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Le paradoxe de l’étalement urbain circum-montréalais

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Le fameux Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), proposé par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), ce regroupement des quatre-vingt-deux municipalités du territoire métropolitain, rencontre des résistances dans un certain nombre de villages d’Astérix spécifiques, comme Terrebonne et Saint-Eustache. Il est important de noter que ces résistances sont les plus vives dans le beau pays d’Ysengrimus, les Basses-Laurentides. On va essayer un peu de comprendre pourquoi. Le chef d’orchestre de la ci-devant Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), l’administration municipale montréalaise elle-même, telle qu’en elle-même, excelle dans l’art fin et pervers de se poser en dépositaire exclusif de l’angélisme planificateur, laissant les petites cornes cyniques et marchandes sur la tête des autres. L’argument angélique est donc ici le suivant, simplet et fatal. Le développement domiciliaire des villes de ceinture est un étalement urbain qui gruge et bouffe nos bonnes terres agricoles (il est hurlant d’ironie de voir le maire de Montréal se poser en champion protecteur du champ de patates fondamental de nos ancêtres, comme s’il ne voyait subitement que lui jour et nuit dans sa soupe). Les villes de ceinture, dicte toujours Montréal, doivent faire comme nous et se densifier. Le Sort de la Terre en dépend. Ah, cette bonne vieille uniformisation coloniale par alignement docile sur la “métropole”… Et pourtant Saint-Eustache n’est pas Saint-Henri, il s’en faut de beaucoup. Il y a des différences qualitatives majeures entre ces deux espaces. La densification urbaine proposée des Basses-Laurentides, c’est en fait la montréalisation d’un environnement encore en grande partie villageois, beaucoup plus intime avec la vie sauvage, et dont on détruit irrémédiablement la proximité à la nature sous prétexte de protéger des terres “agricoles” largement mythologiques… Ce qui marche pour l’île de Montréal ne vaut plus pour l’île Bigras (dont la condoisation serait une absurdité cynique totalement non écologique, bétonneuse et désastreuse).

Les citoyens des Basses-Laurentides deviennent de plus en plus remuants, sur cette question. Pas de condos dans mon microclimat fragile, disent-ils… Cessez, montréalais uniformisateurs, de prendre Deux-Montagnes, Pointe-Calumet et Saint-Eustache pour Montréal-Nord, Montréal-Est ou Repentigny… L’ignorance myope et condescendante du patrimoine historique et naturel de la ceinture nord (nord de l’île de Laval inclusivement) ne peut aucunement tenir lieu d’analyse d’urbanistique pour yuppies urbain mal renseignés sur ce qui n’est pas leur fond de cours et leur living chic. Il y a, dans cette petite résistance nordiste, l’introduction de nuances qui ne sont pas sans mérites au sein de toute cette réflexion, encore largement unilatérale. Bon, alors, allons-y, causons densification des villes de ceinture. Voyez Pointe-Calumet, petit bled lacustre de la ceinture nord, de 7,000 âmes. Le bord de l’eau, inexploitable agricolement, était constitué de semi-cloaques, viviers et frayères pour toutes sortes d’espèces d’oiseaux et de poissons inusités, le tout, proche de vieilles résidences aux terrains en semi-jachère, datant de deux générations, dans un dégradé parfaitement intégré, vernaculaire, semi-sauvage, harmonieux. Il y avait de la place entre la berge et les premières maisons, surtout après qu’on ait démoli stratégiquement les plus vieilles au bord de l’eau, graduellement, en hypocrite. Alors on a densifié, hein, on a construit intra-muros, au cœur de Pointe-Calumet, sur la bande de terre qui restait entre le vieux bled et la rive. On a tout remblayé solide et on a érigé une ligne de manoirs tocs, colossaux et affreux, aux terrains immenses, gazonnés, solidement clôturés. Vue sur la rive pour grands bourgeois ostensibles, micro-dispositif écologique désormais pulvérisé et/ou inaccessible, McManoirs comme ceux que dénoncent les montréalistes à la périphérie para-rurale des villes de ceinture, le tout défigurant désormais durablement le point de raccord d’un de nos petits villages patrimoniaux avec sa berge fragile de jadis. Adieu parc naturel et accès citadin aux berges. Bonjour villégiature privée pour néo-rupins socialement insensibles.

