Une crise de confiance

D’où vient la crise financière que nous sommes à vivre ? Ceux qui veulent en connaître les causes profondes doivent remonter LOIN EN ARRIÈRE. On peut se contenter, toutefois, de voir la dernière scène du dernier acte. Le rideau se lève sur les économistes de Reagan, mettant fin aux politiques keynésiennes et de redistribution de la richesse qui avaient permis ces trois décennies de prospérité qu’on a appelées les Trente Glorieuses.

Pour protéger les avoirs des capitalistes, on a appliqué les freins, au début des années « 80, cessant la redistribution qui avait créé l’Âge d’Or. Bien sûr, la bicyclette a cessé de rouler. On a stoppé net la croissance en termes réels du pouvoir d’achat; ­ le revenu moyen en dollars constants, aux USA n’augmenterait plus pendant 25 ans ! – alors même que les progrès de la technologie permettaient de produire plus et EXIGEAIENT plus que jamais que l’on consomme davantage.

La contrainte technique inhérente au capitalisme industriel – cette relation de dépendance envers le consommateur et la demande effective – ne cessant pas pour autant d’exister, l’enrichissement réel du capitaliste s’en est trouvé lui aussi stoppé net. Plutôt que de reconnaître son erreur et de reprendre la redistribution en augmentant la valeur du travail, enrichissant d’abord les travailleurs, puis éventuellement les capitalistes eux-mêmes, le Système a choisi la solution périlleuse de contenter tout le monde. En trois (3) mouvements.

Le Système a d abord mis les riches à l’abri de tout nouvel effet de redistribution, en réduisant les impôts qui leur avaient été imposés et en rétablissant un taux d’intérêt assez supérieur à l’inflation pour que, toute fiscalité prise en compte, un riche puisse encore devenir plus riche en ne faisant rien et sans courir aucun risque, par simple accumulation des intérêts sur un capital oisif.

Ensuite, pour se concilier la strate supérieure de la classe moyenne, celle qui contrôle de fait le processus démocratique qui sert de faire valoir au Système et est essentiellement composée de propriétaires, on a aussi tenu ceux-ci indemnes de toute contribution au processus de redistribution, leur faisant réaliser, par l’inflation, un gain en capital sur leur propriété supérieur à ce qu’ils contribuaient en impôts.

Qui allait subventionner la consommation les laissés pour compte, toujours nécessaire au fonctionnement de l’économie, si ni les capitalistes, ni les propriétaires n’y contribuaient? La seule cible restait la strate inférieure de la classe moyenne, ceux qui payaient des impôts à la source et qui, n’étant pas propriétaires, ne bénéficiaient pas de l’inflation.

Il était manifestement impossible, cependant, sans les paupériser eux-mêmes, de soutirer des seuls travailleurs/locataires le coût de la subsistance des pauvres et de l’enrichissement constant des nantis. Il fallait donner aux pauvres le pouvoir d’achat qu’il fallait et permettre aux propriétaires de tirer leur épingle du jeu, tout en laissant les riches engranger des intérêts, mais sans faire basculer une majorité des travailleurs dans la pauvreté.

Le Système a choisi la solution de la fuite en avant : il à simplement créé l’argent qui lui manquait. Il l’a fait en maintenant les intérêts élevés, alors que la surabondance de capitaux aurait du mener à des taux bas ou même négatifs. Au Canada, par exemple, des obligations de l’État portant 19 % d’intérêt ont pu débuter en 1982 leur généreuse carrière et la poursuivre entre les mains de ceux qui les avaient acquises, pendant que les politiques de l’État ramenaient à 2 % l’inflation de 14 % qui avait justifié leur émission.

Pendant 25 ans, le niveau de vie en dollars constants des classes moyenne aux USA n’augmenterait pas d’un iota – et celui des plus défavorisés diminuerait, même ! – pendant que l’indice Dow-Jones passerait de 800 à 13 000, multipliant par 17 la valeur des stocks. C’était un ajout au patrimoine des nantis d’une valeur monétaire supérieure à celle de tout le patrimoine de la France ! Mais que valait RÉELLEMENT cet ajout ?

