique de notre temps, l’homosexualité passe de la culture de résistance d’un Oscar Wilde et d’un John Keynes à la culture de masse des parades de la fierté gay et du mariage homosexuel.

L’hétérosexualité fut un phénomène de masse sous la féodalité. L’homosexualité devient un phénomène de masse sous le capitalisme. Cette médaille a évidemment son revers. La culture homosexuelle masculine sera donc, face à l’Histoire, une culture profondément et intrinsèquement marchande. Elle sera marquée aux coins de l’individualisme, du narcissisme, de la publicité, de la promotion de soi, de la compétition à outrance, de la mise en marché, de la surconsommation, du gaspillage, du cynisme insensible. Elle sera les USA du sexage, en quelques sortes. L’homme hétérosexuel s’engageait avec une femme et la trahissait crucialement en la trompant, car tout dans ses rapports de sexage procédait du lien voulu éternel s’établissant entre l’homme d’armes constant et la stabilité de la terre et du sain lignage du troupeau. L’homme homosexuel qui change de partenaires fait tout simplement rouler la marchandise. Il sélectionne un nouvel objet de plaisir, en évalue l’âge, le poids, l’attitude, la posture, le volume de la bite, les aptitudes de performance puis le consomme et jette après usage…

Notons, et c’est très important, que, même après la chute de la féodalité, la sexualité hétérosexuelle continue de fleurir et entre même dans une vaste dynamique de désaliénation qui la mène vers le droit au divorce, le caractère facultatif du mariage, une plus forte égalité dans le couple, un déclin de la soumission servile des enfants etc. (toutes ces caractéristiques sont des manifestations de la déféodalisation de la culture hétérosexuelle). L’hétérosexualité contemporaine vit sa phase post-impériale, post-hégémonique. Elle prend graduellement sa vraie place, plus modeste, non dominante, non exclusive, un peu comme la France après le Grand Siècle ou l’Angleterre après Victoria. C’est l’homosexualité maintenant qui vit les grandeurs et les affres de sa phase hégémonique. Aussi, il faut voir clairement ce qui se passe et le dire. Une bonne partie de la crise promiscuitaire, des jalousies haineuses et du cynisme insensible de l’homme homosexuel ne sont en rien des traits inhérents de l’homosexualité (comme cherchent à le faire croire maints réactionnaires mal avisés). Ce sont plutôt là des traits conjoncturels du capitalisme, contexte social d’émergence de l’homosexualité masculine comme culture de masse.

Que vive et fleurisse l’homosexualité (masculine et féminine). Et surtout, vivement qu’elle se libère du mode de production marchand qui la distord, restreint sa portée, rapetisse son universalité, enfreint son épanouissement légitime et l’expose aux jugements discriminatoires et aux descriptions superficielles de ses détracteurs d’arrière-garde.

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Classé dans Actualité, Paul Laurendeau

L’athéisme doit-il militer?

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Disons la chose sans mettre de gants: Dieu, être spirituel engendrant et assurant la cohésion du monde matériel, n’existe pas. C’est une catégorie philosophique erronée, une légende populaire montée en graine, une vue hyperbolique de l’esprit bonifiant et magnifiant un ensemble de caractéristiques abstraites fondamentalement incompatibles et incohérentes. La persistance faussement universelle de ce mythe vieillot s’explique assez simplement par le fait qu’il est une projection intellectuelle magnifiante de l’être humain ou du monde (et l’être humain et le monde sont partout dans le monde humain), un peu comme le serait, par exemple, un fantôme ectoplasmique ou un mirage visuel au bout d’une longue route par temps sec. Toute culture où il y a des hommes et des femmes de tailles différentes, des enfants et des adultes, des malingres et des balèzes, produira inévitablement des légendes de géants et de nains sans se consulter entre elles, de par un jeu de projections logiques constantes et similaires du plus petit et du plus grand. L’universalité de ces propensions mythifiantes ne garantit en rien l’existence objective des titans, des lutins et de leurs semblables de tous barils ethnoculturels.

Le dieu (vaguement masculin et débonnaire ou intégralement inerte, neutre et inactif) n’existe pas. Aussi, privée de cette catégorie fondamentale irrecevable, la légitimité tant descriptive que morale des religions s’effondre comme un château de carte. Ne disposant pas réellement des fondements effectifs autoproclamés qu’elles se sont attribuées au fil de l’Histoire sans débat ni critique, les religions et leur perpétuation n’en reposent pas moins sur d’autres fondements qui, eux, n’ont absolument rien de divin. J’en dénombre quatre:

Peur: la panique, l’épouvante face à la maladie, la mort, le danger de perdre un enfant, l’instabilité politique, les cataclysmes naturels, l’incertitude face à l’avenir d’une vie douloureuse sont des carburants puissants de la religiosité. Il est connu qu’une personne en situation terrorisante, dans un accident ou dans des circonstances climatiques compromettant la survie, régresse mentalement et appelle son dieu comme un enfant appellant un adulte à l’aide. Loin de garantir quelque caractère fondamental ou universel à ce dernier, ce fait démontre plutôt à quel point croyance religieuse et déséquilibre ou délabrement mental sont proches l’un de l’autre.