C’est à ce genre de densification absurde et destructrice que les maires et les mairesses de la ceinture nord, sous la pression de plus en plus militante de leurs citadins et citadines, s’objectent, attendu les particularités historiques et naturelles des Basses-Laurentides. Écoutez un peu leurs arguments. Au moins, quand la même hideur est construite à la périphérie de la ville (comme c’est partiellement le cas à Deux-Montagnes, justement, par exemple) sur du terrain vide, le patrimoine villageois du «vieux» Deux-Montagnes ou du «vieux» Pointe-Calumet, intimement implanté dans la nature et harmonisé avec ladite nature par l’histoire, est préservé. On n’écrapoutit alors que les patates hypothétiques et les carottes théoriques de l’UPA qui, d’ailleurs, notons le au passage, n’y poussent même pas, dans ce territoire périphérique… Or le fait est qu’on ne reconnaît pas et ne prend pas en compte le souci des citadins des Basses-Laurentides de protéger un patrimoine villageois. On les présente simplement, unilatéralement, comme des cyniques qui veulent servir la soupe à leurs promoteurs immobiliers locaux, en étalant sans contrôle. On leur demande alors, la bouche en cœur, en faisant bien scintiller l’auréole de son petit angélisme planificateur: «Mais si les couronnes n’acceptent pas de s’urbaniser un minimum à leur tour, où se fera le développement?». Réponse: sur l’île de Montréal de mes rêves, pardi. Une île bien gérée, avec un transport collectif efficace et du logement durablement abordable. Il reste immensément de place sur l’île de Montréal et la portion sud de l’île de Laval. Transformer Saint-Eustache, le site historique des Patriotes, avec certaines de ses maisons datant de 1780, en Ville-Legardeur-bungalow-boites-à-beurre, C’EST DÉJÀ basculer dans l’étalement pavillonnaire excessif que dénonce, ou affecte de dénoncer, la planification montréaliste qui prétend tant vouloir préserver nos belles campagnes. Il n’y a pas que des campions à parquer, il y a aussi un patrimoine historique et naturel à gérer. Alors, bon, une île densifiée, une ville densifiée, si je puis dire… Surtout que, quand elles le peuvent, Les bourgades de la ceinture nord font terriblement et implacablement leur part. Sainte-Marthes-sur-le Lac est un ancien village des Basses-Laurentides devenu, et ce, strictement de par sa densification, la ville canadienne ayant connu la plus forte croissance de sa populations dans les cinq dernières années. Ils se sont enlaidis en masse mais on peut pas leur reprocher de ne pas avoir docilement obéi aux consignes densifieuses de la CMM. Il est cependant capital de noter que, comme ce village spécifique n’engage pas des frais de démolition ruineux et garde ses taxes foncières rigoureusement basses, il se trouvera bien des montréalistes pour qualifier cette densification non destructrice et bon marché d’étalement. Comme dans tout paradoxe, ces notions sont fort élastiques.

C’est que, derrière le territorial angélique se profile le commercial cornu. Voyons la bien, la charpente du paradoxe que la CMM dicte ouvertement au bled nordiste construisant des condos. Si tu fais monter les frais domiciliaires, bravo, tu densifies. Si tu les maitiens bas, haro, tu étales! Les montréalistes disent à la ceinture nord qu’elle est un facteur d’étalement et lui impose de cerner ses limites et de se densifier. En se densifiant, la ceinture construit des gros manoirs roses aussi nombreux, aussi ruineux, inabordables et affreux qu’en sa périphérie mais, de surcroît, elle détruit sciemment du patrimoine écolo-ethnographique dans le processus et en paie les frais (refilés ensuite aux citadins). Les montréalistes mondains, avec leur sens chronique de l’écologie ajustable, se fichent bien de cela. Le but fondamental de l’administration montréalaise est de freiner la fuite vers les banlieues, pour forcer les familles à se ruiner dans des logements insulaires archi-coûteux ou exigus (à partir de deux enfants, vivre sur Montréal, soyez Crésus ou faites une croix dessus – c’est principalement des trois pièces pour yuppies sans enfants ou, plus grand, ça coûte un million). La densification que Montréal n’arrive pas à assurer adéquatement chez elle, elle l’impose aux autres pour que le cheptel (et le cheptel ici, c’est nous) refoule et cesse de fuir en direction du logement plus abordable des ceintures. Plus on y regarde avec l’attention requise et plus on constate que ce n’est pas de l’organisation urbaine qu’on exige mais bien des parts du marché immobilier domiciliaire qu’on s’arrache. Densifier dans les Basses-Laurentides, c’est obligatoirement détruire un cottage unifamilial de 1929 et le remplacer, plus à l’étroit sur son lopin, par un condominium à quatre familles où chaque famille paie plus que ne payerait l‘acheteur du cottage déglingué initial, avant de le rénover à son rythme. Il faut obligatoirement démolir des résidences encore habitables pour densifier, quand on le fait dans la ceinture nord, parce que ce sont des anciens espaces villageois qui sont investis ici, pas des parcs de stationnements défoncés, des bretelles abandonnées, des terrains vagues d’usines démolies ou des centre commerciaux en faillite. C’est pour ça que c’est surtout dans la ceinture nord qu’on crie contre le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD)…

