Archives quotidiennes : 18 septembre 2010

Logique euthaNAZIE

Yan Barcelo, 19 septembre

En ces temps où tout notre contexte économique s’assombrit, il est impérieux de démonter la mécanique verbale qui enrobe l’actuel débat autour de l’euthanasie. Car il y a un monstrueux précédent à ce débat, précédent qui a prévalu dans l’Allemagne nazie. À cette époque, sous le couvert d’une rhétorique de charité et de compassion, une puissance étatique a entrepris d’éliminer systématiquement toute la partie de l’humanité qui lui semblait de calibre inférieur au nom de la pseudo-scientifique loi darwinienne de la survie du mieux adapté. À notre tour, on risque de découvrir que la véritable épellation du mot est « euthanazie ».

Nous est-il permis de tuer quelqu’un par colère, par impatience ou par haine? Évidemment pas. Alors pourquoi nous serait-il permis de le faire par compassion?

La compassion est une disposition du cœur et de l’esprit qui nous fait ressentir et participer à l’émotion ou à la condition de vie d’un autre. On peut compatir et poser un geste à l’endroit de la personne avec laquelle on compatit, ou on peut ne pas poser de geste. Tout dépend évidemment de la pertinence de ce geste dans le contexte donné et de la capacité de la personne d’accueillir ou non ce geste. Mais il n’y a pas de lien direct entre compassion et un geste quel qu’il soit. On propose que la loi accepte qu’une personne en tue une autre au nom de la compassion, mais si « l’intervenant » ne ressent pas particulièrement de la compassion pour l’autre, si même il ressent de la pitié, peut-être même du dédain ou du mépris pour la condition de l’autre, sera-t-il toujours justifié de le tuer? Entre la compassion et l’acte d’euthanasie, il n’y a strictement aucun lien obligé, cohérent et conséquent et on ne peut trouver dans la première justification du second.

Mais dans tout le débat qu’on mène autour de l’euthanasie, la compassion n’est pas le justificatif essentiel. Ce justificatif, c’est la dignité. Le fond de l’offensive pour justifier l’euthanasie tient à la demande de gens qui craignent la douleur et la souffrance qu’ils anticipent à leur mort pour qu’on donne la permission à des professionnels (médecins ou autres) de les tuer à leur demande. Mais qu’est-ce qu’on appelle ici « dignité »? En quoi le fait de ne pas vouloir souscrire à la douleur ou à la souffrance ou même à une certaine déchéance liés au processus de mourir relève-t-il de la dignité? Prenons le cas d’un prisonnier dans un camp de concentration en Russie soviétique. Il pouvait être soumis à de nombreuses humiliations et même à de la torture. Mais en quoi ces humiliations abîmaient-elles sa dignité? Ne peut-on pas imaginer qu’un homme qui garde la tête haute malgré ces humiliations soit digne? Et celui qui résiste à la torture sans se soumettre à la volonté de ses tortionnaires n’est-il pas éminemment digne? Où la dignité risque-t-elle ici? Est-ce dans le seul fait de subir des humiliations ou de la torture? Certainement pas. Ne faut-il pas plutôt parler de l’indignité de celui qui fléchirait sous les humiliations et qui succomberait sous la pression de la torture?

Or, qu’en est-il de cette « dignité » que veulent préserver ceux qui ne veulent pas être soumis à « l’indignité » de la vieillesse et de ses handicaps, à « l’indignité » de la douleur et de la souffrance de la mort, à « l’indignité » de subir des soins négligents dans un CHSLD. Est-ce bien leur « dignité » que ces gens veulent préserver? En voulant s’éviter les affres du vieillissement et de la mort, en quoi font-ils preuve de dignité? Leur demande d’euthanasie ne relève-t-elle pas plutôt de la peur et du refus de leur orgueil de subir les humiliations de la vieillesse et de ses handicaps? En refusant de se mesurer courageusement au naufrage inévitable de la mort, ne font-ils pas plutôt preuve d’indignité? Où se situe, au juste, leur revendication de préserver leur « dignité »?