Ignorance: un lourd et archaïque relent de cosmologie simpliste et d’anthropologie délirante gorge les religions, tant dans leur élévation dogmatique que dans leurs recommandations pratiques. Ignorant les causes du tonnerre, des éclairs, de la guerre et de la maladie, l’enfant humain imagine des colères, des illuminations, des déterminations politiques issues d’un cosmos anthropomorphisé. Le recul de l’ignorance et une meilleure connaissance du fonctionnement effectif du monde et des sociétés éloignent la religiosité comme représentation descriptive et explicative du monde. Tout progrès social entraîne de facto une révolution des savoirs qui fait reculer l’esprit religieux

Conformisme: la résorption des peurs irrationnelles et de l’ignorance face au monde ne suffit pas pour terrasser les religions institutionnalisées. Celles-ci s’appuient sur un autre ressort particulièrement insidieux et puissant: le conformisme social et familial. Combien de gens perpétuent des croyances qu’ils n’endossent plus chez leurs enfants, simplement pour ne pas contrarier leurs parents ou leurs ancêtres? Ce genre de soumission de masse, reposant sur des critères émotionnels peut perpétuer des pratiques dévidées des ferveurs censées les fonder pendant des générations. La tradition est une forte d’inertie mécanique dont il ne faut pas négliger la pesante portée réactionnaire.

Pouvoir social d’un clergé: si, en plus de ce lot de plaies, une des castes de votre société se spécialise dans l’intendance de la choses religieuse, là vous avez un puissant facteur de perpétuation sur les bras. Les clergés oeuvrent exclusivement à leur propre perpétuation et, pour ce faire, ils se doivent de voir au maintient en circulation de la camelote qu’ils fourguent. Ils analysent donc très finement la peur, l’ignorance et le conformisme qui mettent le beurre sur leurs tartines malodorantes et déploient de formidables énergies à les perpétuer, les maintenir, les solidifier. Tous les clergés dans tous les cultes sont des agents de freinage des progrès sociaux et mentaux. Les cléricaux sont des ennemis pugnaces et acharnés de la connaissance objective et informée du monde et de la vie sociale.

La religion est une nuisance intellectuelle et morale. C’est une force sociale rétrograde misant sur des pulsions individuelles régressantes. Tout progrès social significatif se complète d’une rétraction et d’une rétractation des religions. Ce long mouvement historique ne se terminera qu’avec la décomposition définitive de toute religion institutionnalisée ou spontanée. Ce jour viendra. Voilà.

Le voilà notre bon et beau manifeste athée. Il est clair, net, balèze, béton, superbe. Je l’endosse avec la plus intense des passions et la plus sereine des certitudes. J’éduque mes enfants en m’appuyant solidement sur ses fondements. Je vis par son esprit et dans la constance de sa rationalité supérieure. Banco. Bravo. On fait quoi maintenant? On l’imprime en rouge sang sur des feuillets grisâtres et on le distribue au tout venant? On en fait un beau paquet de tracts incendiaires que l’on met en circulation dans tous nos réseaux de solidarité? On fait pression sur un parti de gauche ou un autre pour qu’il en fasse une composante intégrante de son programme politique? Mieux, on crée la Ligue Athée du [épinglez le nom de votre contrée favorite ici]. Ce ne serait pas la première formation politique à plate-forme étroite et hyper-pointue. Il y a bien des Partis Verts  et des Parti Marihuanas pourquoi pas des Partis Athées? Bon sang que c’est tentant, surtout dans la conjoncture lancinante et interminable de pollution d’intégrisme religieux actuelle. Je vois d’ici notre premier slogan:

LA RELIGION N’EST PLUS L’OPIUM DU PEUPLE,

ELLE EST LA COCAÏNE DES EXTRÉMISMES

Ce serait pétant. Sauf que… La Commune de Paris et le bolchevisme léninien n’ont pas cédé à cette tentation miroitante de l’athéisme militant. Lucides, ces projets politiques se sont contentés de fermement restreindre la pratique des religions à la sphère privée et de forclore toute propension théocratique dans l’administration publique de leur république. C’est certainement une chose à faire et bien faire. Sauf que pourquoi donc, mais pourquoi donc en rester là?

Tout simplement parce que le déclin de la religion, la déréliction, ne se décrète pas, elle émerge. On ne proclame pas plus la fin de la religion qu’on ne proclame la fin de l’enfance. Il faut éradiquer la peur, l’ignorance, le conformisme et bien circonscrire la vermine cléricale dans ses tanières (qui deviennent lentement ses musées). La religion tombera alors, inerte et inutile, comme une feuille d’automne. L’athéisme ne doit pas militer, il doit laisser l’effet des progrès sociaux échancrer la religiosité comme une vieille étoffe devenue inutile. Militons directement et sans transition pour les progrès sociaux à la ville et l’athéisme militera bien pour lui-même dans les chaumières.

Frapper la religion au tronc plutôt qu’à la racine c’est la faire bénéficier d’une intensité d’attention qu’elle ne mérite plus. Cela l’alimente en jetant de l’huile dans le feu de son bûcher. Fabriquer des combattants de dieu en creux c’est alimenter le fanatisme et l’intégrisme des martyrs en plein. Laissons aux cagoules leurs procédés de cagoules et limitons le débat théologique à la ferme intendance de la tolérance multiculturelle et à la circonscriptions de la rigueur doctrinale à la sphère privée. Les enfants des croyants se débarrasseront à leur rythme et selon leur logique et leur modus operandi des croyances éculées qui leur nuisent. Ils les convertiront en ce qu’ils voudront. Nous ne sommes pas ici pour éradiquer la religion mais pour empêcher son héritage mourant de continuer de nuire à la société civile. À chaque culte de construire le mausolée, le sarcophage ou le cénotaphe de sa doctrine à sa manière.

