Le quitte ou double d’Oncle Tom

45 ans après le fameux discours de Martin Luther King, rêvant tout haut que les Noirs en Amérique  seraient comme des Blancs, le rêve a pris forme, ce jeudi 28 aout 2008, dans un stade de Denver, Colorado, devant 80 000 personnes dont un quart d’Afro-américains occupant bien leur place.  En choisissant Barack Obama comme leur candidat à la présidence, les Démocrates ont annoncé que ceux des Noirs qui avaient  fait le pari de faire confiance aux Blancs  – Les « Oncle Tom » – avaient eu raison contre Malcolm X  et que l’égalité était arrivée aux USA.

C’est l’égalité par la grande porte qui est arrivée pour les Noirs d’Amérique, avec en prime un droit de regard sur le choix du maître du monde qui  trône à Washington et qui sera celui qu’ils voudront.  Celui qu’ils voudront, parce qu’en votant comme un bloc – 91% ! – pour  l’un des leurs, ils rendent bien probable sa victoire sur l’autre prétendant, vieillard au demeurant assez désagréable, mais dont le clivage partisan aux USA aurait pu faire malgré tout un gagnant.

91%. Les Noirs d’Amérique vont voter comme un seul homme. The Man – le Blanc, dans le slang des ghettos urbains, où il n’est plus présent que comme une petite touche pour faire contraste – va au contraire continuer son appui coutumier, tel aux Démocrates, tel aux Républicains, obéissant à ses tropismes acquis pour réagir à la seule lumière à laquelle l’auront rendu sensible les médias qu’il fréquente.

Les Blancs d’Amérique se partageront entre les deux partis, à parts égales ou presque, comme ils ont accoutumé de le faire. Comme on a voulu qu’ils le fassent, afin qu’un minimum d’effort soit requis pour faire pencher  la charge  de-ci de-là et guider la bicyclette  sociale sans sembler tenir le guidon.   Les Blancs américains devraient se scinder en deux, car ils n’ont pas la solidarité des espèces menacées.    C’est le vote des Noirs qui fera la différence. Oncle Tom aura la balance du pouvoir,

Faut-il se plaindre, si c’est ce vote noir massif qui va devenir la clef du changement ?  La clef pour qu’on mette fin a un impérialisme et un individualisme forcené qui détruisent l’Amérique, avec des mercenaires en Irak et des tireurs fous sur les campus ?

Faudrait-il s’en plaindre, même si l’hypothèse était évoquée d’un angélique complot qui aurait prévu de longue date faire  de ces élections un choix clair de western entre le Bien et le Mal, pour qu’associant le Noir et le Bien on en finisse avec le racisme et que l’Amérique puisse affronter unie les défis d’un monde où sa prépondérance s’achève ?

S’en plaindre, certes pas, mais s’en inquiéter, peut-être. Il n’y aurait rien que de bien favorable à ce qu’une majorité d’Américains préfèrent ce qu’offre Obama à ce qu’offre McCain, sans égard  à la couleur de sa peau, mais est-ce bien çà que l’on est à vivre ?

Considérant l’état de la société et de l’économie américaine, il est troublant qu’une majorité de ceux aux USA qui n’appartiennent PAS à la communauté noire, favorisent aujourd’hui le Parti Républicain, porteur de guerre, de pauvreté, de turpitude morale et de mensonges si énormes qu’on voit presque tiquer ceux qui les profèrent.   Est-on vraiment en train d’exorciser le racisme, ou n’est-on pas à l’instrumentaliser pour la bonne cause… et vice-versa ?

La victoire annoncée d’Obama, qui doit marquer l’accession des Américains à une société sans préjugés, est présentée comme le triomphe du melting pot qui devait les rendre tous semblables, mais n’est-elle pas plutôt, paradoxalement, celui d’un communautarisme  qui s’installe  à demeure et qu’il n’est pas  politiquement correct de contester, ni même d’évoquer, puisque le résultat est celui dont on a rêvé ?