Si Montréal voulait vraiment faire revenir la petite populace en son sein, elle subventionnerait le prix du logement non-locatif, y compris celui des condos neufs, comme dans certains pays, on subventionne le prix du pain. La ville, alors, cesserait de se vider, d’un seul coup d’un seul. Le défaut que Montréal reproche aux cabanes des municipalités de ceinture, ce n’est pas de gruger la terre agricole, c’est plutôt de coûter moins cher. Coûtant moins cher, ces cahutes de l’entre-deux-guerres grugent le marché de la consommation domiciliaire de la susdite CMM. Montréal veut que les condos neufs poussent partout et coûtent cher partout, uniformément, point final. La seule façon d’y arriver, c’est d’étrangler la fragile et délicate stratégie d’urbanisme des anciens villages des ceintures, en les accusant démagogiquement de faire de l’étalement et de menacer nos bonnes terres. L’ange montréaliste est un démon, dans cette affaire. Bien cernées dans leurs magouilles et combines d’un autre âge, les mairies des municipalités de ceinture, pour leur part, ne valent pas mieux, qui encouragent le construction condoistes coûteuse et grand-bourgeoise manoireuse sur les sites qu’elles détruisent hypocritement, intra-muros. Le démon foncier n’est pas un ange écolo, dans cette affaire. Le paradoxe de l’étalement urbain circum-montréalais, c’est celui, tout simple, de l’inversion téléologique du capitalisme commercial, devenu usuraire. Tant que le logement devra prioritairement enrichir les promoteurs et les villes plutôt que de servir de cadre pour la vie civique, on continuera de tourner en rond dans le susdit paradoxe, en bizounant durablement notre cadre de vie urbain et suburbain et en se renvoyant la balle en pleurnichant comme des tartuffes.

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Auto design A720 (et 720 raisons d’avoir peur)

Par Renart Léveillé

Voici ma caricature du jour :

Et le billet que j’ai pondu lundi passé à ce même sujet :

Je ne sais pas pour vous, mais je commence à en avoir ras le bol du discours rassurant des politiciens au lendemain de l’effondrement d’une structure en béton sur l’autoroute Ville-Marie :

Toutes les routes qui sont ouvertes sont sécuritaires [selon les critères du] ministère des Transports. Il n’y a aucun compromis avec la sécurité au Québec. […] On fait des inspections régulières de toutes les infrastructures et ces inspections nous permettent d’effectuer des travaux rapidement.

Gracieuseté de la cassette de Sam Hamad. Et en bonus, ce qui suit :

Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, s’est fait pour sa part rassurant. «On est en mode solution», a indiqué le maire, à proximité des lieux de l’effondrement. Selon lui, la Ville fait déjà tout ce qui est en son pouvoir pour la sécurité des automobilistes et continuera à le faire. «Ça fait depuis 10 ans qu’on investit des sommes dans nos infrastructures. Je sais que les incidents s’additionnent de plus en plus. On va continuer à faire les représentations nécessaires» auprès de Québec et d’Ottawa. Il n’y a pas lieu de «paniquer».

C’est bien beau faire des déclarations après-coup, mais la population n’est pas stupide, elle a en tête le scénario de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment.

C’est surtout la déclaration de Sam Hamad qui me donne de l’urticaire, étant donné que c’est le gouvernement du Québec qui tient principalement les rênes dans le dossier du transport. Parce que le ministre des Transports ose carrément nous mentir. Toutes les routes ne sont pas sécuritaires (à moins que la dernière route non sécuritaire soit la 720, ce dont je doute très fortement). S’il n’y avait « aucun compromis avec la sécurité au Québec », il n’y aurait pas de catastrophes, donc pas de raisons de faire des discours rassurants. Pour ce qui est « des inspections régulières » et « d’effectuer des travaux rapidement », je veux bien croire, mais ça ne semble pas suffisamment régulier, ni assez rapide.