Souvenons-nous et méditons sereinement la profonde sagesse de L’Encyclopédiste Inconnu qui disait: la vérité n’engendre jamais le fanatisme.

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Classé dans Actualité, Paul Laurendeau

Une histoire de deux théories de l’exploitation (2e partie)

La semaine dernière, je vous ai exposé comment Marx avait à la fois raison et tort au sujet de l’exploitation. Il avait raison dans le sens qu’il existe effectivement une classe dirigeante minoritaire qui exploite une majorité des gens. Il avait également raison sur le fait que la nature de cette exploitation est économique. «il avait également raison de prétendre que les exploiteurs utilisent la force de coercition de l’État afin de perpétrer leur pillage. Là où Marx se trompait, c’est dans l’indentification des vrais coupable, ainsi que leur modus opérandi. Je propose donc d’y jeter un peu de lumière pour vous montrer les véritables parasites grâce aux écrits d’économistes comme Eugen von Böhm Bawerk, Ludwig von Mises, Murray Rothbard et Hans Hermann Hoppe.

Le point de départ est le même que celui de la théorie marxienne, c’est-à-dire l’exploitation du serf par son seigneur ou de l’esclave par son maitre. Le serf est exploité parce qu’il n’a pas le contrôle d’une terre qu’il a lui-même développé et mise en valeur. Le seigneur n’ayant obtenu le titre que par pillage et ne contribue en rien à la mise en valeur de la terre, pas même les semences. Il en va de même pour l’esclave qui n’a pas le contrôle de son propre corps. Ce genre d’exploitation n’existe cependant pas dans un capitalisme pur. Ce n’est pas de l’exploitation de développer et mettre en valeur une ressource qui n’était utilisée par personne auparavant ou d’employer ces ressources dans la production d’autres biens, ni d’épargner ces ressources et ces produits afin de produire des biens futurs. Ces actes en eux-mêmes n’enlèvent rien à personne et des biens additionnels ont été créés. En réalité, là où il y a exploitation est lorsque le principe de première mise en valeur (le «homestead») n’est pas respecté. Ainsi, c’est lorsque le contrôle partiel ou total de ressources ou de biens est obtenu par la force par des gens qui ne l’ont ni développé, ni produit, ni épargné, ni obtenu par une entente contractuelle avec le propriétaire légitime, qu’il y a vraiment de l’exploitation. L’exploitation, c’est l’expropriation d’un bien des premiers utilisateurs, producteurs et épargnants par des non premiers utilisateurs, non-producteurs et non-épargnants. C’est l’expropriation de gens dont la prétention sur leur propriété est le travail, le contrat et l’épargne par des gens dont la prétention ne vient de nulle part et que ne tiennent absolument pas compte du travail ou des contrats des autres.

L’exploitation ainsi définie a toujours fait partie de l’histoire humaine. Nous avons toujours pu nous enrichir que de deux façons. Soit en mettant en valeur des ressources inutilisées, en produisant et en épargnant, soit en expropriant ceux qui mettent en valeur, produisent et épargnent. Il y a toujours eu en parallèle avec la première mise en valeur, la production et l’épargne; l’acquisition non-productive et non-contractuelle de propriétés. À travers le temps, tout comme les producteurs se sont constitués en sociétés et en entreprises, les exploiteurs ont également formé des entreprises d’exploitation à grande échelle, les État et gouvernements. Avec une classe dirigeante, membre de ces sociétés d’exploitation, installée sur un certain territoire et exploitant les ressources économiques de producteurs exploités, le centre de l’Histoire devient bel et bien une lutte entre exploitants et exploités. Sur cette évaluation de l’histoire, les marxistes et autrichiens pourraient trouver un terrain d’entente.

Alors que les entreprises productrices apparaissent et disparaissent grâce au soutien ou l’absence de soutien des consommateurs, la classe dirigeante n’apparait pas vraiment parce qu’il existe une demande pour ses services. Il serait plutôt absurde de croire que des producteurs consentent réellement à leur expropriation. On doit les forcer à l’accepter. La classe dirigeante ne disparait pas non plus quand on le souhaite. Nous ne pourrions pas la faire partir en s’abstenant de transiger avec elle, comme on pourrait réduire une entreprise productive à la faillite. La classe dirigeant tient son revenu de transactions non-productives et non-contractuelles, de sorte qu’elle n’est affectée par aucun boycott. La seule chose qui puisse abattre une entreprise d’exploitation est, pour reprendre un terme marxiste, un certain état de « conscience de classe », c’est à dire le degré auquel la classe exploitée est consciente de son exploitation.

Un exploiteur fait des victimes et ces victimes peuvent devenir des ennemis. Il pourrait être possible pour les exploiteurs d’utiliser la simple force pour maintenir une population similaire d’exploités, mais la force seule ne saurait suffire à permettre d’exploiter une population largement supérieure en nombre. Pour y réussir, il faut que la majorité de cette population accepte comme légitime les actes d’exploitation. Il faut que la majorité ait abandonné l’idée de résister les acquisitions non-productives et non-contractuelles de propriété. Le pouvoir de la classe dirigeante ne peut être brisé que si les expropriés acquièrent une idée claire de leur état et s’unissent et s’indignent des acquisitions non-productives et non-contractuelles de propriété et refusent d’y contribuer.

