SIDA de civilisation : la société (8 / 9)

Yan Barcelo, 6 mars 2010
Quels sont les grands problèmes de notre système d’éducation? Ils sont innombrables. Voici les principaux que je peux identifier.
« 2 + 2 =… n’importe quoi ».. – On pourrait appeler ça la peur de la réalité. Elle est trop dure, la réalité, elle nous mesure, et elle montre souvent qu’on n’est pas à la hauteur. Alors, que fait-on? On édulcore. On abaisse les critères, on adoucit les notes, on discute de 2 + 2 = 4, on ne le calcule surtout pas. Trop troublant! L’égo de junior risque de ne pas s’en relever s’il arrive au résultat de 5. Et puis, après tout, pourquoi 2 + 2 n’égalerait pas 5? Qui sommes-nous pour en décider, hein?
Dans les années 50, le grand maître à penser de la pédagogie familiale était le Dr Spock, héraut de l’ego psychology héritée de Freud. Son message pouvait se résumer facilement : il ne fallait surtout pas brimer junior, surtout ne pas créer chez lui des conditions propices à la répression et au refoulement. Et puis, junior a grandi, il est devenu Monsieur Boomer. Et ce Monsieur Boomer a poursuivi la leçon auprès de son enfant… quand il en avait le temps et qu’il n’était pas trop occupé à courir après de l’argent et sa carrière. En fait, ce n’est pas une leçon qu’il a apprise à son enfant; plutôt une non-leçon. Vous savez : « Do your thing and I’ll do mine. » Qui suis-je pour dire à un autre ce qu’il doit faire, même s’il s’agit de mon fils. Puis, le fils à son tour a transmis la non-leçon, mais avec un relâchement plus grand encore…
Là où la leçon de Monsieur Boomer et du Dr Spock ont fini par se répercuter, c’est à l’école, évidemment. D’une institution vouée à la transmission de connaissances et d’habiletés et vouée au développement du caractère, on est passé à une organisation occupée à la transmission d’on ne sait trop quoi et, surtout, à la préservation de l’estime de soi de junior.
Bref, l’école d’aujourd’hui se consacre à la facilité. Dans le conflit fondamental entre principe de réalité et principe de plaisir qui se trame au cœur de tout individu, selon Freud, nous avons choisi le côté du plaisir. Il ne faut surtout pas que l’acte d’apprendre soit forçant! Et puisqu’il est presque inévitable que l’étude soit « plate » et difficile, alors on va multiplier les bonbons pour édulcorer le tout et garantir qu’il ne puisse y avoir aucun plaisir à l’acte d’apprendre lui-même.
Les travailleurs de l’éducation. – Il fut un temps où enseigner était une vocation. Ce l’est encore. Sauf que tout le système ne le reconnaît pas et n’appuie pas cette réalité fondamentale. Que veut dire « vocation »? Il s’agit d’une occupation qui engage toute la personne dans un service à l’endroit d’autrui. Enseigner est la plus suprême vocation, plus grande encore que celle de soigner comme chez le médecin et l’infirmière. Bien sûr, dans un monde plus religieux où on croyait que tout être était appelé à réaliser le plus possible son appel vers Dieu, le mot « vocation » avait son plein sens. Ce n’est plus autant le cas, mais la réalité sous-jacente demeure néanmoins.
Or, être professeur, aujourd’hui, n’est plus considéré comme une vocation. Un professeur est un « travailleur de l’éducation ». Voilà la définition la plus plate et prosaïque qu’on pouvait imaginer pour ce grand métier. C’est d’ailleurs une définition à laquelle les professeurs ont eux-mêmes souscrit, oubliant ainsi le fond spirituel de leur tâche.
Pourtant, il n’y a pas de métier plus important dans une société que celui de professeur. C’est par lui qu’est transmis vers l’enfant en devenir l’essentiel des connaissances accumulées par les siècles. Bien plus que l’ingénieur, bien plus que le politicien, bien plus que le banquier, le professeur est le métier suprême de la société. Mais on en a fait un travailleur. Un dispensateur de connaissances désarticulées qui livre sa matière en autant de tranches de saucisson.
Forcément, un tel « travailleur » n’a pas le respect social qu’il mérite, de telle sorte que son autorité est contestée, bafouée, constamment remise en cause. Un cas typique : un professeur rabroue-t-il un enfant avec un brin trop de vigueur? Hop! Le parent se pointe à l’école, fait des remontrances au directeur, qui convoque le professeur et oblige celui-ci à faire des excuses au jeune devant le parent. Les aristocrates d’antan traitaient mieux leurs laquais.
Ce qui m’amène au prochain problème… dont je traiterai la semaine prochaine.

3 Commentaires

Classé dans Actualité, Yan Barcelo

3 réponses à “SIDA de civilisation : la société (8 / 9)

  1. En Asie, les professeurs sont encore hautement estimés. Pour avoir enseigné pendant de nombreuses années à des enfants, je peux dire que ce travail est véritablement une vocation et que ceux qui ne l’ont pas, quittent rapidement, ou bien continuent, mais ils ne sont pas heureux du tout d’être dans une école.

    Les professeurs que vous décrivez comme étant des «travailleurs de l’éducation» sont distants et froids, ennuyeux. Il faut comprendre que rien ne sera appris si l’étudiant n’est pas en confiance, s’il est en antagonisme avec le professeur.

    C’est cette capacité de forger des liens sincères et humains avec les autres qu’on réussi à établir ce respect et confiance mutuel.

    Excellent billet. Heureusement, je pense qu’il demeure plus de bons professeur de vocation que de mauvais. Mais mieux vaut sonner l’alarme avant qu’il ne soit trop tard.
    J’ai bien peur, par contre, que le Système est en train de tuer ce que l’éducation devrait vraiment être, et qu’il empêche beaucoup de professeur de vocation d’arriver là où il devrait être, de part le processus ridicule à travers lequel les candidats intéressés sont soumis. Le parcours pour obtenir son autorisation d’enseigner dans les écoles publiques est non seulement inutile, mais fastidieux à l’extrême.

  2. Yan Barcelo

    @Francois M.
    Le coup d’oeil d’expérience que vous apportez est précieux et je suis heureux qu’il renforce mon propos.
    Vous abordez le processus de sélection, ce que je n’ai pas fait, et c’est très pertinent. Mais il y a aussi tout le processus de formation des professeurs, dont je vais tâcher de me rappeler la semaine prochaine. En un mot: ceux qu’on accueille dans les facultés d’éducation sont trop souvent des « rejetés » ou des « ratés » d’autres facultés et on se contente de récupérer des candidats pour qui l’enseignement n’est qu’un deuxième, ou troisième ou néième choix. Voilà bien une des conséquences de la dévalorisation du professorat. Alors que ce sont des premiers de classe qu’on devrait voir s’engager dans une vocation d’enseignement.

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