
La similitude entre notre époque et la décennie qui précède la grande dépression des années trente est fascinante. Dans les années 20, l’État qui ne jouait pas un rôle important dans la société se voit encore relégué de nos jours à un rang inférieur, surtout en matière d’intervention sociale et économique. En fait, l’Histoire nous démontre clairement les parallèles entre les deux époques. Rappelons les traits communs : écart dans la répartition des richesses, innovations techniques, frénésie boursière et crédits élevés.
Citons quelques statistiques révélatrices :
L’écart dans la répartition des richesses
Aux États-Unis, entre 1922 et 1929, les salaires des ouvriers progressèrent de 33%, ceux des cadres de 42%, tandis que les profits nets des entreprises bondirent de 76% et les dividendes des actionnaires de 108%! Il faut rappeler qu’à cette époque, le rôle de l’État ne couvrait pas les domaines économique et social, et donc les gouvernements ne pratiquaient pas la redistribution de la richesse dans la société. L’État était confiné à la définition libérale de l’économie, établit par Adam Smith.
De nos jours, aux États-Unis, de 1979 à 2001, les revenus des 20% les plus pauvres ont augmenté de seulement 8%, ceux de la classe moyenne de 17% tandis que ceux des 10% les plus riches de 69% et le premier 1% de 139%!!
On peut remarquer que les années 70 sont une période de répartition équilibrée de la richesse dans la société américaine, tandis que les années 80, 90 et 2000 favorisent nettement les classes plus aisées de la société. Cette ère d’inégalité débute avec l’élection du républicain Ronald Reagan en 1980, farouche partisan des thèses néo-libérales, de la déréglementation de l’économie et du désengagement de l’État. Malgré l’élection du Bill Clinton en 1992, un démocrate, la même politique économique de droite est maintenue durant son mandant afin de respecter les règles du nouvel ordre économique mondial dont l’Amérique bénéficie grandement. Avec l’élection de GW Bush en 2001, l’écart ne cesse de se creuser entre les classes sociales.
La mécanisation de la production
L’influence des nouvelles technologies sur l’emploi est bien connue de nos jours. Par exemple, les institutions bancaires ont déjà annulé plusieurs postes de préposés à la clientèle dans leurs succursales afin de les remplacer par des services informatisés. En fait, l’ordinateur et la robotisation remplissent à eux seuls les tâches d’un nombre important de travailleurs qui n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour occuper de nouveaux postes techniques.
De même, dans les années 20, la mécanisation était tellement avancée, selon les historiens D. Artaud et A. Kaspi, qu’il existait une surproduction chronique de biens de consommation que la demande ne pouvait plus combler .
La frénésie boursière
La forte spéculation boursière fut l’un des traits marquants des années 20. En 1929 seulement, 1,124,800,410 actions ont été échangées. Du début de 1928 à septembre 1929, l’indice industriel Dow Jones augmenta de 191 à 381 points. Mais le 28 octobre 1929, celui-ci chuta de 38.33 points, s’effondrant jusqu’à 260.64, en conséquence d’une économie financière ne représentant pas l’économie réelle des États-Unis et du monde.
Le 17 août 1982, l’indice Dow Jones connut sa plus grande hausse en une journée (38.81), grimpant jusqu’à 831.24. La hausse se poursuivit toute la décennie, atteignant même, le 17 juillet 1987, le niveau de 2510 points. Mais le 16 octobre et le 19 octobre 1987(le jeudi noir), deux krachs successifs frappèrent le marché boursier de New York (chute de 108 points et de 508 points). Le 29 mars 1999, après plusieurs années de hausse, l’indice atteint le chiffre record de 10 000 points. Enfin, en 2007, la tendance à la hausse perdure. Le Dow Jones a atteint 14 000 points! Plusieurs analystes sont inquiets face à cette hausse vertigineuse du Dow Jones.
Les crédits élevés
À la fin des années 1920, 60 % des voitures et 80 % des appareils radio furent achetés à crédit. Entre 1925 et 1929, la somme totale des crédits avait plus que doublée (de $1.38 milliard à $3 milliards environ).
Le 5 juillet 2000, le Wall Street Journal publiait les données suivantes sur l’endettement des Américains : » le niveau d’endettement des ménages a augmenté de 60 % pour se situer à 6500 milliards. Plus de 160 milliards de dollars de prêts hypothécaires (soit 11 % du total) ont été accordés à des emprunteurs à risque, contre 40 milliards en 1993. Selon les analystes du marché hypothécaire, près d’un quart des nouvelles hypothèques sont contractées par des gens qui sont » fauchés « . La quantité d’obligations pourries impayées s’élève à 529 milliards de dollars contre 173 milliards il y a dix ans. 5,4 % des entreprises américaines ayant contracté ce type de dettes ont été dans l’impossibilité de verser les intérêts au cours des douze derniers mois, le plus haut taux de défaut de paiements depuis 1992. En outre, environ 320 milliards de prêts de consortium ont été accordés à des sociétés ayant une faible notation de crédit contre 58 milliards en 1990. Le ménage américain moyen dispose de treize cartes de crédit, bancaires et non bancaires confondues. La dette des ménages atteint le record de 101 % par rapport au revenu, alors qu’elle était de 84 % en 1990. Elle est passée de 4100 milliards en 1993 à 6500 milliards au premier trimestre 2000, soit une augmentation de 59 %. La dette des entreprises représente aujourd’hui 46 % du PIB, le plus haut pourcentage jamais atteint. Quant aux entreprises financières, on sait que c’est cette catégorie de dette qui croît le plus rapidement : depuis 1993, elle a ainsi augmenté de 132 % « .
Le mot de la fin
Doit-on s’inquiéter de ces ressemblances ? Une nouvelle grande dépression est-elle à craindre ?
La genèse des cycles économiques est peut être ainsi démystifiée : par le jeu du capitalisme, les richesses se concentrent dans la partie supérieure de la pyramide sociale tandis qu’une partie de la population s’appauvrit sans l’apport d’un État fort pratiquant une redistribution des richesses ; ensuite, les entreprises coupent dans la masse salariale par des innovations techniques afin de hausser leurs bénéfices et se dirigent alors vers les jeux boursiers, qui constituent un moyen rapide de maximiser leurs profits (ainsi la concentration des richesses s’accentue encore plus) ; enfin, les familles de classe moyenne, devant l’érosion de leurs revenus, contractent plus d’emprunts afin de préserver leur niveau de vie ; c’est alors que la consommation décroît et que les risques d’une dépression s’accroissent.
À notre époque dite « du savoir », je m’étonne qu’aucun dirigeant n’avoue publiquement la possibilité d’une crise économique importante dans un proche avenir. On aime mieux se cacher la tête sous le sable plutôt que de prévoir des alternatives à une possible dépression. Nos politiciens devraient considérer sérieusement cette éventualité pour le bien-être de leurs électeurs au lieu de chercher à protéger les intérêts des groupes de pression qui financent leurs campagnes électorales.
Jimmy St-Gelais
http://pourquedemainsoit.wordpress.com/