Archives quotidiennes : 4 juillet 2011

Desjardins: s’unir pour s’aider

De tous les mystères de l’évolution qui font de moi un agnostique pratiquant, aucun ne m’apparaît aussi insoluble que celui du passage des organismes unicellulaires aux multicellulaires. Le sacrifice de sa finalité par une cellule,  au profit de celle de l’entité à laquelle elle s’intègre, m’est incompréhensible. Aussi longtemps que les Darwinistes ne nous en auront pas donné une explication plausible, j’opine que croire en un  monde sans dieu exige la foi du charbonnier… en Dieu seul sait quoi.

Pourquoi introduire cette cause de migraine dans un article sur le mouvement coopératif ?  Parce que je vois un parallèle de la petite cellule limités mais autonome, avec l’individu qui s’intègre a une société et ne peut en tirer parti  que s‘il accepte  de se spécialiser et d’y remplir une fonction.  Je ne sens en moi aucune tendance sacrificielle qui me pousserait à devenir une abeille dans une rûche, mais je crois bien qu’un bon évolutionniste doit prévoir que le destin de humain est de devenir partie d’une entité consciente supérieure qu’on pourrait appeler Humanité.

Si c’est bien là notre destinée, ça expliquerait à la fois la pulsion en nous vers l’appartenance à des ensembles plus vastes, et la peur panique qui nous saisit quand nous prenons conscience que ces entités, que nous croyions avoir créées librement pour nous servir, nous instrumentent pour leurs fins propres qui ne sont plus les nôtres.

Ainsi de notre appartenance à une nation, à une religion, à un parti, mais aussi, plus subtilement, à tous les organismes auxquels nous adhérons et dont nous devenons dépendants…  Ainsi de la frustration que nous ressentons, quand nous constatons que l’organisme, obéissant à sa logique, ne répond plus aux besoins des individus qui l’ont mis en place.

On peut donner une multitude d’exemples de ce processus dont l’État lui-même est un cas particulier, mais je crois qu’il est plus facile d’appréhender le phénomène à plus petite échelle. Prenons le Mouvement Desjardins.

Au départ nous avons l’idée géniale du Commandeur qui va appliquer les principes du coopérativisme au domaine financier.  Des individus vont se constituer en petits groupes et opérer des « caisses populaires ».  Ils vont garder et utiliser en commun leurs épargnes, au lieu de les remettre à des banquiers, déjà perçus et compris comme les prédateures et exploiteurs qu’ils sont.   « S’unir pour s’aider ». Génial.

Le mouvement est fondé en 1900 et, le 9 mars 1906, la loi provinciale concernant les syndicats coopératifs accorde la reconnaissance juridique des caisses d’épargne et de crédit. C’est le début d’une épopée qui va durer environ un siècle. Une grande aventure québécoise. Un succès.

Un succes pour le Mouvement Desjardins.  Mais, obéissant à sa logique propre, le Mouvement en se développant  – et par son succès même – a trahi sa mission cooperative et est devenu une banque.  Il ne répond plus aux aspirations ni aux besoins des individus qui l’ont mis en place.  Il s’est donné désormais pour priorité d’améliorer la rentabilité de ses activités et il  y parvient. Les excédents avant ristournes – (on ne dit pas encore les profits avant distribution des dividendes, seule concession qui reste à l’idéal coopératif !)  ont atteint 1,437 milliard de dollars en 2010, en hausse de 34 % par rapport à l’exercice précédent. Les “ristournes” ont atteint 305 millions, en hausse de 8 %.

Le Mouvement est devenune bonne banque. Une banque profitable. Mais il y a bien d’autres banques profitables…. et  il n’y a plus rien qui ressemble à ce que Alphonse Desjardins voulait bâtir.  Les caisses (succursales) qui ne sont pas rentables sont fermées… et au diable les villages qu’ils desservent, parfois depuis des generations, comme celle de Saint-Michel, fondée en 1936.

En devenant une banque comme les autres sous un maquillage ccopératif, le Mouvement Desjardins  s’est rendu largement inutie.    Même avec son succès, il demeure une toute petite banque à l’échelle planétaire.  Si il n’y a une caisse que là où il  y a une autre banque, car les sites rentables sont connus, on ne restera client de la caisse que par opportunisme, sans ideal, sans loyauté…. Un pari risqué.

C »est un risque corporatif, et  que le mouvement lui-même disparaisse ne serait au fond que l’autre pôle de sa propre décision de prioriser vers la croissance. Ce qui est vraiment important, c’est de prendre conscience de cette profonde dissociation entre ce que voulait l’individu et les buts qu’en viennent à se donner les organismes qu’il crée.   État, Partis, corporations…

Ainsi, gardant l’exemple de Desjardins, le Fond Desjardins Environnement – offert aux citoyens « soucieux de l’environnement » – investit  dans des  corporations comme  Barrick Gold, Suncor et Talisman!  Bien malhonnête, car ce sont des démons affublés d’une auréole qui tient mal.

Barrick Gold est connue pour sa participation à de nombreux massacres d’Africains dans la région des Grands Lacs, sa responsabilité à des désastres écologiques un peu partout où elle s’établit et sa poursuite abusive contre les auteurs et l’éditeur de Noir Canada.  Suncor  est un acteur important dans le désastre écologique que constitue l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta …. et Talisman est le principal joueur  du projet d’exploitation du gaz de schiste québécois, largement perçu comme un désastre écologique qui s’en vient.

On peut constater sans peine que la mission coopérative et l’ideal d’un développement humain au gré de ses sociétaires sont disparus du Mouvement Desjardin.  La bonne riposte des individus serait de créer de petites coopératives qu’il dirigeraient eux-mêmes. Un retour à la pureté initiale, sans prejudice, bien sûr, à leur decision d’investir aussi ou non dans le Mouvenment Desjardins s’ils y voient une bonne affaire, mais sans accepter les yeux fermées les prétention idealistes du projet de départ qui maintenant ne s’appliquent plus.

Peut-être ceux qui veulent encore du coopérativisme – et je crois que c’est toujours la voie de l’avenir – pourraient penser à se constituer en petites “companies d’assurances” et à devenir, à leur rythme, des institutions financiers à taille humaine.

Pierre JC Allard

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