Yes, we can’t (3)

Yan Barcelo, 13 février 2010

Je poursuis cette semaine avec les changements législatifs, réglementaires et structuraux qu’il serait nécessaire d’effectuer, mais cette fois à l’échelle internationale d’un nouveau régime de taux de change, pour s’assurer qu’une crise financière et économique comme celle qu’on a connue ne se reproduise pas.

Abolir l’argent fiduciaire à réserves fractionnaires pour rétablir une monnaie de crédit réel – C’est une telle idée que proposait Minarchiste en commentaire à mon article d’il y a deux semaines, et c’est ce que d’autres intervenants proposent également ailleurs. Il est certain que le régime virtuel qui prévaut partout dans le monde, et tout particulièrement aux États-Unis avec la Réserve Fédérale, est à la source de l’inflation systématique des actifs financiers et de toutes les bulles financières auxquelles on a assisté aux Etats-Unis depuis 1987.

Le champion sans conteste de cette exubérance irrationnelle est Alan Greenspan. En adoptant une politique systématique de bas taux d’intérêt, ce tristement célèbre banquier a noyé de liquidités les marchés pendant plus de 20 ans, liquidités qui ont servi à alimenter une bulle spéculative après l’autre. En rétablissant une monnaie de crédit national (dont je n’ai toutefois pas étudié la mécanique d’opération, je dois admettre), il est certain qu’on enlèverait la vapeur monétaire virtuelle qui nourrit les bulles. Ces bulles qui, depuis 20 ans, se multiplient de façon systématique et cyclique. Dans un article du Atlantic Monthly, l’économiste Eric Jansen parlait de notre régime économique prévalent comme d’une bubble economy.

Toutefois, je juge que l’implantation de régimes monétaires d’étalon s’avérerait insuffisante à une échelle uniquement nationale. Une mesure qui pourrait et devrait à mon idée prendre le dessus – servant du coup à discipliner la tendance des banques centrales de chaque pays à imprimer de l’argent – serait l’instauration d’un nouvel ordre monétaire mondial, comme on l’a fait à la conférence de Bretton Woods en 1944…

Abolir le régime de taux de changes flottants qui règne à l’international et le remplacer par un régime de taux à la fois fixes et flexibles. – Voici quelques signes éclatants du désordre monétaire actuel. Les flux monétaires de la planète s’élèvent quotidiennement à plus de 2000 milliards $US. Or, la valeur de tous les échanges commerciaux dans une année atteint environ 2500 milliards $US. C’est dire que la part strictement financière des flux monétaires, essentiellement liés à la spéculation, est plus de 300 fois supérieure aux flux liés aux mouvements de l’économie réelle.

Une étude de 2007 d’Alan Auerbach, professeur d’économie de l’Université de Californie à Berkeley, a trouvé qu’en 1983, les entreprises financières ne représentaient que 5% de tous les revenus de taxation corporatif aux Etats-Unis. À partir de 1991, ils en accaparaient environ 25%.

En ces temps de volatilité monétaire extrême, la moindre PME qui fait des affaires à l’international est obligée de se protéger à l’aide de contrats à terme et d’options sur les changes. Pour plusieurs, il s’agit d’une activité particulièrement coûteuse. Il suffit de penser au responsable financier qui a acheté des contrats à l’été 2008, quand le cours du dollar canadien était à 1,10$ et qui a dû honorer ses contrats à la fin d’octobre quand le dollar était tombé, après seulement trois mois, à 0,84$.

Un système à taux de change stable et flexible éliminerait d’un coup les jeux financiers les plus populaires du casino financier global qui expliquent ces flux monétaires démesurés. Plus de carry trade, plus de montages sophistiqués de dérivés qui arbitragent des écarts d’indices partout sur la planète, plus d’incalculables contrats à terme sur les changes.

Pendant toute la décennie 1950, l’échange entre le dollar canadien et le dollar américain a été remarquablement stable, légèrement au-dessus de la parité. Il l’a été encore plus dans les années 1960, légèrement sous la parité. Ce fut une époque de prospérité économique jamais égalée depuis pendant laquelle les entreprises pouvaient planifier des projets d’envergure sans craindre de voir leurs marges détruites par un brusque mouvement de change.