Aussi, c’est encore un discours qui nourrit le cynisme ambiant. Et nul doute que Sam Hamad protège le bilan Charest ici. Ce que j’aurais au moins aimé entendre c’est : il y a un gros problème avec les infrastructures et nous allons tout faire en notre possible pour le régler!

Ajout :

Ah! j’allais oublier! J’ai pondu hier un statut sur Twitter en lien avec ce sujet :

Offre d’emploi : inspecteur d’infrastructures, envoyer CV au gouvernement du Québec. Cousins, beau-frères ou amis d’élu s’abstenir.

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Encore aujourd’hui, notre bon Sam Hamad s’en lave les mains et tente par tous les moyens de renvoyer la balle. Alors, je suis d’accord avec le blogueur Patate quand il écrit :


mettez vos énergies à sécuriser nos vies […], au lieu de jouer au ballon chasseur.

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La pollution visuelle et mentale des pancartes électorales

 

En 2008, lors de la campagne électorale fédérale qui a mené Stephen Harper au pouvoir, j’ai fait à ma façon et à mon humble niveau la promotion de l’absence de pancartes électorales dans les rues. Comme je l’écrivais autrement, ces pancartes sont une grosse nuisance à l’esthétisme de l’environnement urbain et rural, en plus d’être un gaspillage de ressources. Ça ne s’arrêtait pas là :

Et question marketing, je me disais qu’un parti qui aurait eu le courage de me pas embarquer dans cette pollution visuelle aurait pu utiliser cet argent pour faire un beau coup de pub. Imaginez combien l’absence de pancarte d’un parti politique dans le paysage aurait eu d’impact si une pub avait réussi à lier fortement cette absence et ce parti.

Ce parti se serait retrouvé nulle part et partout à la fois.

Sans faire de lien de causalité, il s’est avéré qu’en 2009 Union Montréal et Vision Montréal ont décidé de ne pas s’afficher dans la ville pendant la campagne électorale municipale. On arguait que la raison principale était les coûts énormes de ce genre de campagne publicitaire. Question de mononcliser, dans mon livre à moi, c’est une autre bonne raison d’abandonner cette pratique.

Malgré cet exemple, il semble que tous les partis fédéraux vont placarder nos horizons de leurs slogans et autres sourires en plastique quand même. À notre grand dam. Alors, j’aimerais trouver une autre bonne raison de plus pour que l’avenir nous réserve un ciel plus monochrome…

Parce qu’il faut se le dire franchement, les pancartes électorales titillent tout sauf l’intelligence des gens. Elles ont peu à voir avec l’essence même de la démocratie représentative. On y présente les couleurs des partis, des slogans (l’antithèse du développement d’une idée) ainsi que des gueules figées dans le sens du plan de marketing choisi (même si la plupart du temps c’est d’un sourire plus ou moins réussi dont il s’agit). En gros, nous sommes dans le royaume des apparences, de la représentation. Ce qui est juste bon pour voter pour les mauvaises raisons.

Donc, voilà, j’accuse les pancartes électorales d’encourager la paresse intellectuelle auprès de ceux qui sont paresseux de nature. Pour qui va voter pour un candidat surtout parce qu’il a un air rassurant, nonobstant de ce qu’il prône réellement. Pour qui va voter pour cet autre parce qu’il le conforte dans ses préjugés physionomiques, avec tout ce qui vient avec : genre, origine. Sans oublier ceux qui n’iront pas voter en réaction de cette agression visuelle, quand c’est tout ce qu’ils peuvent retenir de la politique (contrairement à mes amis anarchistes abstentionnistes).

Dans ces conditions, la politique devrait se tenir aussi loin que possible de ces techniques publicitaires, qui sont par nature tapageuses, racoleuses, parfois même mensongères (et je ne me pencherai pas ici sur les messages publicitaires télé et radio). Puisqu’il n’est pas question de « vendre » quelque chose, mais bien de se choisir un moyen d’avancer. Et la meilleure façon de faire un choix de véhicule éclairé est sans conteste de faire fi des apparences et d’aller creuser, même si ça demande un effort. Qui achète une voiture en se basant seulement sur le design de la carrosserie?