L’abolition de la domination féodale et absolutisme a été le fruit d’une telle prise de conscience à travers le libéralisme des droits naturels. Cependant, suite à une dégradation de la conscience de classe, le processus de libéralisation s’est inversé et le niveau d’exploitation s’est accru de puis la fin du XIXe siècle et en particulier depuis la première guerre mondiale. Du point de vue des autrichiens, les marxistes portent une partie du blâme pour cette perte de conscience en occultant la conception correcte de l’exploitation, celle dont les développeurs initiaux, producteurs et contractants sont victimes de la part de ceux qui ne produisent rien; par la fausse opposition entre le capitaliste et le salarié.

L’institution d’une classe dirigeant exploitante sur une classe exploitée beaucoup plus nombreuse doit passer par l’imposition d’un système de droit public, superposé à un système de droit privé. La classe dirigeante protège sa situation dominante en créant une constitution pour le fonctionnement interne de son entreprise. En formalisant le fonctionnement interne de l’État, elle crée une certaine stabilité juridique qui instaure une opinion publique favorable. La constitution rationalise du même coup le « droit » des représentants de l’État de se livrer à des acquisitions de propriété de façon non-contractuelle et non-productive. Ce système de subordination du droit privé au droit public crée un dualisme dans lequel il existe un ensemble de lois pour les dirigeants et les dirigés. Contrairement à ce que croient les marxistes, ce n’est pas parce que les droits de propriétés sont reconnus par la loi qu’il existe une justice de classe, mais plutôt parce qu’il existe une distinction légale entre une classe agissant selon le droit public, et une autre agissant selon un droit privé subordonné. L’État n’est pas exploiteur parce qu’il protège les droits de propriété capitalistes, mais parce qu’il est exempt d’avoir à acquérir sa propriété par la production et le contrat.

En tant qu’entreprise exploitante, l’État a avantage à ce qu’un bas niveau de conscience de lasse règne à tout moment. La redistribution de la propriété et du revenu est un moyen efficace de « diviser pour régner ». C’est le moyen que l’État utilise pour semer la zizanie au sein de la société. La redistribution du pouvoir d’état par la démocratisation, en ouvrant à tout le monde les positions de pouvoir permet également de réduire la résistance à l’exploitation en tant que telle.

L’État est également le grand centre de la propagande. Donc, l’exploitation c’est la liberté; les impôts sont des « contributions volontaires »; les relations non-contractuelles deviennent conceptuellement contractuelles; un gouvernement pour et par le peuple; sans l’État, il n’y aurait ni droit, ni sécurité et les pauvres mourraient de faim, etc. Tout ça fait partie d’une superstructure idéologique visant à légitimer l’exploitation économique.

Les marxistes ont également raison d’identifier une collaboration entre les capitalistes et l’État, même si leur explication est fausse. Ce n’est pas parce que les bourgeois considèrent que l’État garantit les droits de propriété, il viole ces droits plutôt allègrement, mais parce que plus une entreprise est grande, plus elle est passible d’être exploitée par l’État, mais plus grands aussi sont les gains si elle se voit accorder par l’État une protection particulière des contraintes de la concurrence capitaliste. C’est pourquoi « l’establishment » bourgeois est intéressé par l’État et veut l’infiltrer.

En retour, l’État s’intéresse à la collaboration avec les capitalistes à cause de son pouvoir financier. Plus précisément, il s’intéresse à la haute finance afin mettre en œuvre en coopération avec l’élite bancaire et son système de réserves fractionnaires pour créer de la fausse monnaie dans un cartel dirigé par une banque centrale. Cette symbiose permet entre autre à la classe dirigeante de s’infiltrer à même le système nerveux de la société civile.

Dans la réalité, la théorie marxiste sert bien les véritables exploiteurs en détournant l’attention vers des boucs-émissaires de convenance. Le grossissement constant des État et la concurrence entre ceux-ci, mènera inévitablement à la concentration du pouvoir et la stagnation économique. Lorsque ça se produira, les pressions anti-étatiques viendront un jour mettre ce système à bas. Mais contrairement à ce que prétendent les marxistes, la solution ne sera certainement pas la socialisation des moyens de production. La propriété sociale est non-seulement inefficace et impraticable, comme l’expose von Mises dans son livre « Socialisme », mais il est incompatible avec l’idée que l’état puisse un jour dépérir. Si les moyens de production sont possédés collectivement et si on suppose que les idées de tout le monde concernant l’utilisation des ces moyens de production ne coïncideront pas toujours, ces moyens de production nécessiteront une intervention perpétuelle de l’État, c’est à dire d’une institution ayant la force d’imposer la volonté des uns contre la volonté des autres. Au contraire, le dépérissement de l’État et avec lui, la fin de l’exploitation et une prospérité sans précédent ne peut que passer par l’avènement d’une société de propriété privée pure sans autre régulation que le droit privé.

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Une histoire de deux théories de l’exploitation (1ere partie)

 

Dans un article précédent, j’ai déjà effleuré la théorie marxiste de l’exploitation. Aujourd’hui j’aimerais l’opposer à une théorie alternative, celle de l’école autrichienne d’économie. Comme vous verrez, et vous en serez peut-être étonnés, les deux théories ont un tronc commun. Là où elles divergent est sur la nature des exploitants et des exploités. J’entends vous exposer la théorie marxiste et ses failles dans la première partie et la théorie autrichienne dans la seconde.