Mais à partir de 1971, quand les Américains ont brisé le lien du dollar américain à l’étalon-or, les rapports entre les deux monnaies ont commencé à ressembler à des montagnes russes. Aujourd’hui, cette volatilité est plus extrême que jamais. Et les crises financières se multiplient à un rythme accéléré, tant aux Etats-Unis que partout ailleurs (crise du peso mexicain, crise asiatique, bulle techno de 2000, bulle immobilière; bientôt, bulle des infrastructures et des crédits de carbone.)

Le problème fondamental, dit Wilhelm Henkel, professeur d’économie à l’Université de Frankfurt, c’est que nous traitons l’argent comme s’il était un denrée égale à ce qu’il mesure. Laisser les forces du marché déterminer la valeur de l’argent, c’est comme si on les laissait décider de la longueur du mètre. Un jour il mesurerait 925 mm, deux mois plus tard, 1012 mm. À cause de cette idiotie, nous pouvons voir le problème que nous avons aujourd’hui, constate l’économiste.

Il est certain qu’on ne peut pas revenir au vieil étalon-or, qui a pourtant assuré une stabilité économique jamais égalée tout au long du 19e siècle jusqu’à la première guerre mondiale. Il ne faut pas non plus apparier les monnaies à une monnaie nationale forte, notamment celle des États-Unis. Nous devons dénationaliser la monnaie maîtresse; c’est la grande leçon de l’étalon-or. Il n’est pas non plus question de créer une monnaie mondiale unique – ce qui est encore utopique à ce moment.

Que faire alors? Wilhelm Henkel propose de remettre à l’honneur l’idée des droits spéciaux de tirage, ou le Bancor, soumise par l’économiste John Maynard Keynes à la conférence de Bretton Woods. Il s’agirait d’une monnaie rationnelle, émise par une banque centrale mondiale, qui ne circule nulle part, que seules les banques centrales du monde  verraient et contre laquelle elles mesureraient et ajusteraient leurs monnaies nationales.

Un tel « or rationnel » devrait permettre aux pays et au système entier de se protéger à la fois de l’inflation et de la déflation. C’est pourquoi il ne faut pas donner cours à un système de taux de change nominalement fixes, comme c’était le cas pour celui mis en place à Bretton Woods qui a mené à une surenchère d’inflation, mais réellement fixe. De plus, cette banque centrale des banques centrales aurait la responsabilité, comme le voulait Keynes, de tenir une comptabilité d’équilibre entre pays débiteurs et pays créditeurs, de tel sorte que tout déficit trop accentué d’un côté ou de l’autre obligerait chaque pays à ré-évaluer ou dévaluer sa monnaie.

Un tel projet est-il faisable? Tout-à-fait. Mais il y a encore très loin de la coupe aux lèvres. Chaque pays veut encore tirer tout la couverture de son côté, les Etats-Unis en premier lieu qui ont le privilège démesuré de posséder LA monnaie de référence, mais aussi des pays émergents comme la Chine et l’Inde. Entre temps, on va sans probablement procéder à toutes sortes d’ajustements mineurs au système de taux flottants actuels. Par exemple, apparier plus solidement les monnaies nationales à une monnaie centrale forte, ou encore multiplier des monnaies régionales sur le modèle de l’Euro, créant un « Asiro » en Asie ou un « Latiro » en Amérique latine.

Mais à long terme, le plan de Keynes que remet à l’honneur Henkel, s’avère incontournable – et il le sera de plus en plus. Bien sûr, d’autres variantes autour d’un modèle de taux de change fixe existent. Je n’ai donné le projet de Henkel qu’à titre d’exemple, parce qu’il me semble sensé. Mais nous devrons obligatoirement nous déplacer vers un régime international à taux fixe. Car, tant que les pays ne conviendront pas d’un système monétaire unifié, on ne fera qu’aller de crise en crise et elles seront de plus en plus fortes.