Bien sûr, il y a aussi dans ce débat la demande, très exceptionnelle, de ceux qui sont soumis à une maladie très débilitante et qui demandent qu’on mette un terme à leurs jours. C’est l’histoire qu’on nous présente, par exemple, dans le film « La mer intérieure » où un paralysé total formule une telle demande. Lui veut mourir, tandis que le héros d’un autre film, « Le scaphandre et le papillon », plus handicapé encore car il ne peut même pas parler, ne demande qu’à vivre. Où est la dignité de chacun de ces deux personnages? Celui qui demande à vivre est-il moins indigne que l’autre? On dira peut-être que la compassion commande qu’on tue le premier, mais est-ce que cela signifie que la même compassion commande qu’on tue le second?

Finalement, toute la rhétorique autour de l’euthanasie avec ces grands mots ronflants de « compassion » et de « dignité » tourne autour d’une simple équation que chacun doit se poser à lui-même et qu’on pose au législateur : peut-on tuer un autre, même à sa demande? Question éminemment morale. Question uniquement morale, d’ailleurs? « Compassion », « dignité » et tout autre vocable n’ont rien à y voir.

Est-ce à dire qu’on ne peut pas imaginer des situations extrêmes où infliger la mort à un autre à sa demande expresse est absolument, totalement et irrévocablement immoral? Pas nécessairement. Il y a des situations de douleur et de souffrance dont l’extrémité est inimaginable. Mais alors, gardons ces situations limites justement là où elles se situent : à la limite. Traitons-en au cas par cas, dans l’intimité, loin des regards publics et loin du législateur.

Car, si on demande au législateur d’intervenir pour légaliser l’euthanasie, il est presque inévitable que s’installeront un climat d’opinion et des attentes qui amèneront la société à exercer des pressions pour que les mourants, les « p’tits vieux » inutiles et les handicapés consentent à ce qu’on les tue. En demandant au législateur de verser du côté de la mort, on passe une frontière qui pourrait vite devenir une transgression. Ne vaut-il pas mieux qu’il demeure impérativement du côté de la vie?

Qu’on le veuille ou non, devant le vaste mystère de l’après-vie, nous sommes tous également ignorants. Nous ne savons pas s’il y a une après-vie qui soit la récompense des actes et décisions de celle-ci, ni s’il n’y en a pas. Si on savait avec une absolue certitude qu’il n’y en a pas, alors je suppose qu’on serait totalement justifié de s’y mette allègrement et de charcuter toute cette population mourante ou handicapée qui sollicite notre « compassion » ou notre impatience. Mais voilà, nous ne savons pas. NOUS NE SAVONS PAS. Qu’on le veuille ou non, subsiste un gros et lancinant soupçon. Et devant cette incertitude, devant la simple possibilité qu’il y ait une après-vie syntonisée à nos engagement moraux et spirituels en cette vie, il semble nettement préférable de prendre le parti de la vie et du besoin de la préserver jusqu’à son ultime terme, aussi amer et désespérant puisse-t-il sembler.

Enfin, si le législateur refuse l’euthanasie, faut-il en conclure qu’il doit sévir contre les médecins ou autre intervenants qui, exceptionnellement, procéderaient à une euthanasie ou qui « accéléreraient » chez un patient le processus d’agonie? Évidemment non.

Il faut être bien conscient que dans les questions d’euthanasie, comme pour les questions d’avortement par exemple, nous sommes dans une zone charnière où nous faisons face, d’une facon particulièrement aiguë, au vaste inconnu de la vie et de la conscience. Il faut que le domaine judiciaire réflète ce territoire flou dans lequel il y a beaucoup de gris. Comprenons bien, il faut que le législateur soit irrévocablement du côté de la vie. Mais faut-il pour cela écraser de tout le poids de la loi un médecin ou un parent qui céderait, dans un moment de déchirement et de souffrance aigus, aux implorations d’un mourant transi de douleur ? Bien sûr que non. Mais ces situations rares relèvent de l’initiative des tribunaux et de leur lecture de situations uniques, incomparables.

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