Je pourrais continuer sur cette lancée en tentant de détruire aussi le traditionnel serrage de mains et même l’idée du porte-à-porte, mais bon, une chose à la fois…

(Photo : sashamd)

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La laïcité, ou nettoyer l’ardoise

Par Renart Léveillé

Dans mon billet de la semaine dernière, concernant la lubie catholique du maire Jean Tremblay, par boutade, je soumettais un anti-souhait :

(Et je ne veux lire personne déclamer que la laïcité est un complot de la religion athée…)

Mon collègue des 7 du Québec, Yan Barcelo, l’a en quelque sorte brisé, en titrant un billet récent : « Le laïcisme, nouvelle religion ». Malheureusement, il ne creuse pas tellement dans cette direction dans son texte, mais promet de le faire en conclusion dans un futur billet.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas bien difficile d’imaginer ce qu’aura l’air ce prochain billet quand pour lui le laïcisme est « un nouveau terrorisme intellectuel ». Pour arriver à une formule aussi chargée que celle-là, il faut visiblement être du côté, ou des croyants, ou du conservatisme moral, ou des deux.

En laissant quand même de côté les suppositions, j’en viens à me dire que les croyants (enfin certains) sont tellement pris dans leur monde qu’ils ne peuvent comprendre que les manifestations de leur foi peuvent être agressant pour d’autres, non-croyants et croyants d’autres confessions. À partir du moment où il est possible pour un croyant de prier en silence (même en étant en public), et que ce serait bien l’accommodement le plus raisonnable pour tous, crier haut et fort son supposé droit de prier à haute voix est le comble de la mauvaise foi…

Je vais prendre un exemple simple : le métal (dans le sens du style de musique). Si un maire décidait de faire jouer en début de réunion une pièce musicale de ce style, tout le monde serait d’accord pour dire que cela n’a pas sa place (même si personnellement le métal m’agresse vraiment moins qu’une prière, même pas du tout, d’ailleurs). Les amateurs de métal ont des occasions de se réunir pour en écouter ou ils le font en solitaire. La plupart sont des gens civilisés qui comprennent que leurs goûts musicaux ne doivent pas être imposés aux autres. Pourquoi certains croyants ne comprennent-ils pas cette évidence?

Je les entends déjà rétorquer que la prière est un héritage de notre passé, mais pas le métal, ce qui justifierait là toute cette croisade du maire (ainsi que ses forts appuis). Globalement, je ne nie aucunement cet héritage en pensant que la prière n’a pas sa place, puisque je vis sur cette planète : je sais que nous sommes en civilisation judéo-chrétienne, avec ses valeurs intrinsèques; valeurs que je ne peux nier en bloc, même si, séparément, elles me semblent avoir besoin d’un examen… Mais accepter le fait que c’est un héritage important veut-il dire pour autant qu’il faille cautionner ces manifestations de piété d’un autre temps, cette religiosité qui n’a plus sa place dans un monde (occidental) où adhérer à la religion n’est plus, heureusement! un préalable à l’acceptation d’un individu à la société?

Et encore, la tentative de lier par la force la laïcité (et même l’athéisme) à la religion dans son sens dogmatique est menée par la peur. C’est essayer de tout mettre sur un pied d’égalité pour espérer gagner des points. C’est chercher à imposer dans le débat un handicap à l’autre partie : c’est le réflexe de ceux qui se sont peinturés dans un coin, de ceux qui sont acculés au mur. La laïcité, c’est tout simplement nettoyer l’ardoise, repartir sur des bases plus propres, plus respectueuses de chacun, puisque chacun se « garde une petite gêne » en public quant à ses croyances, d’autant plus les personnes en situation de pouvoir, hein? Monsieur Tremblay!

Et puis, est-ce que le laïcisme a ses prières, son iconographie comme la religion? Idem pour l’athéisme? Oh! que non! Et ce n’est pas parce que le terme « doctrine » peut être utilisé pour nommer une religion ou un système de pensée qu’ils sont pour autant synonymes. Démagogie, quand tu nous tiens…

Dans le fond, qu’est-ce qu’on perd à réserver les affaires publiques aux affaires publiques? Absolument rien, les gens religieux sont bien libres de se pavaner avec leur foi avant et après les réunions. Si ça peut leur faire plaisir, je ne m’empêcherai pas en retour de ressentir à leur endroit un parfait mépris.

(Photo : analogian)

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Maire Jean Tremblay : quand la religion est une sangsue

Par Renart Léveillé

Quand le maire d’une ville fait tout pour donner l’impression qu’il fait passer sa religiosité devant ses responsabilités d’élu, il est une bonne chose de le ramener à l’ordre. Et c’est ce que le Tribunal des droits de la personne a fait en ordonnant « à la ville de Saguenay de retirer le crucifix de son hôtel de ville en plus d’interdire la tenue de la prière avant le Conseil municipal ».