Commençons donc par le noyau de la croyance marxiste:

  • « L’histoire de l’humanité est l’histoire de la lutte des classes ». Selon Marx, C’est l’histoire de la lutte entre une classe dirigeante relativement restreinte et une classe d’exploités plus large. L’exploitation est économique. La classe dirigeante exproprie une partie de la production des exploités, une « plus-value ».
  • La classe dirigeant est unie par son intérêt commun de poursuivre sa domination. Elle n’abandonne jamais délibérément son pouvoir et ne peut être délogée que par la lutte qui dépend de la conscience de classe des exploités. C’est-à-dire à quel point les exploités son conscient de leur sort et sont unis avec les autres membres de leur classe en opposition à leur exploitation
  • La domination de classe se manifeste, dans les termes marxistes par des « relations de productions » particulières. Pour protéger ces relations, la classe dirigeante forme et dirige l’État comme appareil de coercition. L’État impose une structure de classe et favorise la création et l’entretien d’une superstructure idéologique destinée à fournir une légitimité à cette structure de domination de classe.
  • A l’intérieur, le processus de concurrence au sein de la classe dirigeante engendre la tendance à une concentration et à une centralisation croissantes. Un système polycentrique d’exploitation est progressivement remplacé par un système oligarchique ou monopolistique. De moins en moins de centres d’exploitation demeurent en fonction, et ceux qui restent sont de plus en plus intégrés dans un ordre hiérarchique. A l’extérieur, c’est-à-dire vis-à-vis du système international, ce processus interne de centralisation conduira (avec d’autant plus d’intensité qu’il sera plus avancé) à desguerres impérialistes entre États et à l’expansion territoriale de la domination exploiteuse.
  • Finalement, la centralisation et l’expansion de la domination exploiteuse se rapprochant progressivement de sa limite ultime de domination mondiale, la domination de classe sera de moins en moins compatible avec le développement et l’amélioration ultérieures des « forces productives ». La stagnation économique et les crises deviennent de plus en plus caractéristiques et créent les « conditions objectives » pour l’émergence d’une conscience de classe révolutionnaire chez les exploités. La situation devient mûre pour l’établissement d’une société sans classes, le « dépérissement de l’Etat », le remplacement du « gouvernement des hommes par l’administration des choses », et ilen résulte une incroyable prospérité.

Ces thèses sont parfaitement justifiables, mais malheureusement, elles sont déduite d’une théorie de l’exploitation qui est absurde. Pour Marx, des systèmes pré-capitalistes tels que l’esclavagisme et la féodalité sont caractérisés par l’exploitation. Ça va de soit. Évidemment, l’esclave n’est pas le propriétaire de son propre corps es se voit exproprié de tous les fruits de son labeur au profit de son maitre qui le lui fournit que sa subsistance et le seigneur féodal, en s’appropriant de terres qui ont été défrichées par les serfs par simple attribution royale, profite sur le dos des paysans. Il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’exploitation et que l’esclavage et la féodalité entravent le développement des forces productives. Ni l’esclave, ni le serf ne produiraient autant qu’ils ne le feraient en l’absence d’esclavage ou de servage.

Par ailleurs, Marx maintient que rien n’est changé dans un système capitaliste. C’est à dire, si l’esclave devient un travailleur libre ou que le paysan décide de cultiver une terre qu’un autre a été le premier à développer et paie un loyer en échange du droit de le faire. C’est vrai que dans le chapitre 24 de Das Kapital, Marx démontre que la plus grande part de la propriété capitaliste initiale provient du pillage, de l’accaparement des terres et de la conquête; et dans le chapitre 25 il décrit le rôle de la force et de la violence dans l’exportation du capitalisme au Tiers-monde. C’est essentiellement correct, et dans la mesure où ça l’est, je ne nierai pas le caractère exploiteur de ce capitalisme là.

Ce que Marx omet de mentionner, à travers son récit propre à inciter l’indignation du lecteur, est que même un capitalisme où l’appropriation originelle du capital serait la résultante de la première mise en valeur (ou homesteading, en anglais), du travail et de l’épargne; serait tout autant exploiteur. Comment est-ce exploiteur? Selon Marx, le capitaliste paie un certain montant d’argent en matières premières et en salaires pour produire un bien qu’il revend pour un montant supérieur, dégageant un profit, ou une « plus-value » qui est prélevée des salaires des prolétaires. En d’autre termes, le capitaliste paie l’équivalent de trois jours de travail au salarié alors qu’il en a travaillé cinq et s’approprie le reste. Donc, selon Marx, il y a exploitation.

Où est la faille dans cette analyse? Elle réside dans la raison pourquoi une travailleur libre accepterait ce genre d’arrangement. C’est parce que le salaire qui lui est payé représente une valeur actuelle, alors que les biens produits représentent une valeur future et que le salarié considère qu’un montant d’argent maintenant a plus de valeur que le même montant plus tard. Après tout, un salarié pourrait décider d’être travailleur autonome et ainsi récupérer la valeur totale de son produit, mais ça impliquerait bien entendu qu’il devra attendre que ce produit soit fabriqué et vendu avant de le récolter. Ça implique également qu’il devra aussi, avant de récolter les fruits de son labeur, payer pour les différents outils et matériaux nécessaires à la production. Accepter un salaire lui permet de vendre son travail, sans avoir à investir dans les autres facteurs de productions et sans avoir à attendre que le produit soit fini et vendu. Il préfère donc recevoir ce montant plus petit, en échange de ces avantages.