Jusqu’où la fin justifie-t-elle les moyens ?  À partir de quelle dose le soma qui fait rêver risque-t-il d’induire un cauchemar ?  Si on en croit les sondages, Obama, s’il est élu en novembre, le sera vraisemblablement malgré un soutien majoritaire à son adversaire de la population blanche. Une  population  blanche  dont les prévisions démographiques nous informent que, dans une génération, elle sera devenue  une minorité.

Le risque est bien réel que les prochaines élections et leurs séquelles transforment déjà par anticipation  cette population blanche déclinante en une « communauté », se distinguant des autres communautés, perçues toutes ensemble comme « les autres ».  Si cette identification communautaire  a lieu avant novembre, le vote des Blancs ne se scindera plus en deux ; elle signifiera une victoire de McCain. Les Noirs américains le prendront mal, mais on trouvera bien prétexte à l’expliquer autrement. Si elle a lieu après, toutefois, ce sera plus grave…

La situation dont héritera le futur président des USA sera critique, quasi désespérée.   La société américaine est tarée, non seulement par des inégalités sociales, mais par des inégalités économiques qui ont atteint le point de rupture.  Son économie de production et ses finances reposent sur  des concepts battus en brèche. La puissance militaire de l’Amérique, incontestable, est néanmoins si mal adaptée aux exigences des conflits modernes qu’elle pourrait tout aussi bien ne pas exister.

Pire, l’Amérique est vue comme responsable de la crise financière mondiale qui menace et – on le voit sur tous les blogues – d’une résurgence possible de l’impérialisme russe dans un contexte de guerre froide.   On l’accuse de tous les péchés d’Israel et on regarde, goguenard, la Chine qui la rejoint et la dépasse sur tous les plans. Le prestige des USA est à son nadir. On n’aime plus l’Amérique.

Si Obama renverse cette situation à l’avantage de l’Amérique, il prendra sa place avec Washington et Lincoln.  Les dieux n’ont pas de couleur – l’Inde védique les peignait en bleu ! – et  qui veut se souvenir  de la couleur bistre imprécise de Dumas ou de Pouchkine ?  S’il n’y parvient pas, toutefois,  il se pourrait bien que le communautarisme blanc naissant aux USA cherche à grandir et à tirer ses lettres de roture d’une opposition  à Obama, présenté  alors soudain comme la source de tous les maux.

Si Obama ne fait pas de miracles, le risque est grand  qu’une opposition irréfléchie, inconditionnelle se manifeste.  Le risque d’un  rejet viscéral d’Obama et d’un profond mépris pour ses « échecs »  et  sa «différence ».   Un racisme intolérant, voire haineux,  pourrait alors apparaître aux USA.   C’est ce pari quitte ou double contre le racisme que signifie la candidature d’Obama.   Apprécions en la promesse, mais n »en mésestimons par les dangers.

Pierre JC Allard

13 Commentaires

Classé dans Actualité, Pierre JC Allard

13 réponses à “Le quitte ou double d’Oncle Tom

  1. @ Sociétés et Décadence: Merci. J’ai vu votre site et je vous encourage à
    continuer le combat. Voyez ce que je disais, il y a quelques années, de ces moments ou l’on doute.

    http://nouvellesociete.org/5067.html

    PJCA

  2. Bonne analyse.

    Esperons surtout que tout ira pour le mieux, quel que soit le gagnant…

  3. Pierre

    La marche est haute. Très haute. Barack Obama a un défi de taille, voire inhumain, à surmonter. Et vous avez raison : Si Obama ne fait pas de miracles, le risque est grand qu’une opposition irréfléchie, inconditionnelle se manifeste. Les clivages seront impitoyables. Les États-Unis, qui sont déjà insupportables, se replieront et se sentiront davantage menacés, autant de l’intérieur que de l’extérieur. Horesco referens.

    Pierre R. Chantelois

  4. Excellent billet. Peut-être Obama a-t-il réussi à conclure un pacte avec la grosse machine démocrate, cousine de la républicaine? Peut-être a-t-il réussi à convaincre les Clinton et les lobbies militaires, pharmaceutiques et financiers que les luttes sociales peuvent être menées de front avec les ambitions économiques? Peut-être Obama réussira-t-il à continuer sa lutte contre la pauvreté, le racisme et les inégalités sociales?