Les actions d’une compagnie confèrent un droit au partage des profits à tirer de la vente de ce que celle-ci produit. Mais si la population n’a augmenté que modestement et son revenu par tête encore moins, l’espérance des profits à retirer des biens et services qu’on peut vendre au consommateur est-elle si supérieure à ce qu’elle était au début de la période ? On créait en bourse une valeur fictive colossale qui ne représentait aucune réalité et qui, comme un arc-en-ciel n’existait que dans la mesure où l’on n’étendait pas la main pour y toucher. Une chimère qui n’existerait qu’aussi longtemps qu’on feindrait d’y croire.

Pour régler ses fins de mois, le système allait créer une richesse virtuelle illimitée, répartie uniquement entre ceux dont l’aisance assurait que cette richesse ne trouverait pas sa voie vers la consommation de biens et services, mais demeurerait totalement investie. En distribuant uniquement cette richesse virtuelle aux riches, on pouvait satisfaire l’ambition de ces derniers dont le pourcentage de la richesse reviendrait au niveau de naguère, mais sans risque d’inflation, puisque cet argent ne serait jamais utilisé pour la consommation, mais uniquement comme un outil de pouvoir.

Le problème, c’est qu’en l’absence d’une inflation qui, même désagréable, aurait au moins maintenu un rapport entre la réalité et son symbole, on a permis qu’il ne subsiste plus aucune commune mesure entre les biens réels et la masse monétaire qui prétend les représenter. Le Système a fait plaisir à tout le monde en distribuant largement de l’argent qui ne correspond à aucune valeur réelle. On a plongé dans l’imaginaire. Au lieu de récompenser ses enfants doués en leur donnant plus de friandises, le Système ne leur a plus offert que des images.

La monnaie est un symbole qui n’a que la valeur qu’on veut bien lui donner. Une illusion primaire sur laquelle on en bâtit de plus subtiles. Plus loin que la monnaie, en effet, dans l’hyperespace financier, il y a les chèques, billets, bons et obligations qui ne sont que la promesse d’un paiement en monnaie. Prenez encore plus de distance avec le réel et, par-delà la valeur des obligations, pensez à la valeur fluctuante d’une action cotée en bourse et qui confère le droit à une part d’un profit problématique sur d’hypothétiques transactions, un profit payable lui aussi en monnaie, bien sûr.

Allez encore plus loin et concevez maintenant un « produit dérivé », une valeur qui se construit autour des fluctuations de la valeur de ces actions et de la monnaie elle-même. Vous voyez encore la réalité dans le lointain? Si vous voyez encore la réalité et qu’elle vous dérange, faites un autre grand saut dans l’hyperespace. Puisque le crédit est là qui ne demande qu’à grandir, créez d’un acte de volonté audacieux le concept d’une « ligne de crédit » – un droit de dépenser – qui reposera sur la garantie de vos « produits dérivés »… Ensuite, faites confiance aux copains et confiez le pouvoir d’animer ces lignes de crédit à des banques qui inscriront à leur livres, comme un actif, les sommes que vous reconnaissez leur devoir quand vous utilisez ces lignes de crédit.

Ces actifs permettront des activité « hors-bilan », d’où résultera un accroissement constant de la valeurs monétaire des titres boursiers qui serviront d’aval au crédit. Ne vous tracassez pas de ce qui est aux livres sans être au bilan : ce sont de simples singularités de l’imaginaire, des trous noirs qui absorbent de l’énergie et du travail, mais dont il ne ressort rien. Ne vous tracassez surtout pas, car votre pauvre coeur en prendrait un coup en voyant que ces activités hors-bilan représentent désormais 85 % des activités bancaires.