À l’opposé, pourquoi un capitaliste investirait-il dans une ligne de production, s’il ne retirait pas une valeur supérieure au montant investit? Pourquoi se priverait-il de ce montant pendant toute la période de production, alors qu’il pourrait tout aussi bien l’utiliser pour sa propre consommation? S’il doit payer les salaires des travailleurs maintenant, il faut que ça lui rapporte quelque part dans le futur, sinon pourquoi le ferait-il? Ceci fait aussi abstraction du fait que le capitaliste doit aussi fournir les autres facteurs nécessaires à la production, et que par conséquent, le travail du salarié ne pourrait compter que pour une fraction du produit final, puisque s’il travaillait à son propre compte, il devrait également assumer ces coûts.

Ce qui ne fonctionne pas dans la théorie marxiste de l’exploitation est qu’elle ne reconnait pas le phénomène de la préférence temporelle dans l’action humaine. Le fait que le travailleur ne reçoive pas la « pleine valeur » de son travaille n’a rien à voir avec l’exploitation, mais découle du fait qu’on ne peut pas échanger des biens futurs contre des biens présents sans payer une escompte. La relation entre le salarié et le capitaliste, contrairement à celle de l’esclave et de son maitre, n’est pas antagoniste, elle est plutôt symbiotique dans la mesure où chacun y tire un avantage. Le travailleur préférant recevoir un certain montant maintenant, alors que le capitaliste préfère la promesse d’un plus gros montant dans le futur.

Il va sans dire que si la théorie de l’exploitation marxiste est fausse dans son identification des exploiteurs et de la nature même de la méthode d’exploitation, toute les idées qui en découlent pour mettre fin à cette exploitation sont essentiellement incorrectes également. La semaine prochaine, je vous présenterai ce que les économistes autrichiens considèrent comme l’interprétation correcte de l’exploitation qui prévaut dans la société.

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Classé dans Actualité, économie, Philippe David

Pour en finir avec la théorie de l’exploitation du labeur d’autrui de Marx

Lorsqu’on se retrouve face à des illettrés économiques qui ne jurent que par les écrits de Karl Marx, ça paie d’avoir les bons arguments. La théorie de l’exploitation du labeur d’autrui de Marx repose sur la théorie de la valeur du travail de Ricardo. Cette théorie est périmée et à maintes fois été réfutée.

Sa théorie se résumait à ceci:

«Si de la valeur d’une marchandise nous retranchons la valeur qui restitue celle des matières premières et des autres moyens de production consommés, c’est-à-dire si nous retranchons la valeur qui représente le travail passé qu’elle contient, la valeur restante sera réduite à la quantité de travail qu’y a ajoutée l’ouvrier occupé en dernier lieu. Si cet ouvrier travaille 12 heures. par jour et si 12 heures de travail moyen se cristallisent en une somme d’argent de 6 shillings, cette valeur additionnelle de 6 shillings est la seule valeur que son travail aura créée. Cette valeur donnée, déterminée par le temps de son travail, est le seul fonds d’où l’ouvrier ainsi que le capitaliste puiseront respectivement leurs parts ou dividendes, la seule valeur qui soit répartie en salaire et en profit. Il est clair que cette valeur elle-même n’est pas modifiée par le rapport variable suivant lequel elle peut être partagée entre les deux parties. Il n’y aura rien de changé non plus si au lieu d’un ouvrier nous mettons toute la population travailleuse et si au lieu d’une journée de travail nous en mettons 12 millions, par exemple.
Le capitaliste et l’ouvrier n’ayant à partager que cette valeur limitée, c’est-à-dire la valeur mesurée d’après le travail total de l’ouvrier, plus l’un recevra, moins recevra l’autre, et inversement. Pour une quantité donnée, la part de l’un augmentera dans la proportion où celle de l’autre diminuera. Si les salaires changent, les profits changeront en sens contraire. Si les salaires baissent, les profits monteront, et si les salaires montent, les profits baisseront. Si l’ouvrier, comme nous l’avons supposé précédemment, reçoit 3 shillings, c’est-à-dire la moitié de la valeur qu’il crée, ou si sa journée entière de travail se compose pour moitié de travail payé et pour moitié de travail non payé, le taux du profit s’élèvera à 100 pour cent, car le capitaliste recevra également 3 shillings. Si l’ouvrier ne reçoit que 2 shillings, c’est-à-dire s’il ne travaille que le tiers de la journée pour lui-même, le capitaliste recevra 4 shillings, et le taux du profit sera donc de 200 pour cent. Si l’ouvrier reçoit 4 shillings, le capitaliste n’en recevra que 2, et le taux du profit tombera alors à 50 pour cent. Mais toutes ces variations sont sans influence sur la valeur de la marchandise. Une hausse générale des salaires entraînerait par conséquent une baisse du taux général du profit, mais resterait sans effet sur la valeur.
Mais bien que les valeurs des marchandises doivent en définitive régler leur prix sur le marché, et cela exclusivement d’après la quantité totale du travail fixée en elle et non d’après le partage de cette quantité en travail payé et en travail impayé, il ne s’ensuit nullement que les valeurs de telle ou telle marchandise ou d’un certain nombre de marchandises produites, par exemple, en 12 heures, restent toujours constantes. Le nombre ou la masse des marchandises fabriquées en un temps de travail déterminé ou au moyen d’une quantité de travail déterminée dépend de la force productive du travail employé à sa production et non de son étendue ou de sa durée. Avec un degré déterminé de la force productive du travail de filage, par exemple, on produit, dans une journée de travail de 12 heures, 12 livres de filé, avec un degré inférieur, 2 livres seulement. Si donc dans un cas 12 heures de travail moyen étaient incorporées dans une valeur de 6 shillings, les 12 livres de filé coûteraient 6 shillings, dans l’autre cas les 2 livres de filé coûteraient également 6 shillings. Une livre de filé coûterait par conséquent 6 pence dans un cas et 3 shillings dans l’autre. Cette différence de prix serait une conséquence de la diversité des forces productives du travail employé. Avec une force productive supérieure, une heure de travail serait incorporée dans une livre de filé, alors qu’avec une force productive inférieure, 6 heures de travail seraient incorporées dans une livre de filé. Le prix d’une livre de filé ne s’élèverait, dans un cas, qu’à 6 pence, bien que les salaires fussent relativement élevés et le taux du profit bas. Dans l’autre cas, il serait de 3 shillings, quoique les salaires fussent bas et le taux du profit élevé. Il en serait ainsi parce que le prix de la livre de filé est déterminé par la quantité totale de travail qu’elle renferme et non par le rapport suivant lequel cette quantité totale est partagée en travail payé et travail impayé. Le fait mentionné plus haut, que du travail bien payé peut produire de la marchandise bon marché, et du travail mal payé de la marchandise chère, perd donc son apparence paradoxale. Il n’est que l’expression de la loi générale: la valeur d’une marchandise est déterminée par la quantité de travail qui y est incorporée, et cette quantité de travail dépend exclusivement de la force productive du travail employé et variera par conséquent à chaque modification de la productivité du travail.»