4 Commentaires

Classé dans Actualité, Yan Barcelo

4 réponses à “Yes, we can’t (3)

  1. J’ai essayé à plusieurs reprises sans y parvenir de placer un commentaire sur cet article. Des ratées dans le système WP. A moins que ce ne soit un complot… :-)) :-))

    PJCA

  2. @Yan

    Le problème du système actuel est qu’il est facilement manipulable par l’État.

    Le système que vous décrivez (le bancor) serait encore plus manipulable et truffé d’interventionnisme.

    Le talon d’Achilles de Bretton Woods et du gold exhcnage standard était l’utilisation du dollar US comme monnaie de réserve.

    Un retour à l’étalon-or, purement et simplement, serait ultimement la meilleure solution.

    Je décris comment y arriver ici (en réponse à un blogueur qui m’a posé la question):

    http://minarchiste.wordpress.com/2010/01/06/letalon-or-et-le-crash-de-1929/#comment-687

  3. Yan Barcelo

    @Minarchiste
    J’ai lu votre article sur l’étalon-or et le crash de 1929 et tout l’échange de questions-réponses qui lui est relié. Je suis d’accord avec vous sur le principe général, avec quelques désaccords sur le mode d’opération et surtout sur le mode d’implantation. Je suis réticent à lier la valeur de l’argent à une denrée, fut-elle l’or ou n’importe quelle autre, car on crée ainsi du jour au lendemain un marché gigantesque pour cette denrée, marché dans lequel les risques de dérapage sont innombrables.
    Le problème fondamental et sous-jacent à tout échafaudage d’une monnaie de référence – et une de vos remarques y réfère – est celui de la crédibilité du gouvernement ou du regroupement d’institutions qui s’engagent à respecter l’étalon, quel qu’il soit, qu’il s’agisse d’or, de platine, de merde de pape ou… de bancor. Or, il me semble qu’on aurait tout avantage à penser, comme le fait Henkel, à un régime monétaire où la mesure fondamentale de l’argent est abstraite (comme un bancor), tout comme la mesure du mètre est abstraite et composée à partir d’un seul mètre de référence universel et jalousement gardée dans une chambre à vide quelque part en France, je crois.
    Certes, comme vous le dites, une unité bancor est susceptible de toutes sortes de tripotages, mais il en est de même avec l’or et avec toute mesure monétaire qu’on voudra établir. Là où il y a des hommes, il y a de l’hommerie, comme disait je ne sais plus quel auteur. Si quelqu’un veut vraiment avarier le système d’étalon-or, il va y parvenir, tout comme un système bancor ou n’importe quel autre. Cependant, je reviens sur cet élément, une mesure « abstraite » me semble plus susceptible de simplifier la gestion de l’ensemble du système.
    Je vous fais remarquer que mes observations ne sont que provisoires. Je n’ai pas étudié à fond les questions relatives au fonctionnement d’un bancor, ni les modalités de son rattachement à une valeur d’ancrage. Ma réflexion peut donc évoluer et va sans doute évoluer. L’important pour moi n’est pas d’avoir raison, mais de tenter de viser la vérité avec le plus de justesse possible.
    Merci pour vos contributions. Je les trouve particulièrement fertiles.

  4. @Yan Barcelo

    Sur wikipedia, dans la section sur l’école autrichienne:

    « Sur les moyens de limiter la création monétaire, les économistes de la tradition autrichienne se divisent en deux camps. Outre les taux de change flottants, les uns recommandent le régime de l’étalon-or et la limitation des crédits consentis par les banques au montant de leurs actifs. Les autres recommandent le système de la banque libre, considérant que des banques libres de leurs décisions mais supportant pleinement les conséquences de leurs actions, concurrentes entre elles pour l’émission et le maintien en circulation de signes monétaires et sans possibilité de recours à une banque centrale, seraient obligées par leurs clients et par la concurrence de maintenir un taux de réserve relativement élevé qui les garantirait contre le risque . »

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