L’imaginaire est insondable et les possibilités de jeu dans l’hyperespace financier sont infinies. La valeur monétaire de tout ce qu’il y a sur cette planète est estimée à USD$ 145 trillions. Chaque jour, il se fait USD$ 3 trillions de transactions. Pensez que tous les biens meubles et immeubles sur cette terre sont échangés, vendus, achetés à chaque 7 semaines, puis encore, et encore…. Ils ne le sont pas, bien sûr, mais pour chaque pseudo transaction, un agio est payé à qui contrôle cet argent.

On a attribué à cette richesse monétaire, coupée de tout lien efficace avec le réel, une valeur nominale qui équivaut à 10 ou 100 fois – on ne sait plus très bien – celle des biens dont on prétend qu’elle est le symbole. À l’actif d’individus et de corporations sont inscrits des dizaines de trillions de dollars, qui ne pourraient être mis en circulation sans que l’on ne se rende compte qu’ils ne représentent aucune valeur.

La plupart de ces trillions de dollars sont en Bourse, aux confins de l’hyperespace, constituant une valeur totalement évanescente qu’il suffirait d’une crise de confiance pour faire disparaître.

Confronté a une crise de confiance, le système n’a d’autres remèdes que de distribuer encore des images – 700 milliards d’images, cette semaine – et de mentir. L’avenir est bien incertain…

Pierre JC Allard

20 Commentaires

Classé dans Actualité, Pierre JC Allard

20 réponses à “Une crise de confiance

  1. Voilà encore un excellent article qui réussit très bien à démontrer le mercantilisme absurde des riches et ce, toujours au dépend des plus démunis de la société qu’ils égorgent sans répit.

  2. Pingback: Credit Crunch » Une crise de confiance

  3. Excellent billet Pierre… Pas toujours évident de tout saisir et de bien comprendre les rouages de l’économie, spécialement le monde financier et les spéculations boursières. Vous m’avez aidé à faire un autre petit pas! Ma mère me l’avait pourtant dit: étudies mon gars si tu veux comprendre ce qui se passe autour de toi. J’ai été ignorant tellement longtemps, mais maintenant,je me soigne!

  4. Excellent texte Pierre; avec votre texte et celui que j`ai publié jeudi dernier, je pense qu`on vient de défricher le coeur du fonctionnement du système bancaire et économique. Plus on le comprend, plus on s`aperçoit que tout cela ne fait aucun sens… si on ne fait pas parti du 1% au sommet qui en profite (et qui a mis un tel système en place).
    Je lisais un jour que la seule guerre qui nous reste à mener est le Peuple vs Les banquiers privés.

  5. Vibrations

    Je sais que vous voudriez plus, mais je ne peux que vous offrir des mots d’oiseaux 😉

  6. Leon

    Bonjour Pierre.
    Une trouvaille, votre fuite dans l’hyperespace !
    Cela fait écho chez moi à un travail que j’avais fait sur l’énergie et l’information. Si cela vous intéresse…
    http://pagesperso-orange.fr/leon.tourtzevitch/immateriel.html

  7. Pierre JC

    Théorie intéressante. Les grands réseaux binaires ont rendu plus intangibles ces valeurs monétaires pour le commun des mortels, habitué à manipuler des sous en lieu et place de dollars. Combien ont tenu dans leurs mains un billet de 1000 $. Très peu. Il est vrai que la valse des milliards a de quoi marquer les esprits. Pour les néophytes, c’est l’obscurité totale dans cet hyperespace que vous décrivez si bien. Le récent Big Bang de Wall Street bouscule est inquiétant à travers cette même obscurité.