Parce que Marx croyait que le travail était ce qui générait la valeur économique, il conclue que les capitalistes, qui fournissent leur capital dans le processus de production, puisqu’ils ne travaillaient pas, ne méritaient pas la rente qu’il recevaient sur leur capital et qu’en la recevant, ils parasitaient le labeur des prolétaires. C’est un sophisme qui perdure depuis trop longtemps. Tout d’abord, démontrons comment le travail et la valeur économique n’ont aucune corrélation. Voici huit exemples qui démontrent les failles de la théorie de la valeur du travail.


Les failles de la Théorie de la Valeur du Travail

Faille #1: Argument de la valeur de produits obtenus de la nature: Certains produits peuvent être obtenus de la nature à un coût minime en labeur et avoir une valeur beaucoup plus grande. Supposons que je promène dans une forêt et que je ramasse une pomme tombée d’un pommier. Ramasser cette pomme n’a demandé qu’un effort minime de ma part, et pourtant en continuant mon chemin un peu plus loin et en croisant une autre personne, je peux revendre cette pomme pour un montant excédant le labeur que j’ai dépensé.

Faille #2: Le travail inutile. Certains travaux peuvent coûter de grands efforts en labeur et ne valoir strictement rien. Pendant la grande dépression, pour réduire le chômage, le gouvernement engageait des hommes pour creuser des trous et les remplir plus tard. Ces travaux stupides ne produisaient strictement rien, mais étaient très intensifs au niveau du labeur.

Faille #3: L’argument de l’effort excessif. Certains travailleurs peuvent parfois dépenser des efforts démesurés par rapport à la valeur du produit qu’ils produisent. Ainsi, un écrivain qui passerait la moitié de sa vie à écrire un livre à la main risque de ne pas retirer des ventes de son livre une valeur équivalente à de nombreuses années de travail. La valeur de son produit peut donc être moindre que le travail mis dans la production.

Faille #4: Argument de l’effort inexistant. Quelqu’un peut générer une valeur virtuellement sans faire d’effort physique. Un entrepreneur qui, par exemple, remarque que le prix d’un produit est plus élevé dans une région que dans une autre, peut mettre à profit cette information avec peu d’effort en achetant le produit où le prix est bas et en le revendant là où le prix est haut. Ou vendre cette information à un collègue en échange d’une part des profits. Encore une fois, une plus-value est générée sans travail excessif. Parce que la matière grise, ça vaut quelque chose quand on en a.

Faille #5: L’inégalité d’habileté. Certains travailleurs sont plus habiles et plus productifs que d’autres. Ainsi, le temps que le travailleur A construit une table, le travailleur B en construit deux. Les deux ont travaillé le même nombre d’heures, mais le travailleur B obtiendra deux fois plus que le travailleur A. Marx a toujours considéré le travail comme étant homogène, ce qui est complètement déconnecté de la réalité. Dans un système capitaliste, ceux qui sont plus productifs gagnent plus tout simplement parce qu’ils produisent plus.

Faille #6: L’argument de l’incitatif. Si un travailleur obtient de son travail exactement ce qu’il dépense en effort, il n’a aucun incitatif à faire cet effort, puisqu’il peut obtenir exactement le même résultat en ne travaillant pas du tout. Pour vaincre la disutilité du travail, il faut que la valeur reçue pour son labeur excède l’effort.

Faille #7: L’usage inégal du même produit. Le même objet acheté par deux personnes différentes, peut avoir une valeur différente. Une guitare achetée par un virtuose pourrait générer une grande valeur par son utilisation lorsqu’il en joue en public ou s’enregistre et vend les enregistrements. Par contre, dans les mais d’un néophyte, cette même guitare aura très peu de valeur.

