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Journal de Montréal : l’équilibre des forces

Le conflit qui se passe au Journal de Montréal n’a pas fini de susciter des débats, c’est bien certain. Alors, concernant le débat en lien avec le code du travail qui interdit « le recours aux travailleurs de remplacement par un employeur lors d’un conflit de travail », le blogueur Vincent Geloso soulève un point qui mérite réflexion. C’est la question de l’équilibre entre les forces syndicales et patronales dans un conflit.

Selon lui, « la question de l’équilibre est mal posée » :

Premièrement, il ne faut pas oublier que le code du travail contient des dispositions qui permettent à des travailleurs en conflit de travailler ailleurs (ce qui se passe avec Rue Frontenac). Uniquement sur ce point, on peut constater que la partie patronale entame la négociation avec un désavantage important. Ce désavantage est encore plus important si on considère que les « salaires » versés à même les fonds de grève sont déductibles d’impôts (ce qui peut leur assurer un revenu assez stable advenant un conflit).

Donc, selon cette logique, il faudrait que la peur du travailleur de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins primaires, de perdre sa maison, etc. soit égale à la peur du patron de voir fermer son entreprise, dans le pire des cas. On compare carrément une personne morale à une personne vivante sans faire de distinction éthique quant à la gravité des conséquences d’un conflit pour l’un et pour l’autre.

À mon sens, il se trouve que le risque d’un conflit de travail pour le travailleur est double. Si la compagnie ferme, il n’y a qu’une conséquence pour elle alors que pour le travailleur c’est une perte de revenu pendant le conflit (avec tout ce qui peut venir avec) et une perte d’emploi au final. Et puis, à la base, une personne morale a les reins plus solides qu’une personne vivante (entre autres parce qu’elle n’en a pas réellement, contrairement à un être vivant…). Alors, dans ce sens, qu’un travailleur puisse subvenir à ses besoins pendant un conflit ne me semble pas un avantage, mais bien ce qui participe de l’équilibre, justement.

Certains pourraient rétorquer qu’un conflit de travail cause aussi des dommages à une entreprise pendant que ça se passe et non seulement à la fin, dans le cas d’une hypothétique fermeture, mais je le répète, une personne morale n’est pas un être vivant. On ne peut pas se soucier éthiquement d’autre chose que des répercussions qu’aurait sa « mort » sur ses employés et ses dirigeants. Alors, s’il est clair que les pires répercussions se trouvent du côté des employés (en ajoutant à cela leur nombre) et non des dirigeants, quantitativement, je ne vois pas comment on peut prendre tant la défense des personnes morales, qui ne sont finalement que des bouts de papier en regard de la vie humaine.

Vous comprendrez que j’ai un regard humaniste sur cette question. Oui je crois les entreprises importantes pour l’humanité, mais pas au prix de laisser taire a priori les revendications des travailleurs ou de les placer dans une position d’infériorité.

Mais pour revenir au Journal de Montréal, où est la peur de voir fermer l’entreprise si le produit se fait et qu’il y a des profits à la clé? Quel que soit le fin fond des revendications des deux côtés (là n’est pas la question), Pierre-Karl Péladeau n’a qu’à être patient dans ces conditions pour arriver à ses fins. Ce qui n’est vraiment pas le cas des syndiqués : le temps et l’argent jouent contre eux.

Équilibre, vraiment?

(Image : modification d’une photo de foobear)

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Des tests d’urine pour recevoir son chèque de B.S.?

 

NDLR: ARTICLE PUBLIÉ LE 22 JUILLET 2010.

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J’ai reçu ce « témoignage » par courriel la semaine dernière :

LETTRE D’UN TRAVAILLEUR

Cette lettre a été écrite par un travailleur de la construction à Fort MacMurray.

Très bon sujet.

Je travaille, je suis payé.

Je paie mes impôts et le gouvernement distribue mes impôts comme il se doit.

Afin de gagner mon chèque de paie, je travaille sur une plateforme flottante pour le projet de Fort MacMurray Construction.

Je suis tenu de passer un test d’urine, sans avertissement soit au hasard, avec lequel je n’ai aucun problème.

La chose avec laquelle j’ai un problème est la distribution de mes impôts aux gens qui n’ont pas à passer de test d’urine.

Ces gens ne devraient-ils pas avoir à passer un test d’urine pour avoir leur chèque de bien-être parce que moi je dois en passer un pour le gagner pour eux.

Veuillez comprendre que je n’ai aucun problème à aider les gens qui sont dans le besoin à se prendre en main.

Par contre, j’ai un problème à aider quelqu’un assis sur son cul – buvant de la bière et fumant de la dope.

Pouvez-vous imaginer combien d’argent les Provinces sauveraient si les personnes qui reçoivent de l’aide gouvernementale devaient elles aussi, passer un test d’urine ?

S’il vous plaît,  faites circuler ce courriel si vous êtes d’accord ou supprimez-le si vous n’êtes pas d’accord.

J’espère que vous le ferez circuler, parce que les choses doivent changer dans ce pays et ça presse !!!!

