Archives quotidiennes : 16 Mai 2011

Cuba et le Docteur T.

Retour de Cuba où j’ai passé l’hiver, je posais, il y a trois semaines sur ce pays quelques constats favorables qu’on escamote trop souvent. Celà, tout en soulignant qu’on n’y était pas au paradis, mais seulement sur la bonne voie. J’annonçais les changements imminents résultant du processus de consultation auquel on a tant travaillé cet hiver et qui devraient permettre quelques autres pas en avant vers une nouvelle société. C’EST FAIT.

Lundi dernier, on a publié le rapport du VIe Congres et 313 réformes constituant ce que partout ailleurs on appellerait une révolution, mais ce qui ici n’est que le dernier épisode de cette « Révolution » cubaine qui dure depuis plus de 50 ans et qui correspond asses bien à une manifestation de cet esprit « évolutionnaire » que j’appelle de mes vœux … aussi depuis 50 ans.

Je ne vous parlerai pas ici de ces changements. C’est long, il y en a beaucoup, les résumer serait les trahir et ceux qui s’y intéressent vraiment les trouveront un peu partout sur le Web pour en discuter sérieusement. Notons simplement que si les médias USA parlent si peu de ces réformes, c’est certainement qu’on n’y trouve que du bien….

Aujourd’hui, je ne veux souligner qu’un seul point qui distingue Cuba de nos pays de pseudo liberté.  La « liberté » – que dis-je, le vigoureux ENCOURAGEMENT ! –  que nous donnons dans nos pays dits « démocratiques » à la plus large diffusion médiatique possible de tout ce qui est malsain, pervers, crapuleux.

Ici, au Québec, nous en avons le parfait exemple: le roman feuilleton ignoble mettant en vedette le Docteur T. que tous nos médias se bousculent aujourd’hui pour nous offrir.

Je dis à dessein le « Docteur T ». C’est ainsi que la population devrait le connaître, laissant dans l’ombre tous les gens de sa famille proche et éloignée que personne ne soupçonne d’être ses complices.  Ce le Docteur T. a fait de sa vie et dans sa vie avant de tuer ses enfants ne nous regarde pas.  Pas  davantage, d’ailleurs, que les détails du crime.  Seuls devraient s’y intéresser, sous le sceau de la confidentialité, les jurés qui décideront du sort de l’accusé  et les officiers du processus judiciaire.

Pourquoi ce bain de boue collectif ?  Un seul rapport annuel – comme celui du vérificateur général en matières de finances  – devrait suffire pour  confirmer que policiers, enquêteurs et magistrats ont accompli leur boulot et que, dans ce cas comme dans les autres cas, justice a été faite. Je ne veux pas entendre parler du Docteur T.  Je ne vois aucun bien à ce qu’on en parle aux enfants. Aucun intérêt pour un adulte sain d’esprit à s’y complaire.

L’insistance que mettent ici les médias sur le fait divers bête et méchant et sur les détails sado-porno de la criminalité n’existe pas a Cuba. Que cache cette complaisance de ceux qui dirigent notre société, à nourrir le chancre purulent du voyeurisme dans les esprits d’une population jocrisse, sinon la ferme volonté de la distraire des vrais questions de société, des vrais problèmes économiques et politiques à résoudre ?

Une distraction omniprésente, car notons bien que l’affaire du Docteur T. n’a d’originale que d’être réelle. Pour les médias, elle n’est qu’une chance inespérée de bien commencer la saison estivale en faisant le lien entre  une TV réalité dont on déplore qu’elle doive demeurer encore relativement pudique et tous les films d’horreur créées pour paraître plus vrais que nature et qui sont un ramassis ininterrompu de carnages, de tortures et de meurtres.

On ne peut zapper 5 minutes à la TV, sans voir mourir plus de gens que durant toute l’«épidémie » de H1N1. La mort est partout, avec déploiement de policiers prompts à la gâchette, de chirurgiens au bistouri facile, d’avocats à la répartie mercenaire impitoyable dont la justice n’est pas la première préoccupation. Toutes ces fictions qui ciblent le pire de la vie, ne risquent-elles pas d’inciter  à ce que mêmes ces limites soient dépassées par une réalité qui prendra ce pire pour modèle ?

Bien sûr, la nature humaine n’a pas beaucoup évolué, depuis qu’on rigolait au Cirque de voir une vierge jetée comme en-cas aux lions, ou que le Tout-Paris se pressait en Place de Grève pour voir rouer et écarteler le pauvre type qui avait volé un quignon de pain… Mais la civilisation, est-ce que ce ne serait pas au moins d’ESSAYER d’améliorer cette nature humaine, plutôt de la fournir en exemples à imiter pour ses abominations ?

Les médias occupent l’esprit du bon peuple de tout ce qui arrive d’abject et de terrifiant .  Tout se passe comme si l’on croyait que, s’il ne pense qu’au pire, Quidam Lambda ne songera pas à ce que l’on pourrait et DEVRAIT faire de mieux. On sera tranquille… L’individu  n’échappe à ce modèle négatif que les médias lui proposent de la société, qu’en se réfugiant dans la section publicité, l’intimité des vedettes ou l’insignifiance des jeux questionnaires.

L’immense majorité des Cubain connaitront vite les réformes qui vont changer leur vie. Quel pourcentage des Québécois chercheront – entre meurtres, viols, divorces et âneries diverses – les articles sur le Plan Nord qui changera la vie de leurs enfants ? Pourquoi  met-on en évidence  le volet le plus repugnant de la vie ?

On parle moins de crimes crapuleux dans les journaux cubains… et il y a moins de crimes crapuleux à Cuba.  On peut parler longtemps de ce qui est l’effet et de ce qui est la cause…. mais ne croyez surtout pas que j’en accorde exclusivement le crédit à  Marx… . il y en avait moins aussi dans la Yougoslavie de Tito ou dans l’Espagne de Franco – ce dernier peu suspect de tendances gauchistes !

Certaines sociétés plongent moins complaisamment dans un monde sordide  de crimes crapuleux.   Est-ce que le dénominateur commun ne serait pas qu’on on leur propose un but, un projet quel qu’il soit à réaliser  et qu’on leur laisse entrevoir un avenir dont on parle et discute, au lieu de les abrutir en les abreuvant ad nauseam de faits divers méchants, cruels, inhumains ?

Il faudrait voir… Est-ce qu’on ne pourrait pas mettre un moratoire d’un an sur la couverture par les journaux du scabreux, du sordide, du criminel au quotidien, au détriment de tout ce qui est porteur de sens et en voir l’effet sur la criminalité de ce type ?  Est-on si convaincu en haut lieu que la population n’est friande que de cette saloperie qu’on se refuse même à tenter l’expérience ?

Craint-on que les médias ne puissent survivre sans distribuer au peuple sa ration journalière d’obscénité…  ou a-t-on si peur  que si la population ne reste pas totalement immergée dans la vulgarité et l’inconséquent elle puisse par défaut penser à des choses signifiantes et donc dangereuses ? Comme la vraie liberté, plus d’égalité et peut-être un jour la fraternité ?

Pierre JC Allard

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