Faille #8: l’utilité marginale décroissante. Deux unités d’un même produit dans les mains du même homme peuvent avoir une valeur différente. Un homme qui meurt de soif qui obtient deux bouteilles d’eau utilisera certainement la première bouteille pour épancher sa soif et sauver sa vie, mais il pourra peut-être utiliser la deuxième pour se laver, s’il n’a plus soif. Alors qu’il voudra peut-être vendre la deuxième bouteille, il refusera certainement de vendre la première à n’importe quel prix. Cette bouteille aura donc plus de valeur que la deuxième alors que les deux requièrent la même quantité de travail à remplir.

Ces huit failles démontrent sans contredit qu’il n’y a aucune corrélation entre la valeur économique d’un produit et la quantité de travail nécessaire pour le produire.

L’explication alternative: La Théorie de la Valeur de l’Utilité.

La théorie alternative qui a été mise de l’avant par des économistes qui ont suivi Marx s’appelle la théorie de la valeur de l’utilité qui dit que la valeur d’un produit ou un service est égale à l’utilité que ce produit ou service confère à son utilisateur. Plutôt que de faire une équivalence entre la valeur d’un produit et ce qu’un individu perd en le produisant, on fait une équivalence entre la valeur du produit et ce qu’un individu gagne en l’utilisant. Cette théorie explique tous les arguments contre la théorie de la valeur du travail (TVT).

Faille #1 de la TVT: Un produit obtenu naturellement avec peu ou pas de travail peut effectivement être d’une utilité à celui qui l’acquiert et ainsi produire une valeur, peu importe qu’il n’ait pas eu a travailler pour l’obtenir.

Faille #2 de la TVT: Le travail inutile n’est d’aucun bénéfice à personne et donc ne produit aucune valeur selon la théorie de l’utilité.

Faille #3 de la TVT: Selon la théorie de l’utilité, la valeur d’un produit est proportionnelle à l’utilité qu’en retire l’utilisateur, peu importe la quantité de travail nécessaire à la produire. Si la l’utilité d’un produit est inférieure à sont coût, on subira tout simplement une perte, ce qui est monnaie courante dans l’entreprise privée.

Faille #4 de la TVT: L’acquisition de certaines informations peut effectivement se monnayer et ainsi créer une valeur à celui qui utilise cette information sans nécessiter d’effort ou de travail. Parce que les idées ont une valeur aussi.

Faille #5 de la TVT: La théorie de l’utilité explique également les différences de valeurs engendrées par des différences d’habileté ou de productivité. Seul un communiste peut croire qu’un travailleur qui produit deux fois moins qu’un autre, mérite le même revenu que celui qui produit deux fois plus.

Faille #6 de la TVT: La théorie de l’utilité requiert qu’un travail productif doit générer plus de valeur que ce qu’il coûte. Il y a donc un incitatif au travail productif car le travailleur reçoit une plus grande valeur pour son travail.

Faille #7 de la TVT: La théorie de l’utilité explique également comment le même produit dans les mains de différentes personne peut valoir plus que dans les mains d’un autre.

Faille #8 de la TVT: La théorie de l’utilité explique également comment des bouteilles d’eau peuvent avoir une différente valeur pour le même utilisateur, dépendant de la quantité qu’il en a. Plus il possèdera un bien en grande quantité et moins une unité particulière de ce bien aura de valeur pour lui. Demandez à un fumeur de vous donner la dernière cigarette de son paquet, comparativement à quand son paquet est plein juste pour voir. Pourtant chaque cigarette nécessite la même quantité de travail. Mais une seule cigarette aura beaucoup moins de valeur à nos yeux si on en a 24 autres dans son paquet que s’il ne nous en reste qu’une.


Conclusion

L’assertion de Marx que les capitalistes volent aux travailleurs prolétaires la plus-value qu’ils génèrent par leur travail ne tient pas la route. Parce qu’il n’y a aucune corrélation entre la valeur économique d’un produit ou service et la quantité de travail pour le produire, l’assertion que ce travail génère une plus-value qui appartient à l’ouvrier plutôt qu’aux autres facteurs de production est tout simplement fausse. Dans la réalité, le processus de production comporte plusieurs facteurs qui ont tous droit à une redevance, le loyer pour le terrain, l’intérêt pour le capital et le salaire pour la main d’œuvre. Chacune de ces redevances doit être négociée séparément et doivent nécessairement déboucher à un accord mutuellement consenti où les deux parties profitent, sinon il ne pourrait y avoir aucun accord. Ainsi, le travail des prolétaires est « acheté » par un entrepreneur à travers un contrat de travail librement accepté par le travailleur et par l’employeur. L’employeur ne dispose d’aucun moyen de forcer qui que ce soit à signer ce contrat. Le salaire offert est généralement déterminé selon la valeur du marché pour des postes similaires parce que l’employeur doit offrir des salaires compétitifs pour attirer les meilleurs travailleurs. Ce n’est donc pas de l’exploitation, mais un accord donnant-donnant entre l’employé et l’employeur.

Si vous vous croyez exploité par votre employeur, dites-vous bien que personne ne vous a mis un révolver sur la tempe pour signer votre contrat de travail et rien ne vous empêche d’envoyer des CV à d’autres employeurs pour trouver un emploi qui paye plus. Si vous étiez vraiment exploités, vous n’auriez aucune porte de sortie. Or vous pouvez toujours prendre des cours du soir pour parfaire vos qualifications ou carrément changer de métier pour vous diriger vers une carrière plus profitable. Si vous décidez volontairement de ne pas faire d’effort pour augmenter la valeur de votre travail, c’est la faute à qui? La société? Votre patron? Foutaise!

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Classé dans Actualité, économie, Philippe David