Un travailleur tanné de travailler pour faire vivre les autres qui ne font rien !!!

Ça me fait beaucoup penser à une petite réflexion que j’ai élaborée dans un court billet, nommé : « Être à la remorque de sa vie ». Qui va comme suit :

Être à la remorque de sa vie, c’est se construire en réaction. C’est réagir en animal blessé, c’est se bâtir une armure avec nos blessures, petites ou grandes, tout en pensant utiliser du solide.

C’est regarder les événements fâcheux, qui sont souvent seulement des petites broutilles que l’on a le choix de considérer sérieusement ou non, et en faire des preuves, des arguments de notre colère dirigée.

Je ne peux pas écrire que j’en suis totalement vierge, mais je tends, ouvertement, à fuir ce réflexe. C’est un filtre sur la conscience au monde, un empêcheur de tourner autour des problématiques pour en extraire le plus large possible.

C’est le contraire d’être ouvert au point de vue des autres, même si cela ne veut pas dire d’accepter tout facilement.

Quelque chose comme tenir en équilibre.

Ce travailleur croit avoir trouvé par son exemple du test d’urine un argument solide, mais il ne fait qu’éclabousser son propre mal-être. S’il était heureux dans son travail et dans sa vie, il ne sentirait pas le besoin de jalouser le peu de bonheur que sont capables de se payer les « B.S. » avec sa mince contribution à l’impôt, parce qu’en fait le pourcentage de son impôt qui sert à ça, c’est tellement pas grand chose! (Pour s’étourdir, il devrait plutôt calculer le pourcentage qui va à l’armée et considérer combien sont d’accord avec ça!) Et en plus, si ça se trouve, c’est seulement une mince minorité des « B.S. » qui boivent et se droguent. Et même si c’était la majorité! Si j’en suis réduit un jour à attendre un chèque du gouvernement pour survivre, je n’ai même pas de doute que l’alcool et la drogue seront un baume sur ma peine… Toute autre réaction serait héroïque, et les héros ne vivent pas de l’aide sociale!

Pouvez-vous imaginer combien d’argent les Provinces sauveraient si les personnes qui reçoivent de l’aide gouvernementale devaient elles aussi, passer un test d’urine ?

C’est drôle, mais moi je m’imagine plus le nombre de personnes de plus à la rue et l’augmentation de la criminalité qui irait avec. Puisque ce n’est pas parce qu’un « génie » a trouvé une manière de faire économiser « les Provinces » que ces gens-là vont arrêter du jour au lendemain de faire tout en leur pouvoir pour survivre! Et quand tu es en mode « survie », dans la rue ou sur le « B.S. », c’est bien difficile de penser plus loin que son nez! C’est bien beau le concept de « se prendre en main », mais c’est tellement facile de se prendre pour un génie de l’analyse sociale quand tu vis dans le luxe, bien que tu travailles fort fort fort pour te le payer! Et ce génie-là sera le premier à chialer — après que son idée se soit retrouvée récupérée par le Parti Conservateur ou un autre avec une vue tout aussi basse — qu’il y a trop de quêteux dans les rues quand il sera en vacances de sa plateforme…

Et il reste les autres, ceux qui n’ont pas le choix, pour plusieurs raisons : est-ce qu’eux aussi passeraient le test d’urine? Une autre question : combien ça coûterait faire ces tests?

C’est bien ça qui m’énerve avec ce raisonnement : ça semble se tenir au premier abord (et je suis généreux!), mais ça s’écroule aussitôt qu’on en fait le tour. Parlez-moi de créativité pour aider ces gens à se sortir de ce cercle vicieux, parlez-moi de tout sauf de profiteurs, parce que pour trouver des profiteurs, c’est beaucoup plus facile en pointant n’importe où ailleurs! Parlez-moi d’améliorer la société pour amoindrir la possibilité que des gens préfèrent se laisser mourir plutôt que de participer. Parlez-moi intelligemment, et de grâce, débarrassez-vous de vos frustrations avant de vouloir refaire le monde!

 

(Photo : Monyart)

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1er mai. Bonne fête, Travailleur !

Les mères ont leur fête au temps du muguet, le Québec en juin, la République française  en juillet, et même le petit Jésus a la sienne, en décembre. On leur fait des cadeaux. Des fleurs, des discours ou, quand on croit que le jubilaire a vraiment tout, on s’en fait entre nous. Chouette, les fêtes ! Êtes-vous Carrefour ou Wal-Mart ?