    À mon avis, tout est dans les mains des médias d’information. En autant que les grandes chaînes et les prinicpaux quotidiens ne tombent pas dans le piège du patriotisme aveugle ou dans la primauté de la croissance économique, l’équipe d’Obama a une chance. Une opportunité historique pour les électeurs de voter selon leurs préoccupations immédiates. Et non pas pour dire oui ou non à un appel patriotique, comme ce fut le cas en 2004.

  5. Merci ! Pour sûr, que je continue !

  6. Leon

    Bonjour aux deux « Pierre »canadiens que je connais. Un nouveau blogue donc.. Cent papiers ne répondait plus à vos attentes ?

    Analyse intéressante Pierre JC… et utile pour nous autres Français. On aura beau dire, vous êtes quand même mieux placés pour nous expliquer la vie politique américaine. Je viendrai souvent chez vous pour vous lire.

  7. @ Leon: Merci et bienvenu. « Les 7 » n’est pas un blogue rival de centpapiers; nous en sommes tous des collaborateurs actifs depuis longtemps et avons bien l’intention de continuer à en être. C’est la vocation qui en est complémentaire et le format est donc différent. Centpapiers est un journal; il informe. « Les 7 » est un lieu de réflexion bien ciblé et vise la clientèle de ceux qui savent déjà et veulent une nouvelle perspective. Ici, on ne publie qu’un seul article par jour et on n’annonce pas la nouvelle, on l’interprète. Voyez mon petit article précédent « V’la l’bon vent ». Revenez et envoyez les copains… 🙂

    PJCA

  8. radical libre

    Vous ecrivez mieux que tout ce que j’ai lu sur l’internet, meme en France. Avez-vous ecrit des livres ? Je cours les acheter.

    Radicale libre

  9. @ Radical(e)libre C’est sympa comme commentaire… Permettez-moi d’y répondre par la traditionnelle protestation de modestie qu’on affiche pour ne pas devenir dépendant des éloges. Pour les livres, vous avez des échantillons gratuits que vous pouvez télédécharger à ce lien : http://nouvellesociete.org/QB.html

    PJCA

  10. radicale libre

    J’ai lu deux de vos trois livres. Super !!! Le site est bon… mais c’est pas simple.

    R.L

  11. J’aime beaucoup votre article. Je souhaite également qu’Obama parvienne à l’emporter, sinon, les Américains et le monde en général pourrait s’enfoncer encore davantage au fond du baril (de pétrole). Un élément de votre article m’amène à réfléchir: Est-ce que le vote noir est celui d’une espèce menacée? Par analogie, je pense au vote anglophone, au Québec qui a toujours été d’un bloc, mais jamais pour lui (le Bloc). Ce n’est peut-être pas stratégique que les Québécois francophones se divisent le vote entre Libéraux, Conservateur et le Bloc, mais, somme toute, on pourrait aussi dire que c’est là le signe que nous ne nous sentons plus comme une espèce menacée au Canada.

  12. @ Pierforest: Merci pour votre commentaire. Pour le « vote menacé », c’est tout a fait ça. Au Québec, la MINORITÉ anglophone vote en bloc; à Ottawa la MAJORITÉ anglophone se scinde, alors que la MINORITÉ francophone votait en bloc… jusqu’à la création du Bloc Quebecois.

    Quand un minorité est significative, elle fait regulièrement basculer le pouvoir du côté où elle penche et a donc le pouvoir réel. Paradoxalement, le Bloc Québecois a donc DIMINUÉ le pouvoir réel des Québécois, tels qu’ils l’exerçaient sous Trudeau et Chrétien, par exemple.

    Pour cette élection, le Bloc reste la meilleure défense contre ce que certains – a tort ou a raison – voient comme une position faible de l’élément québécois dans un gouvernement Harper. mais quand un chef liberal québécois crédible va apparaitre, le Bloc va sortir de l’arène et lui laisser le champ libre.

    Si vous aimez la politique fiction, allez à cette page http://nouvellesociete.org/QB.html et déchargez « Le Printemps de Libertad »

    PJCA

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