Selon Mathieu Bock-Côté, « ce n’est pas aux juges de décider à la place de nos élus de la bonne manière de trancher cette question ». Le sociologue qualifie de « despotisme éclairé » le travail des juges et pourtant il est clair qu’à ce jeu, le despotisme politico-religieux du maire Jean Tremblay ne gagnerait même pas le qualificatif « éclairé ». Et, je me serais attendu à une analyse un peu plus « éclairée » de la part du doctorant… Mais bon, avec des prémisses comme les siennes, aussi teintées du conservatisme, il fallait bien s’attendre à une architecture idéationnelle de la sorte qui actualise, comme par gêne, une volonté de soutenir, coûte que coûte, la tradition.

Encore plus, je crois qu’il faudrait faire ressortir à l’attention de Bock-Côté que les électeurs de la ville de Saguenay ont élu un homme politique et non un homme de foi, même si pour certains électeurs, être religieux est une qualité appréciable, j’en conviens (comme des électeurs votent pour un politicien parce qu’ils le trouvent agréable à regarder — et ça tombe plutôt bien, Jean Tremblay a une bien belle et bonne bouille télévisuelle, photogénique). Mais, revenons à nos moutons (!), faudrait-il laisser le fin mot de l’histoire à un élu qui mélange les choses à ce point? Au moins, un juge n’appuie pas son jugement sur ses propres élucubrations, mais bien sur des textes de loi! (Mais que diantre! quel hasard! qui vote les lois?) On peut toujours critiquer les lois, mais la position du maire encourage encore plus : la raillerie.

Et tenir mordicus à imposer son goût personnel pour la religiosité en public et utiliser les institutions juridiques pour y arriver (avec les frais collectifs qui viennent avec), c’est pour le moins louche, et cela manque cruellement de sérieux (et qu’il soit obligé de faire une levée de fonds pour poursuivre sa croisade me semble un juste retour des choses). Pour cette raison, j’avoue d’emblée que je ne suis pas tellement regardant quant à qui lui tape sur les doigts… Dans un monde politiquement idéal, la laïcité serait respectée par tous, et c’est bien là où se trouve la base de la problématique. (Et je ne veux lire personne déclamer que la laïcité est un complot de la religion athée…)

Et Mathieu Bock-Côté tente de faire un rapprochement entre l’idée des accommodements raisonnables et le « plaignant » qui a porté cette « cause » devant les tribunaux pour dénigrer la décision prise contre la ville de Saguenay. Ça me semble un terrain très glissant dans l’optique où la laïcité est en quelque sorte le terrain d’entente pour ce qui est de la question religieuse, la base sur laquelle on se réfère pour « accommoder raisonnablement » ensuite (hypothétiquement : il me semble qu’une demande d’accommodement pour obtenir le droit d’imposer une prière catholique — ou de toute autre confession — de vive voix dans une réunion municipale ne serait pas très bien vue…). Et, dans toute cette problématique, il faut remarquer que les administrations municipales sont les dernières à résister à la séparation du religieux et des affaires publiques. Vers où peut bien se tourner un citoyen qui se sent lésé (avec raison) par la dictature de la prière et de la tradition, sinon du côté des tribunaux? De toute façon, dans le cas qui nous concerne, l’élu Jean Tremblay ne semble pas « raisonnable »…

En passant, je ne suis pas le plus grand apôtre de la Charte des droits et libertés de la personne. Mais pour avoir la légitimité de refuser le religieux d’où il vient et où il se trouve, il faut bien d’abord remettre à leur place les hurluberlus de la trempe de ce maire«-là là » pour qu’ils cessent de se justifier du passé où la religion catholique faisait la pluie et le beau temps au Québec. C’est plutôt difficile de mettre le doigt aujourd’hui sur ce que seraient les valeurs communes des Québécois, mais il y a belle lurette que ce n’est plus la religion catholique qui en est le ciment, n’en déplaise aux gens du « bel âge », enfin à ceux qui ne se sont pas rendu compte que la Terre n’a pas arrêté de tourner depuis leur endoctrinement forcé.

S’agripper à cette époque révolue c’est carrément jouer le jeu des guerres de religion. Et la laïcité est justement une manière de désarmer tout le monde.

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