En Amérique, où l’on a compris que se faire des cadeaux fait marcher le commerce et est le plus beau cadeau collectif qu’on puisse se faire, on a la journée de la Femme, celle des Enfants, celle des Secrétaires et bien d’autres. Comme on importe tout des USA, mais qu’on fait tout mieux que tout le monde, on finira aussi par avoir des jours de n’importe qui, puis de n’importe quoi. Une journée Lambda, par exemple, où l’on parlera des Tibétains et où l’on achètera chinois… Mais je m’égare…

Pourquoi le travail n’aurait-il pas sa fête, lui aussi ? Un jour par année, où l’on pense aux travailleurs, est-ce trop demander ? Alors on a le Premier Mai… Le problème, c’est qu’à partir d’un certain âqe, se faire souhaiter bonne fête, c’est aussi se faire dire qu’on a pris un coup de vieux. Le travail n’est plus très jeune. Il marche encore, mais… pas très alerte. Évidemment, quand on a connu Germinal et qu’on a écouté Jaurès ou Michel Chartrand, fréquenter  la Gauche aujourd’hui, c’est se sentir en pré-retraite.

Soyons sérieux. Il y a moins de travail, moins de travailleurs et la plus grande partie du travail qu’on fait, en col roulé plus souvent qu’en col blanc ou bleu;  grand-papa n’aurait même pas appelé ça du travail. On vit dans une société de services, une société d’économie tertiaire, il ne reste que 16% de la main-d’œuvre en industrie aux USA. Le cambouis et la sueur sont devenus des raretés plaisamment rétro, comme le communisme. Alors on ne se retrouve plus. Il n’y a plus de prolétaires. On a fait disparaître la classe ouvrière.

Inutile de chercher le travailleur en bas de l’échelle sociale. Il a été poussé en haut par toute une horde de non-travailleurs. Les chômeurs, bien sûr, mais ça, c’est l’aristocratie des sans-travail, les temporaires…  Il y a aussi les permanents du non-travail. Chômeur un jour, mais précaire toujours… Il y a les jeunes, il y a les vieux, les non-instruits, les pas-tout-à-fait-en-santé et les pas-tout-à-fait-doués, les immigrés et les pas-tout-à-fait-français ou pas vraiment « nous-z-autres.  Vous êtes Syndiqué et vous vous dites défavorisé ? Vous plaisantez ou vous voulez une baffe ?

Le travailleur est monté à l’étage et marche sur du solide: ils sont nombreux en dessous… L’image choc des travailleurs en marche, ce n’est plus une démonstration sur les boulevards, ce sont les millions de voitures de travailleurs qui avancent lentement, en rangs serrés vers l’Espagne , début août, ou les retraités du SFPQ qui volent du Saint-Laurent vers la Floride, comme les oies blanches à l’automne.  Le grand soir, c’est chaque soir où il y a du foot ou du hockey. Le travailleur a réussi son entrée dans la bourgeoisie.

Solidarité ? Avec qui ? Nous sommes tous disparates, avec des intérêts différents. C’est ça, une économie tertiaire. La lutte des travailleurs peut-elle être celle de ceux qui ne travaillent pas ? Comment être avec les exclus, quand on est « dedans » et qu’on a tellement peur de sortir ? « Diviser pour régner ? » Même pas, juste laisser l’égoïsme et la paresse faire leur œuvre, dans une société où il y en a assez pour que ce qui leur manque ne manque pas vraiment à ceux qui ont peu.

Ne cherchez pas le travailleur en bas. Ne le cherchez pas à gauche non plus. Sans solidarité, il n’y a plus de gauche. Il ne reste à gauche que quelques théoriciens et des journalistes qui bloquent le passage, pour qu’on n’aille pas trop loin. Pour qu’on ne tombe pas dans le vide, ou pire, qu’on ne découvre pas que la terre est ronde et qu’en poussant trop loin à gauche on ne se retrouve à droite.

Le travailleur a trouvé sa place dans le monde de l’abondance. Elle n’est ni en bas ni à gauche, juste un peu à l’écart. Presque tout le travail qu’on fait est d’une utilité douteuse et, sans le dire, on pense que l’assistanat vaut bien le travail dans un monde de loisirs. Il faut lire l »Insurrection qui vient« .  Superbement écrit… et vrai, même si je veux y voir  un passage, alors que l’auteur semble la voir comme une fin.

Le travailleur aurait  trouvé son meilleur des mondes ? … Minute ! La moitié de la richesse nationale en France appartient à 5% de la population. 38% de la richesse aux USA appartient à 1% de la population, la moitié de l’humanité vit sur 1 euro par jour et 1 000 000 d’enfants dans le monde meurent de faim ou de malnutrition chaque mois.

Nous ne sommes plus une population démocratiquement gouvernée, mais un cheptel judicieusement exploité alors qu’il suffirait d’une décision politique pour que le niveau de vie du travailleur moyen double en quelques mois.  Une idée  troublante, si on y accorde trop d’attention. Mais seriez-vous plus heureux, qu’on nous dit ? Et ils feraient quoi, les riches, si tout le monde avait tout ? Vous imaginez la queue, chez Fouquet’s, quand Sarkozy est élu et que Paul Desmarais invite?

Allez, il n’y a plus de travailleurs, nous sommes tous des travailleurs. « Liberté, c’est une marque de yaourts » et l’Internationale est une chaîne d’hôtels. Souhaitons-nous bonne fête, entre travailleurs. Oublions nos rides, soufflons les chandelles et trinquons. Nous sommes là pour trinquer.

Pierre JC Allard

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