    Pierre R. Chantelois

  8. @ Leon: Lontemps avant Goldfinger, j’avais été frappé par les étranges effets sur le marché de l’emploi du passage a une économie de services. La communication comme ultime créateur de boulot, par exemple, dans Crisis & Beyond ( http://nouvellesociete.org/3136.html )

     » The more you work at communication, the more work you generate, and you do not have ever to get closer to an answer, just deeper into the questions. Amongst the communicators themselves, there are no more chances of getting to the end of a communication process than to have the last word with one’s own echo; in terms of production, of course, nothing ever comes out of communication unless somebody decides to walk out of meetings and to engage in the more plebeian act of doing something. (…) machines could really be useful to Man and bring him what he now needed most urgently: more work. Machines are the great multipliers and since communication creates work, machines in the field of communication became multipliers of work. One man and a telephone can put in motion dozens upon dozens of people… « ,

    PJCA

  9. @ Vibrations: Puisqu’on parle de banques et d’oiseaux, pensez « vautour »

    http://nouvellesociete.org/5002.html

    PJCA

  10. @ François M. Le temps de relire 1984:  » Tous les États du monde sont maintenant en guerre contre leur propre population… « . Le même message que le film « Vendetta ».

    PJCA

  11. @ Lutopium: Le systeme bancaire est facile a comprendre; ce qui est difficile, c’est de se convaincre soi-même que ça peut être aussi simple que l’effronterie de prétendre que quelque chose qui n’a aucune valeur en a une et d’avoir la force avec soi pour l’imposer.

    http://nouvellesociete.org/P14.html

    PJCA

  12. @ Societes % Decadence: Merci de votre commentaire. Parlant de décadence …

    http://nouvellesociete.org/H44.html

    PJCA

  13. alababa

    difficile d’etre optimiste avec ce que l’on voit ce défiler sous nos yeux.Quand même incroyable que tout cela soit fait aux vues et sues de tous ceux qui sont un tout petit peu allumé.Question;pourquoi ont les laisse faire ?

  14. @ Alababa: Parce que l’on a fait du chemin depuis Bernays et la psychosociologie est devenue une science exacte. Le systeme sait EXACTEMENT le seuil au-delà duquel il y aurait une révolte violente de la majorité effective et il maintient l’extorsion juste en deça de ce seuil.

    http://nouvellesociete.org/P04.html

    PJCA

  15. alababa

    Autre question,serait-il possible si le Quebec deviendrait independant,avoir comme monnaie l’euro.

  16. @ alababa: Un pay peut rendre officiel le cours de la monnaie qu’il veut. L’avantage d’avoir sa monnaie propre, c’est de pouvoir en manipuler la création, comme l’avantage de prendre celle des autres est de bien montrer qu’on le le fait pas.

    Un Québec indépendant pourrait prendre l’Euro comme monnaie, mais ça ne lui donnerait pas voix au chapitre pour discuter la politique monetaire européenne et, ses transactions commerciales se faisant largementen zone dollar, ce serait une mesure plutôt contreproductive

    PJCA

  17. alababa

    Merci pour vos explications,ceux-ci peuvent vous paraitre élémentaire,mais l’important est que je veux apprendre.Je suis allé sur le site (nouvelle societe)et je peux vous dire que je comprends un petit peu plus. merci

  18. Le Furtif

    Pas mal Pierre JC le site de vos sept tueurs , mais ne comptez pas sur moi pour parler d’économie , j’ai 3 ou 4 persécuteurs qui me forcent à en apprendre quelques rudiments…Qui trouvera les mots pour les dénoncer

  19. Pierre

    Avec des forces US en difficulté en Irak, pourquoi le Pentagone décide d’engager un redéploiement à l’intérieur des USA, à peine un mois avant l’élection présidentielle ? C’est plus grave qu’ont le crois cette crise et cela sent la magouille -> http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=CHO20081004&articleId=10450
    Les USA sont sur le bord de l’émeute, toujours aussi prévoyant lorsqu’il y a de l’argent à fait côté armes le président à la Maison Blanche rappel des troupes d’Irak pour les dispersés dans les rues américaines pour passer le messages aux gens qu’il était nécessaire de sauver ces amis les banquiers. Pendant ce temps comme l’environnement nous tient à coeur un BOYCOTT mondial d’E$$O pour améliorer l’air que nous respirons est annoncé ici -> http://nsa02.casimages.com/img/2008/10/04/081004040006582266.jpg

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